Alors que la loi autorisant la présence d’un avocat dès la première heure de garde à vue et durant tous les interrogatoires vient d’être promulguée, à la satisfaction générale des avocats. Plusieurs bâtonniers, notamment dans le Val de Marne ont demandé d’y surseoir. Explications.
Pour comprendre les tenants et aboutissants de la réforme actuelle de la garde à vue, il convient de revenir un an en arrière au 30 juillet 2010.
Rappel du contexte
A cette date, le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation, rendait une décision imposant au législateur de mettre en conformité les modalités de la garde à vue avec la Constitution en matière de présomption d’innocence et de garantie des droits (articles 9 et 16 de la Déclaration de l’Homme et Citoyen de 1789). Pour motiver cette décision, le Conseil constitutionnel expliquait que le contexte des gardes à vue avait évolué. Suite à une loi du 24 aout 1993 en effet, la pratique du traitement «en temps réel» des procédures pénales a été généralisée, ce qui a permis de gagner du temps pour rendre justice mais a augmenté le nombre de gardes à vue, faisant de ce temps la phase principale de constitution du dossier. Ainsi 790 000 mesures de gardes à vue ont-elles été prises en 2009. Dans le même temps, les exigences conditionnant l’attribution de la qualité d’officier de police judiciaire habilité à placer une personne en garde à vue ont été réduites et le nombre de ces officiers est passé de 25 000 en 1993 à 53 000 en 2009. Le Conseil constitutionnel concluait sa décision en donnant un an pour revoir la loi. (Voir la décision du Conseil Constitutionnel). Il s’agissait aussi de se mettre en conformité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Ce que dit la nouvelle loi du 15 avril 2011
Une nouvelle loi a donc été votée le 15 avril 2011. Elle stipule notamment, qu’outre une demi-heure de rencontre avec un avocat pour expliquer la situation, la personne en garde à vue peut réclamer sa présence durant tous les interrogatoires (désormais appelés auditions) sauf ceux qui consistent simplement à enregistrer son identité et sauf exception liée à certains crimes. De plus, l’avocat doit être appelé immédiatement et il n’est pas possible de procéder à un interrogatoire avant son arrivée (sauf s’il n’est pas là dans les deux heures). De leur côté, les plaignants peuvent aussi être assistés d’un avocat durant les confrontations. L’avocat peut consulter le procès-verbal notifiant la garde à vue, ainsi que ceux des auditions et peut prendre des notes. Il ne peut pas en revanche demander de copie. (Voir la loi du 15 avril 2011 sur la garde à vue)
Une avancée pour les avocats perçue comme un recul pour les policiers
Pour les avocats, ce texte constitue une avancée importante. Les policiers, en revanche, apprécient moins. Et dans un communiqué publié le 12 avril, trois syndicats de polie (Alliance police nationale, Synergie officiers et le Syndicat indépendant des commissaires de police) ont déclaré prendre acte de la loi «avec dépit», s’inquiétant que celle-ci n’entraîne «un déséquilibre inquiétant entre droits de la défense et moyens d’action des enquêteurs, au préjudice des victimes». Alliance police nationale a du reste déjà créé un groupe Facebook contre la réforme.
L’application immédiate déboussole
Alors que la loi devait en principe commencer à s’appliquer début juin, les choses se sont accélérées après que la Cour de cassation ait rendu des arrêts censurant des jugements concernant des personnes en situation irrégulière sur la base que leur garde à vue n’avait pas respecté – non pas la loi nouvellement votée, mais la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, rendant indirectement la loi du 15 avril applicable immédiatement, afin de se mettre en conformité avec la Convention européenne. (Voir l’arrêté) Un arrêté que la Cour de cassation aurait pu (et même dû – selon les avocats) rendre bien avant la promulgation de la loi mais qui tombait à pic dans l’actualité, bousculant au passage les agendas. Conséquences de l’application immédiate de la loi : toutes ses modalités d’application n’ont pas encore été clairement notifiées.
Les avocats du Val de Marne dans l’attente
C’est ainsi que les bâtonniers (premier avocat d’un barreau) du Val de Marne comme des Deux Sèvres et encore de Vannes (Morbihan) ont demandé à leurs pairs d’attendre avant d’agir, certains avocats s’inquiétant notamment de la rémunération qui sera octroyée aux avocats commis d’office. Une réaction qui peut évidemment sembler paradoxale, le combat pour la présence dès la première heure en garde à vue étant mené par les avocats depuis longtemps.
Concernant les rémunérations des avocats commis d’office auprès des prévenus, rien n’est confirmé pour l’instant mais le garde des sceaux a évoqué une rémunération de 300 euros bruts pour les premières vingt-quatre heures de garde à vue, majorée de 150 euros en cas de prolongation quand la profession en réclame 366 € jusqu’à 24 heures. Des sommes, qui selon qu’on les divise par 3 heures effectives (pour les premières 24 heures) comme cela a été calculé par le ministère de la Justice ou 24 heures effectives comme le font les bâtonniers qui plaident pour une meilleure valorisation, n’ont évidemment rien à voir, passant de 5 € à 100 € de l’heure !
Avocat au barreau de Paris, maître Dominique Mathonnet tempère la situation : «Le plus important et urgent est de mettre les pieds dans le commissariat pour pouvoir défendre les droits des personnes et il serait dommage que les avocats donnent l’impression d’un combat sur des questions pécuniaires alors que ce n’est pas l’enjeu. Pour autant, il faut comprendre que les situations diffèrent d’un barreau à l’autre. A Paris, il y a plus de 20 000 avocats quand le Val de Marne en compte 500. Et dans les Deux Sèvres, se pose la question des distances à parcourir. Au-delà des questions matérielles, il convient également de préciser toutes les modalités d’accès au dossier. Il est donc sage de prendre le temps d’appliquer une loi très attendue et qui devrait permettre de diminuer le nombre de gardes à vue» En attendant, la consigne dans le Val de Marne est de continuer à appliquer la loi antérieure en précisant dans une note qu’il n’a pas été possible d’appliquer la nouvelle loi en l’état, ceci permettant éventuellement d’invalider les procédures de jugement dans un second temps.
Premier retour d’expérience
A Paris, la réforme a commencé à être appliquée dès ce week-end. Selon la préfecture de police de Paris, 122 avocats se seraient déplacés pour 299 demandes (sur un total de 535 gardes à vue sur Paris, les Hauts de Seine, le Val de Marne et la Seine Saint Denis), soit un taux de réponse aux demandes exprimées de seulement 40 %. A noter toutefois, qu’outre que la loi avait été promulguée la veille, nous sommes aussi en période de vacances scolaire. De plus, les avocats du Barreau de Seine Saint Denis sont actuellement en grève à propos de leur rémunération pour l’aide juridictionnelle aux plus pauvres. A lire : le retour d’expérience de ce premier week-end par Maître Eolas (avocat et célèbre blogueur anonyme) interviewé sur ce sujet dans le cadre d’un chat du journal Le Monde.
La république est une et indivisible (sauf chez quelques irréductibles gaulois) !
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