Environnement | | 03/06/2015
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Que va devenir l’incinérateur d’Ivry ?

Que va devenir l’incinérateur d’Ivry ? © Mathieu Genon

Usine incineration Ivry credit photo Mathieu GenonL’incinérateur d’Ivry-Paris 13, le plus grand de France, reconnaissable par ses deux cheminées de 80 mètres de haut, doit être entièrement reconstruit

pour évoluer vers le tri mécano-biologique avec méthanisation. Alors que le marché a été attribué il y a quelques mois à une filiale de Suez Environnement, des voix continuent de s’opposer à ce projet coûteux – entre 1,5 et 2 milliards d’euros – et peu écologique. Le Syctom, lui, rappelle l’urgence de trouver une solution pour remplacer un incinérateur à bout de souffle.

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Cet article est proposé dans le cadre d’un partenariat éditorial avec le mensuel  Le 13 du Mois, qui, comme son nom l’indique, traite avant tout du treizième arrondissement. A l’heure du Grand Paris, il invite aussi régulièrement ses lecteurs intra-muros à se plonger au-delà du périph’. Il y a un an, le mensuel avait réalisé une première enquête sur les questions soulevées par le gigantesque projet du Syctom, qui élimine les déchets de près de six millions de Franciliens. Il revient sur le sujet alors que le marché a été attribué. Bonne lecture.

« La machine est sur les rails, ça suit son petit bonhomme de chemin. » Stéphane Prat, élu Europe Écologie-Les Verts d’Ivry, le constate amèrement. Depuis un an et l’élection d’un nouveau président à la tête du Syctom (1), le projet de reconstruction de l’usine de traitement des déchets d’Ivry-Paris 13 a été marqué par des avancées considérables : l’attribution par la commission d’appel d’offres, en juillet 2014, du marché de conception, construction et exploitation à l’usine à IP13, une filiale de Suez Environnement, le vote du comité syndical du Syctom, le 17 octobre 2014, autorisant le président à signer ce marché, enfin sa signature 2 février 2015. « C’est la suite logique d’une procédure engagée il y a une dizaine d’années, rapporte l’UDI Hervé Marseille, président du Syctom et sénateur-maire de Meudon. Mon prédécesseur avait retardé la décision à cause des municipales, il fallait bien faire avancer le dossier. »

(A noter : le collectif 3R organise un débat sur ce sujet ce mercredi 3 juin à Paris)

L’incinérateur d’Ivry, symbolisé par le panache blanc et épais s’échappant des deux hautes cheminées qui bordent le périphérique, arrive en fin de vie, après plus de 46 ans de service. Le projet de reconstruction, échelonné sur une dizaine d’années, prévoit de scinder l’usine en deux parties : un incinérateur avec une capacité réduite de moitié (370 000 tonnes au lieu des 730 000 actuelles), et une usine de tri mécano-biologique (TMB) avec méthanisation. Ce procédé récent permet de trier les déchets organiques (restes de repas, fleurs et plantes, marc de café, épluchures…) et de les transformer en compost après putréfaction tout en produisant du méthane qui peut être valorisé sous forme d’électricité ou de carburant. L’UIOM, l’unité d’incinération des ordures ménagères, son appellation de toujours, va devenir l’UVOE, l’unité de valorisation organique et énergétique.

Imbroglio sur le coût du projet ? Pas tant que ça…

Dans ce dossier où Syctom, collectivités, élus et associations s’investissent et s’invectivent depuis dix ans, tout est sujet à débat : l’incinération, considérée comme dépassée car trop polluante, le TMB avec méthanisation, accusé d’être inefficace, dangereux et à l’origine de nuisances olfactives, la présence d’une telle structure dans un tissu urbain très dense, enfin le montant des fonds engagés. Au collectif 3R (réduire, réutiliser, recycler), monté à Ivry en réaction au projet, on table sur deux milliards d’euros à la fin des travaux. Hervé Marseille s’emporte : « Certains disent un milliard, d’autres deux milliards, pourquoi pas 15 milliards pendant qu’on y est ! Ça ne veut rien dire. La vérité c’est quoi ? C’est que dans 23 ans, si on fait tout, ça pourrait avoir coûté 2 milliards, voilà. » Le président n’évoque pas les sommes estimées par le Syctom lui-même qui, dans le rapport d’analyse de la commission d’appels d’offres de juillet 2014, a évalué le coût global du chantier à 1, 575 milliard d’euros (834 millions pour la conception et la construction et 740 millions pour l’exploitation). « Tout dépendra des études préalables, ce sont elles qui nous diront ce que l’on fera ensuite, martèle de son côte Martial Lorenzo, directeur général des services du Syctom. Ce qui commencera en septembre prochain, ce ne sont que les études, pas les travaux. Elles coûteront 60 millions d’euros. La construction des fours de l’incinérateur, ce sera 200 à 300 millions. Pour l’instant on s’en tient là. » Rien d’autre.

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S’il n’y a pas de raison de s’offusquer, pourquoi beaucoup montent-t-ils au créneau ? « Parce que les gens racontent un tas de salades ! Personne n’a lu ce dossier et tout le monde en parle ! », rétorque Hervé Marseille. Et le sénateur de s’indigner au passage du titre de notre précédente enquête, « La poubelle qui valait un milliard » (ndlr : enquête du magazine Le 13 du Mois de mai 2014, couverture ci-contre)  : « C’est quoi ce milliard, madame, d’où sort-il, ce chiffre ? » Et bien des études du Syctom lui-même (voir plus haut).

A lire aussi : Usine d’incinération d’Ivry : reconstruire ou attendre?

Ledit dossier, très technique, décrit bel et bien une tranche ferme comprenant les études préalables devant aboutir à la délivrance d’un permis de construire et une autorisation d’exploiter, ainsi que l’exploitation de l’usine d’incinération existante. Cette tranche-là est engagée. Une autre tranche, qui comprend la construction du nouvel incinérateur, sera conditionnée à un vote du bureau du Syctom, tout comme les deux autres phases qui suivront et qui concernent l’usine de tri mécano-biologique. Le tout serait financé dans sa presque totalité par la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) imputée à chaque habitant des 84 communes du Syctom.

Usine incineration Ivry credit photo Mathieu Genon

Un recours en justice difficile à gagner

Le projet global, soumis à de prochains votes du bureau, donc, laisse encore à ses opposants des raisons d’espérer des modifications. En avril, le collectif 3R a décidé de déposer un recours contre le marché public auprès du tribunal administratif de Paris. « Ce recours porte sur la durée excessive du contrat, qui est de 23 ans, rarissime pour un marché public, explique Me Nicolas Gardères, l’avocat du collectif. Ce que l’on demande est l’annulation pure et simple du marché. » L’association reproche également au Syctom d’avoir choisi une entreprise, Suez, qui ne brille pas par ses notes techniques : « Le candidat retenu est particulièrement faible sur le traitement des fumées, la prévention, la maîtrise des nuisance olfactives, les risques d’incendie et d’explosion. C’est inquiétant », ajoute l’avocat, qui mise davantage, juridiquement, sur la durée du contrat. Seulement, les chances de gagner sont bien minces. « Le marché est bien ficelé, admet Nicolas Gardères. Mais il faut tenter tout ce qui est possible. » Après tout, une association, Arivem, a bien réussi à faire capoter le projet de TMB à Romainville en 2013, lui aussi mené par le Syctom.

Martial Lorenzo, du Syctom, l’assure : « Les gens sont restés sur les premiers projets de méthanisation. On dit que ça sent mauvais et que c’est dangereux. Mais tout cela a considérablement évolué. » Hervé Marseille scande de son côté que l’organisation fait de son mieux pour assurer un service public en dehors de tout  dogme : « Je ne suis convaincu par rien du tout, je ne suis pas un défenseur de tel ou tel type d’élimination. Mais vous avez un tas de gens qui vous disent “Je ne veux pas d’usine du tout“. Personne n’a envie que les déchets soient transportés et éliminés à côté de chez lui. Mais on fait quoi une fois qu’on a dit ça ? » Chaque année, ce sont les 700 000 tonnes d’ordures d’1,2 millions de personnes qui sont acheminées vers le centre multifilières d’Ivry. « Si les associations savent comment ramasser les déchets, les éliminer, le tout pour 100 balles, je veux bien prendre en compte leurs propositions », lâche le président, ironique.

Trop de déchets, mais à qui la faute ?

Lors du vote d’octobre dernier consultant les membres du Syctom sur la première tranche du projet, la quasi totalité du collège a voté en sa faveur. Une voix dissonante a émané de Pierre Gosnat, qui s’est abstenu, feu le maire d’Ivry s’étant allié aux écologistes de sa commune dès le premier tour des municipales en échange d’une retenue dans cet ultime vote. « En février 2013, le conseil municipal d’Ivry a formulé un vœu contre la construction de cette usine de tri mécano-biologique, rappelle Stéphane Prat. Il fallait que Pierre Gosnat en prenne acte. » L’élu écologiste aimerait que le nouveau maire, Philippe Bouyssou, qui a succédé à Gosnat au Syctom, s’engage à prendre une délibération, qui a davantage qu’un vœu vocation à être un moyen de pression. Stéphane Prat y croit : « Le Syctom peut encore reculer, briser ce marché. Même s’il a déjà versé deux ou trois millions d’euros et qu’il y a des pénalités. Dix millions de pénalités sur 2 milliards, c’est peanuts. L’argent pourra ainsi être investi dans les filières de recyclage pour valoriser un maximum de déchets. »

Car là est bien, dans le fond, tout l’enjeu de ce bras de fer : le traitement des déchets quel qu’il soit contre le « zéro déchet ». Et si, au lieu de s’écharper sur l’incinération et la méthanisation, on faisait en sorte que ces déchets n’existent plus ? Si l’on triait nos biodéchets et nos plastiques, pour réduire le contenu de nos poubelles et donc la quantité brûlée ? C’est ce que réclament à corps et à cris les écologistes et les militants. « Là-dessus, pour une fois, la ligne d’Europe Écologie est claire », plaisante Antoinette Guhl, membre du Syctom, élue dans le 20e et seule, avec Anne Souyris, élue dans le 10e, à avoir voté contre lors du vote d’octobre. « Le projet de reconstruction ne correspond pas du tout à une logique de gestion écologique des déchets, c’est une solution du passé », tranche-t-elle. Hervé Marseille veut bien l’entendre, mais à qui la faute ? Pas au Syctom, qui se retrouve selon son président avec 7 000 tonnes de déchets à traiter chaque jour dans ses différentes usines franciliennes. « Si on arrête tout on fait quoi ? On les laisse sur le trottoir ? », renchérit-il. Antoinette Guhl l’admet : « Hervé Marseille n’a pas tout à fait tort : la collecte revient aux collectivités, le traitement au Syctom. »

« Il va falloir sacrément se retrousser les manches »

Tout le monde est d’accord sur la nécessaire réduction des déchets, mais chacun se renvoie la balle. Alors que le Syctom s’en remet aux villes pour organiser de meilleures collectes, les militants écolos, qui brandissent les exemples de San Francisco et Milan, où le « zéro déchet » est un succès, se demandent ce qu’il adviendra de cette usine dans vingt, trente ou quarante ans, quand Paris se sera elle aussi mise à un tri optimal. « On abaisse la capacité de l’incinérateur de moitié, vous ne trouvez pas que c’est déjà un signe fort ? », apostrophe Martial Lorenzo, directeur général des services du Syctom, qui assure que la future usine éliminera 20% d’ordures de moins qu’aujourd’hui. « Il va falloir sacrément se retrousser les manches », prévient-t-il. L’ingénieur met également l’accent sur le budget de prévention d’1,6 million par an : « On demande aux collectivités de nous présenter des projets que le Syctom pourrait soutenir, mais en 2014 on en a financé que pour 300 000 euros, faute de projets. » Pour Antoinette Guhl, « les collectivités ont un rôle à jouer pour indiquer au Syctom dans quelle direction on peut aller ». Reste à savoir qui donnera l’impulsion décisive. Avant le très attendu changement des comportements, le projet suit son cours.

(1) Syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères qui gère 2,4 millions de tonnes de déchets par an dans leurs 12 usines de traitement des déchets en Île-de-France. Il regroupe 84 communes franciliennes dont Paris.

Rédaction Virginie Tauzin Photos Mathieu Génon / Le 13 du Mois

 

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