Histoire | | 22/04/2015
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Shoah et Rwanda : bouleversants témoignages

Shoah et Rwanda : bouleversants témoignages

Charles-Baron-Jeanne-Allaire-Saint-Mandé-2015-Shoah-RwandaDeux survivants, Charles Baron, déporté en 1942, et Jeanne Allaire Kayigirwa, victime du génocide rwandais en 1994, ont témoigné devant une quarantaine de jeunes ce mardi 21 avril à Saint-Mandé, à l’invitation de la ville. Tous les deux ont été frappés par l’horreur à l’âge de 16 ans.

Un demi-siècle. C’est ce qui sépare deux des génocides les plus massifs qu’ait connu l’Humanité : la Shoah, pendant la Seconde Guerre mondiale, et le génocide rwandais, en 1994. Deux épisodes tragiques dont ils restent des survivants aux témoignages précieux. “On vivait vraiment un monde à part, dénué de toute logique“, explique Charles Baron qui a connu huit camps différents, entre 1942 et 1945. Séparé de sa famille, déportée et assassinée, lors de la rafle du Vél’ d’Hiv du 16 juillet 1942, Charles ne comprend toujours pas “la chance” qui l’a préservé du pire. “Tous les matins, et comme à chaque nouvelle arrivée dans un camp, les kapos procédaient à un tri : une ligne pour ceux qui étaient aptes à travailler, l’autre pour ceux qui seraient tués dans la journée” se rappelle-t-il. Dans la salle de l’hôtel de ville : les élèves du collège-lycée privé sous contrat de confession juive Georges Leven dans le 12e arrondissement de Paris.

Charles-Baron-déporté-Saint-Mandé-2015

Loin des clichés, Charles livre un récit poignant, avec humour et recul. Sa vie à Paris avant la déportation ? “Paisible” . Son étoile jaune ? “Jamais quelqu’un n’y a fait allusion, ni à moi ni à mes camarades d’école, avant la déportation” . Mais un jour, alors qu’il rentre d’un week-end passé en Seine-et-Oise (ancien département qui n’existe plus) chez sa grand-mère, Charles Baron est arrêté et déporté à Drancy où il restera cinq jours avant de partir pour l’Est de l’Allemagne. Commence alors trois ans de calvaire, changé de camp à huit reprises, de Cosel en Silésie à Birkenau (Auschwitz II) en passant par Dachau. “On prévoyait tout le temps notre fuite, sans jamais agir” . Jusqu’à un arrêt de train, quelques jours avant la libération, en 1945. “Nous ne savions pas où les nazis comptaient nous emmener. Là, le train s’est arrêté. Un camarade s’est glissé en dehors, a ouvert la porte et en quelques secondes, nous courrions à travers les champs, poursuivis par des coups de feu.” Caché quelques jours avec ses amis par un fermier allemand, Charles pleure “de joie, de tristesse, de soulagement” lorsque son hôte vient lui annoncer la Libération, la voix tremblante, émue et fière. “Je n’ai jamais pleuré à nouveau depuis…” lâche Charles.

La haine au cœur d’un système… et des questions des lycéens

Cette ultime rencontre avec cette famille de paysans allemands questionne les lycéens. Comment Charles et ses amis ont-ils fait pour ne pas développer une haine sans vergogne des Allemands ? Pourquoi n’ont-ils pas cherché à se venger ? “Je peux vous garantir que lorsqu’on les voyait passer dans la rue, à travers les grillages de nos camps, on se disait entre nous “Qu’est-ce qu’on va leur mettre, sortis d’ici…” avoue-t-il sans détour. “Mais on ne peut pas vivre toute sa vie avec la haine, ni confondre les réalités. Les Nazis ne répondaient à aucune logique, ils étaient simplement devenus fous. Ils ont entraîné toute l’Allemagne dans leur folie. Je ne pardonnerai jamais, mais je ne me vengerai pas” . Une attitude qui laisse pantois une partie de l’auditoire.

La folie et la haine. C’est aussi ce qui a motivé certains membres de la communauté Hutu, au Rwanda, en 1994, à massacrer leurs concitoyens Tutsi. En trois mois, un million de Rwandais seront massacrés, la plupart à la machette, au cours de l’une des guerres civiles les plus sanglantes de l’Histoire. Jeanne Allaire Kayigirwa est alors âgée de 16 ans et assiste à une messe catholique dans son village quand l’ordre est donner de “massacrer les Tutsi” . Si elle a vu ses droits et ses libertés se restreindre depuis quelques années, comme pour tous les Tutsi, Jeanne se rappelle de son enfance pendant laquelle “Hutus et Tutsis, peu importe, jouaient ensemble, mangeaient ensemble, allaient à l’école ensemble” . En quelques semaines, l’équilibre de la société rwandaise vacille et sa communauté en paie le prix fort.

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Mon oncle, chez qui nous vivions avec ma grande sœur, nous a demandé de partir vers le Sud, à destination de la première ville, dès que le génocide a commencé” se rappelle-t-elle. “Là-bas, on savait qu’il y avait des militaires qui nous tueraient avec des armes et pas avec des machettes… C’était notre seule perspective.”  Jeanne passera finalement plusieurs mois “cachée dans la brousse” par une famille, dormant “dans des trous ou des buissons“, avant d’être  recueillie par un orphelinat tenu par des religieuses italiennes – dont elle sera chassée quelques mois plus tard pour ne pas avoir voulu rejoindre les ordres… Ce récit, peu détaillé par manque de temps en raison d’un important retard du train la menant de Lyon, bouleverse les lycéens. 50 ans ont passé entre ces deux événements. Le monde de 1994 avait pourtant, sur le papier, évolué positivement par rapport à celui de 1944…

La paix est fragile. C’est le message que sont venus faire passer Charles Baron et Jeanne Allaire Kayigirwa. “Il faut se battre au quotidien pour la paix” précise Jeanne. “Et ca commence par un travail sur soi-même : peu importe la personne en face de vous, il faut la respecter, avec ses différences” précise-t-elle, en rappelant que les Juifs, comme les Tutsis, ont été stigmatisés sur des critères physiques fantaisistes.

C’est tout l’enjeu des deux semaines de conférences et de commémoration organisés par Saint-Mandé par la Commission mémoire de l’association.  “Nous voulons atteindre les jeunes et leur montrer qu’ils sont les garants de cette mémoire“, explique Déborah Sam Offenberg, en charge de l’organisation de cet événement.

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