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Justice | | 07/06/2023
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À la prison de Fresnes, le bâtonnier et le député témoins de la vétusté et de la surpopulation

À la prison de Fresnes, le bâtonnier et le député témoins de la vétusté et de la surpopulation

Toujours dans l’attente de grands travaux, la prison de Fresnes reste vétuste et en surpopulation chronique. Sept ans après l’accablant rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, les conditions d’accueil se sont améliorées mais les rongeurs et punaises de lit continuent de s’inviter dans les lieux. Ce lundi, le député du Val-de-Marne, Guillaume Gouffier-Valente (Renaissance), et le bâtonnier de Créteil, Édouard Billaux, sont venus constater sur place. Reportage.

Devant les grilles vertes de l’avenue de la Liberté, une famille sud-américaine attend qu’on lui ouvre. Munies d’un grand cabas pour trois, le petit clan est venu porter des draps à un proche incarcéré. “Pas les lundis. Je ne peux rien faire”, leur explique un surveillant pénitentiaire, rangers aux pieds et talkie-walkie à la main. L’air sincèrement désolé, il se démène pour leur trouver le numéro à composer pour obtenir le rendez-vous qui leur permettra de déposer le linge. “C’est souvent comme ça quand les gens viennent pour la première fois”, constate-t-il, habitué.

Derrière les grilles, la prison de Fresnes, la plus ancienne de France – elle fêtera ses 125 ans les 21 et 22 juin prochain. “C’est aussi la plus vétuste”, glisse Édouard Billaux, bâtonnier de Créteil. L’avocat accompagne Guillaume Gouffier-Valente, député Renaissance du Val-de-Marne, en visite parlementaire sur les lieux. Contexte de cette visite : la veille du début des discussions au Sénat du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027. Le texte prévoit notamment la construction de nouvelles places de prison, le recrutement de personnel pénitentiaire, et leur montée en grade.

Suroccupation chronique et délétère

La Maison d’arrêt de Fresnes, qui accueille aussi bien des prévenus en attente de jugement que des personnes condamnées à des courtes peines, compte actuellement quelque 1800 détenus pour 1300 places, soit un taux d’occupation de 138 %. Une situation problématique, mais qui a déjà été pire : il y a encore cinq ans, la suroccupation avait atteint les 200%. “Lors de ma précédente visite, les détenus partageaient leur cellule à trois”, se rappelle Guillaume Gouffier-Valente, déjà venu il y a quelques années, alors qu’il était collaborateur du député-maire de Fresnes Jean-Jacques Bridey. Aujourd’hui, sauf en quartiers d’isolement, les prisonniers dorment à deux. L’emprisonnement individuel est pourtant prévu par la loi depuis 1875, mais n’a jamais avoir été appliqué. “ll y a eu une amélioration, il faut continuer sur une telle dynamique”, tente de positiver l’élu.

Pendant la crise du coronavirus, les ordonnances de libération des détenus en fin de peine, émises pour enrayer la propagation du virus dans ces lieux exigus, avaient fait chuter l’occupation à un “record” de 108% – du jamais vu depuis des décennies. “Pendant la crise sanitaire, nous avons perdu plus de 600 détenus en quatre mois”, détaille Jimmy Delliste, directeur du centre pénitentiaire. Le retour au “monde d’avant” aura ensuite fait repartir les indicateurs à la hausse. En mai dernier, avec 73 162 détenus, la France a atteint son nouveau “record” de personnes incarcérées, portant le taux d’occupation moyen des prisons françaises à 120%.

Lire : Moins de détenus à Fresnes, mais jusqu’à quand ?

En cause, notamment : le recours à la détention provisoire, ainsi qu’aux courtes peines. “Le problème, c’est les effets de bords”, explique un membre de l’administration pénitentiaire. “Par exemple, quand on dit à un juge qu’il ne peut pas mettre une peine de moins d’un mois de prison, il aura tendance à en mettre deux. Il y a un allongement mécanique des peines.”

Accueillant plus de condamnés que sa capacité, l’établissement se dégrade aussi plus rapidement. Fin 2016, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté avait dressé un tableau sévère des conditions d’accueil, constant la présence de rats, cafards, punaises de lit.

Lire : Le scandale sanitaire de la prison de Fresnes confirmé par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Recours en justice : l’Etat condamné

Fin 2016, l’Observatoire international des prisons a attaqué à l’Etat en justice. Un an plus tard, c’est cette fois la Cour européenne des droits de l’Homme qui a été saisie par l’association ainsi que des avocats.

Depuis, l’Etat a été condamné à plusieurs reprises et, en plus de mesures d’urgences, des travaux d’ampleur doivent remettre à niveau l’établissement, qui ne sont toujours pas planifiés.

Nouveau bâtiment d’accueil des familles, nouvelles cours

De nouveaux équipements ont vu le jour, comme un nouveau bâtiment d’accueil pour les visiteurs avec aires de jeux pour enfants et espaces de détente, inauguré en mars dernier.

Lire : Prison de Fresnes : un nouveau lieu d’accueil pour les familles de détenus

Actuellement, ce sont de nouvelles cours de promenades qui sont en cours de construction. À ciel ouvert pour la plupart, elles seront toutes dotées d’un téléphone – payant. En outre, depuis deux ans, chaque cellule est dotée d’un combiné. “Ce qui n’empêche pas que les détenus aient leurs propres téléphones”, admet Jimmy Delliste.

Une des nouvelles cours de promenade en construction. Crédits : Édouard Billaux

Rats et punaises de lit restent un problème

Malgré ces aménagements, la saleté reste maîtresse des lieux. Alors que la visite se poursuit aux abords des cours de promenade, des détenus aperçoivent la délégation et l’interpellent. “Ouais les rats ! Les mauvaises conditions de vie !” crient certains derrière leurs barreaux, alors que d’autres poursuivent leurs conversations d’une cellule à une autre. “Y’a du stup ici si tu veux !” peut on saisir à la volée, parmi d’autres échanges.

Au premier étage du bâtiment des hommes, dans une cellule parmi d’autres, Olivier et son codétenu vivotent dans une odeur d’urine, accentuée par la chaleur de l’été qui commence. “Et encore, on est du côté où il n’y a du soleil que le matin !”, insiste le quarantenaire. Sur la plaque en bois qui sépare leurs deux lits superposés s’éparpillent conserves et produits de toilette. Au-dessus de l’évier, une petite télé diffuse le tirage du loto. Son codétenu, lui, reste debout et silencieux, les mains derrière le dos comme un élève modèle. Il y a encore une semaine, le binôme était logé au quatrième étage, mais les punaises de lit les ont forcés à bouger. “Notre établissement est vétuste”, reconnaît le directeur, sans détours.

“Les conditions de vie restent indignes”

“Il y a beau avoir des améliorations, les conditions de vie restent indignes. Dostoïevski disait qu’on ne pouvait juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ces prisons. Ce qui est clair, c’est que ce n’est pas le même degré de civilisation à l’intérieur et à l’extérieur”, plaide le bâtonnier de Créteil, Édouard Billaux, rappelant qu’en janvier 2022, un jeune homme placé en isolement avait été retrouvé mort dans sa cellule. La famille a depuis porté plainte pour omission de porter secours et homicide involontaire. “Tous les politiques qui ont abordé l’amélioration des conditions de vie en prison ont été taxés de laxisme. Mais rénover les prisons, c’est aussi donner de meilleures conditions de travail à l’administration pénitentiaire, et diminuer les risques de récidive ! Tout député devrait visiter une prison et dialoguer avec ses acteurs avant de s’exprimer sur le sujet”, abonde Guillaume Gouffier-Valente. Une allusion à demi-mots à la polémique Kohlantess, encore dans les esprits depuis l’été dernier.

Lire : Surenchère d’indignation après une animation inspirée de Kohlanta à la prison de Fresnes
Et : Épilogue Kohlantess à Fresnes : bilan de l’enquête, nouvelle circulaire et coup de gueule de la contrôleuse générale des prisons

Au quatrième étage, Nadir et son compère, maillot de l’Algérie sur le dos, font brûler de l’encens pour évacuer les mauvaises odeurs. Pour se protéger du soleil, les deux détenus devenus amis ont disposé vêtements et tapis de prière contre la fenêtre, et restent dans l’ombre. Sur un petit meuble contre le mur, les assiettes et les verres transparents sont soigneusement mis à sécher. Ici, on apprend à faire de la récup pour améliorer son quotidien. Au-dessus de l’évier, une boîte de conserve sert à mettre les brosses à dents. Un paquet de cigarettes accroché à la porte d’entrée stocke les cartes de détenus, indispensables pour pouvoir se déplacer dans le bâtiment. “Franchement, ça va. Il ne nous manque que la libération” sourit Nadir. Les deux affirment toutefois avoir vu des rats se balader lorsqu’ils étaient en promenade.

Dans le bâtiment des femmes, les deux détenues qui ouvrent leur porte à Guillaume Gouffier-Valente ont elles aussi vu des rongeurs.

Un difficile accès aux activités

Femmes et hommes s’accordent également sur la difficulté d’accès aux activités. Sport, formation scolaire ou professionnelle, travail : toutes les demandes mettent plusieurs mois à aboutir. Respectivement condamnées à un et deux ans fermes, les deux jeunes filles de 18 et 22 ans viennent de commencer une formation en commerce, qu’elles ont obtenu plusieurs mois après en avoir fait la demande. Chez les hommes, Olivier, emprisonné depuis sept mois, a demandé à travailler il y a six mois. “Même pour faire du sport, j’ai dû attendre quatre mois !”, déplore-t-il. Des délais d’autant plus longs que chez les hommes, la durée moyenne de l’incarcération est de moins de six mois, chiffre Jimmy Delliste.

L’intérieur d’une cellule de la maison d’arrêt pour femmes. Crédits : Édouard Billaux

“La formation professionnelle fait partie des domaines où l’on aimerait s’améliorer”, reconnaît Marion Georget, directrice de la maison d’arrêt des femmes. “Nous faisons surtout face à des contraintes bâtimentaires : pour faire de la couture, de la coiffure, il faut de la place. Il y a aussi un équilibre à trouver entre les préférences des détenues et l’employabilité de ces formations”, résume-t-elle en traversant les couloirs, tout récemment décorés par l’artiste vitriot C215. “Il y a en effet besoin d’une accélération à ce niveau-là, car c’est grâce à la formation et au travail que l’individu se reconstruit”, appuie Guillaume Gouffier-Valente.

Lire : Résistants, collabos, couloir de la mort… un musée abritera la mémoire de la prison de Fresnes

Sport, travail, formation, visites : en prison, tous les domaines de la vie sont marqués par l’attente, à Fresnes comme ailleurs. “Une fois, j’avais dû rendre visite à un client détenu à Fleury-Mérogis”, se remémore Édouard Billaux. “En plus du temps des contrôles de sécurité, j’avais dû attendre l’accusé une bonne quarantaine de minutes. Le temps qu’il arrive, les horaires de visite touchaient quasiment à leur fin. Nous n’avions pu nous parler que dix minutes!”

Réinsertion et compétences de base

Au-delà de la réinsertion, l’accès aux formations et au travail revêt aussi une importance financière : pour leur formation en commerce, les détenues touchent environ 2€ par heure. Dans l’atelier de façonnage, les prisonniers qui découpent des lamelles de bois pour fabriquer des tableaux, confectionnent des étiquettes à bagages pour la SNCF, ou préparent des commandes pour les supermarchés Leclerc de 7h30 à 13h30, gagnent 6€ de l’heure, tout en cotisant. Un salaire bien inférieur au SMIC pratiqué par-delà les murs, mais bien supérieur au 30€ mensuels alloués par l’État pour les “indigents”, ceux dont les ressources mensuelles sont inférieures à 60€ par mois. Ici, un paquet de pâtes coûte 1,20€ et une heure d’appel vers la métropole se paye 10€. En 2022, l’Observatoire International des Prisons estimait que 20% des détenus vivaient avec moins de 50€ par mois (seuil retenu à l’époque pour recevoir l’allocation d’indigence).

Autre enjeu de taille, l’accès aux formations scolaires de base, dans un univers où 44% des personnes n’ont aucun diplôme, et une sur dix est en situation d’illettrisme. À Fresnes, où plus d’une centaine de nationalités se côtoient, il n’est pas rare de croiser des détenus maîtrisant mal le français. Dans une petite salle de classe, Melano, venu du Surinam, et Thiago, du Brésil, s’appliquent à dessiner des cercles au compas. “Ici, c’est sale, tout est cassé”, lâche comme les autres Thiago, incarcéré après une bagarre avec son colocataire. Un peu confus, le Brésilien demande la raison de cet attroupement autour de lui. “C’est un député français ? Ah, bon. Et la visite, ça va changer quelque chose ?”

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