Bande de guidage podo-tactile, installation d’un ascenseur pour accéder à un équipement public, feux sonores à un carrefour, stations de bus aménagées pour les fauteuils roulants… timidement mais sûrement, la question de l’accessibilité de la ville à tous les porteurs de handicap (moteur, sensoriel, psychique…) fait son chemin dans le Val de Marne.
Certes, la grande majorité des communes sont en retard par rapport aux exigences imposées par la loi Handicap de 2005 qui a pleinement fait de l’accès universel à tous les porteurs de handicap un droit assorti d’obligations légales. «Dans le Val de Marne, seulement 8 communes sur 47 ont élaboré un PAVE (Plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics) malgré les relances du préfet, alors que la loi imposait leur achèvement avant la fin 2009», observe Claude Boulanger-Reijnen, président de la Commission des droits et de l’autonomie et de la Maison des personnes handicapées (CDAPH-MDPH) du Val de Marne et vice-président du Conseil départemental consultatif des personnes handicapées (CDCPH).
Beaucoup de personnes sont pourtant concernées. «La MDPH (Maison départementale du handicap) du Val de Marne reçoit près de 80 000 demandes de prestations liées au handicap par an. En tenant compte de leur entourage proche, 200 000 personnes sont concernées par le handicap dans le département, soit 15% de la population», reprend Claude Boulanger-Reijnen.
Nonobstant, nombre de communes ont commencé à se pencher sur la question, aiguillonnées par les associations locales de personnes handicapées ou mues par l’initiative d’un élu concerné. Le Conseil général a également initié des ateliers d’échanges de bonnes pratiques entre les villes qui le souhaitent (actuellement 31 sur 47), et organisait à ce titre hier matin ses assises annuelles de l’accessibilité en Val de Marne afin de faire le point sur la situation et d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion, en présence d’une centaine de professionnels chargés de cette question dans leur commune, d’élus et de porte-paroles d’associations.
Parcours du combattant au quotidien
Pour résumer la complexité du défi de l’accessibilité en ville, Frédéric Blanzat, directeur de l’APF (Association des paralysés de France) du Val de Marne, évoque la situation au quotidien d’un citoyen du département confronté au handicap moteur, depuis la totale dépendance au bon fonctionnement de l’ascenseur de son immeuble jusqu’au besoin de disposer d’écoles accessibles pour y accompagner ses enfants, en passant par la marche rédhibitoire conditionnant l’accès à la boulangerie, la hauteur inadaptée du mobilier standard ou encore le rebord intempestif des bacs à douche. De multiples embûches plus ou moins incapacitantes qui constituent un environnement globalement hostile aux handicaps et nécessite, pour s’y attaquer, une politique multidirectionnelle et coordonnée, qui ne s’arrête pas aux limites d’une commune.
Obstacle majeur : la discontinuité
«Un certain nombre d’aménagements ont été faits ici et là pour améliorer l’accessibilité aux personnes handicapées mais le problème qui perdure est celui de la continuité du cheminement. Nous devons en conséquence programmer notre autonomie au quotidien et c’est très lourd. Il est difficile de s’imaginer ce que cela représente tant que l’on n’est pas concerné directement, quelle que soit la situation de handicap», pointe Claude Boulanger-Reijnen.
«Dans le Val de Marne qui se situe en proche couronne de Paris, la réflexion urbaine à l’échelle de la commune, comme elle est menée dans le cadre des PLU (Plan local d’urbanisme), ne permet pas de prendre en compte le parcours complet des personnes, ne serait-ce que pour aller travailler», reconnaît Franca Malservisi, architecte au CAUE 94 (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement du Val de Marne).
Une autre difficulté est la compatibilité de l’accessibilité à toutes les formes de handicap. Comme le souligne Frédéric Blanzat, si les personnes en fauteuil souhaitent un abaissement des trottoirs, les malvoyants s’y refusent car cela constitue pour eux des repères indispensables… A condition de se concerter, la réponse existe : une bande de guidage podo-tactile sur un abaissement de trottoir.
Autant de difficultés qui n’empêchent toutefois pas d’avancer, étape par étape. Dans le département, plusieurs communautés d’agglomération comme celles de Plaine Centrale, de la Vallée de la Bièvre ou du Haut Val de Marne, planchent sur l’élaboration d’un PAVE. Quelques communes ont même été au bout de la démarche. C’est le cas par exemple de Saint Maur des Fossés qui a adopté son plan avec l’aide d’un bureau d’étude, après un diagnostic de neuf mois. Le plan pose un regard général sur l’accessibilité des voies et des équipements, hiérarchise les parcours et bâtiments prioritaires à mettre en conformité, et planifie les étapes sur le court et le moyen terme, en fonction du budget. Car l’un des enjeux majeurs du problème est bien-sûr celui de son financement. «La majorité des Commission communales ou intercommunales d’accessibilité se tiennent après le vote du budget dans les communes», regrette du reste Claude Boulanger-Reijnen.
Hiérarchiser pour rentrer dans le budget
A Saint-Maur, le budget a donc été planifié sur le long terme grâce au PAVE. «La commune comprend 187 km de rue et le double de trottoirs. Sachant qu’il en coûte 100 000 euros par km pour les rendre accessibles, cela revient à plus de 35 millions d’euros ! Un budget impensable pour la ville. Nous avons donc déterminé différentes zones de vie d’environ 1km de rayon au sein desquelles nous avons établi des priorités en fonction de l’importance de leur fréquentation. Nous avons par exemple retenu le supermarché, l’école, l’église… prioritairement à la mairie qui est symbolique mais où l’on se rend moins souvent. Pour ce qui est des écoles, nous travaillons sur une ou deux écoles mais ne pouvons pas toutes les mettre en accessibilité tout de suite. La hiérarchisation des priorités par rapport aux besoins des personnes handicapées est très importante car, malheureusement, le budget d’une commune ne permet pas de mettre aux normes l’ensemble de ses infrastructures à court terme. Le budget que nous allouons à la mise en accessibilité est de 300 000 euros par an, et notre objectif est d’avoir traité l’essentiel d’ici 2020», détaille Joseph Gicquel, maire adjoint en charge du handicap à la mairie de Saint Maur. «Concernant le handicap mental, peu concerné par le Pave, l’accessibilité passe par la formation des personnes qui accueillent», ajoute l’élu.
Des initiatives au-delà du PAVE
Vincennes a pour sa part acté un plan handicap 2012-2016, qui fait suite à un premier plan mis en place dès 2006, qui comprend des fiches action dédiées à l’accessibilité, et budgétées de manière concrète. Ces actions concernent les travaux de voirie, la mise en place de feux sonores, la lutte contre les incivilités (dépôts intempestifs d’objets, non-respect du stationnement réservé aux handicapés…), la mise aux normes de logements sociaux, d’équipements publics, l’incitation des commerçants à se mettre en accessibilité comme la loi l’exige d’ici à 2015… Joinville le Pont a édité un guide pratique dédié au handicap. Fontenay sous Bois a également signé une charte ville-handicap avec des partenaires comme l’Education nationale, le conseil général, Pôle Emploi, les bailleurs sociaux… pour travailler à l’accessibilité de leurs bâtiments. La ville organise en outre des Handicapades chaque année pour sensibiliser à cette question, car, comme le rappellent plusieurs chargés de mission handicap, l’important est aussi de travailler sur le regard des autres. Au niveau du département, un diagnostic accessibilité a été réalisé pour l’ensemble des 277 bâtiments départementaux et le Val de Marne a également signé une convention avec la Seine Saint-Denis et la Ville de Paris pour améliorer l’accès des personnes handicapées psychiques et mentales à la culture.
Mode d’emploi : se donner les moyens politiques
Invitée aux Assises de l’accessibilité pour témoigner sur l’expérience de Nantes, la maire adjointe de la ville, Catherine Choquet, a insisté sur la manière de s’organiser, notamment la nécessité de sensibiliser chaque élu et chaque chef de service sur la question, afin d’intégrer l’accessibilité comme un réflexe, à chaque décision, et pour cela de reconnaître l’importance de cette délégation. «Je suis troisième adjointe, et cela n’est pas anodin de confier la question du handicap à l’un des premiers adjoints.» La ville a aussi créé un Conseil du handicap composée de 60 personnes réparties en trois collèges (citoyens, associations, organismes partenaires type bailleurs sociaux ou sociétés de transport).
Comment traduire les normes liées au handicap en arguments de séduction ?
Lorsque financement et volonté politique sont au rendez-vous, la traduction des normes d’accessibilité en une architecture urbaine qui donne envie reste un défi qui ne va pas toujours de soi. «Il a fallu longuement argumenter auprès de l’architecte de notre futur musée, avec les représentants de handicapés, pour qu’il accepte d’intégrer un ascenseur en façade dans son projet. Et une fois convaincu, il nous a demandé d’en installer deux pour respecter la symétrie ! Mais notre budget n’était pas extensible à ce point !», témoigne Catherine Choquet.
Pour Florent Orsoni, également invité aux assises départementales en tant que directeur du centre de design et d’innovation sur la ville durable à la Cité du Design de Nantes, il faut penser l’accessibilité, non pas en normes rebutantes, mais en concept plus global d’ergonomie, confort, sécurité, qualité d’orientation et simplicité pour tous, en passant d’une logique de flux à une logique d’usagers. Clichés à l’appui, Florent Orsini propose par exemple de remplacer une bande de guidage podo-tactile par un ensemble de mobilier urbain intégrant par un banc, une poubelle…
Accessibilité des commerces
Tous les équipements ne dépendent pas des collectivités locales. C’est le cas notamment des commerces, difficilement accessibles de par leur porte parfois lourde à pousser et surtout de la marche qu’il faut monter pour y entrer. Un sujet sur lequel les élus n’ont qu’une fonction incitative en aidant les magasins à bénéficier d’aides financières pour se mettre aux normes (fonds FISAC) ou en autorisant les permis de travaux modificatifs qu’en contrepartie de la mise en accessibilité. Sur le papier, la loi a toutefois prévu une date butoir : 2015. Il restera alors à travailler sur l’agencement intérieur : largeur des allées, cabines d’essayage, hauteur des produits de base sur les linéaires…
Appel au civisme
Un autre obstacle à l’accessibilité qui ne dépend pas de la commune est celui du non-respect des aménagements prévus. «Nous constatons des difficultés pour faire respecter les places de stationnement pour handicapés, l’incivisme demeure exponentiel, déplore Claude Boulanger-Reijnen. En effet, si les personnes se garent de moins en moins sur les emplacements réservés, elles se garent de plus en plus devant, bloquant ainsi leur accès pour……”seulement 5 minutes !”.
Transports publics : des progrès
Au-delà de la voirie et des bâtiments, les transports publics sont stratégiques aux personnes handicapées comme à tous les habitants de la banlieue. Actuellement, toutes les lignes de RER sont accessibles aux personnes handicapées moteur. Un site, Infomobi, renseigne même en temps réel les pannes d’ascenseur du réseau et détaille l’accessibilité de l’ensemble du réseau de transport parisien par type de handicap. Pour les aveugles, des bandes sonores podo-tactiles sont installées sur les quais. 40 lignes de bus RATP sont également accessibles (une ligne de bus est déclarée accessible lorsque 70 % des arrêts sont aménagés et qu’une rampe d’accès est installée). Dans le département, 2020 arrêts de bus sur 3000 ont été aménagés. Il existe également un service public de transport à la demande pour les personnes handicapées, Filival.
Logement social : encore trop de flottement
Autre enjeu fondamental pour les personnes handicapées : celui du logement. Un problème particulièrement important dans un département sous tension immobilière comme le Val de Marne. «Les bailleurs sociaux ont l’obligation de recenser les appartements accessibles aux personnes handicapées mais tous ne le font pas. Il reste aussi beaucoup à faire pour prendre en compte le handicap dans la Commission d’attribution des logements, dont les règlements intérieurs de fonctionnement ne sont pas communiqués», constate Claude Boulanger-Reijnen.
Coordonner et échanger
Face à ces multiples défis, beaucoup d’initiatives sont en cours, à l’échelle de chaque ville ou de chaque organisme, qui aspirent à être échangées, coordonnées, intégrées à un plan d’ensemble. Au niveau associatif, une trentaine d’associations locales et gestionnaires de structures et de services médico-sociaux qui oeuvrent chacune sur un aspect du handicap ont constitué un collectif, le CIA (Collectif Inter-Associatif), et se réunissent une fois par mois pour décider des priorités et faire le point.
Concernant les collectivités locales, le Conseil général poursuit ses ateliers avec les communes. «Nous avons identifié les personnes compétentes dans chaque collectivité et travaillons sur plusieurs thématiques, le PAVE, la mise en accessibilité des voiries, des équipements, du transport, des logements, en échangeant les pratiques et en invitant des collectivités qui ont expérimenté des initiatives intéressantes», explique Christophe Ambroise, chef de projets accessibilité-mobilité au sein de la collectivité. Le département a également initié le développement d’une application informatique de gestion des données (GEVU, Globale Evaluation Urbaine) permettant de visualiser l’état d’accessibilité de chaque équipement sur l’ensemble du département, en partenariat avec l’Université Lille 1.
C’est dans ce contexte d’échange des bonnes pratiques que se tenaient les assises de l’accessibilité. Et comme toujours, le diable se niche dans les détails… Comme l’a malicieusement fait remarquer un participant en fauteuil «Que pensez-vous du design d’une estrade accessible ?» (voir l’image ci-dessous !)
Liens utiles
Questions/réponses pratiques sur le PAVE
Rapport national (Journées de l’accessibilité 2010)
Rapport du Sénat accessibilité (Juillet 2012)
Site départemental de l’Association des paralysés de France
A Chevilly-Larue, la question de la discontinuité a été réfléchie sous la forme de la mise en place de « parcours de nécessité » à travers la ville pour repérer les trajets incontournables empruntés pour se rendre dans les points stratégiques du territoire chevillais.
Un Comité consultatif du handicap composé d’élus, d’agents des services municipaux et de personnes atteintes d’un handicap physique s’est par ailleurs constitué pour y réfléchir.
Dans le courant du mandat, ce groupe a sillonné des rues de la ville en compagnie de Jean-Paul Homasson, maire-adjoint délégué à la Prévention-santé, de Didier Dubarle, premier maire-adjoint, et d’agents municipaux du service Handicap pour repérer les difficultés de déplacements auxquelles elles sont quotidiennement confrontées.
Cette initiative a donné lieu à la réfection de parties de voiries endommagées, au réglage des feux sonores ou au déplacement de mobiliers urbains. Douze carrefours de la ville sont maintenant équipés de modules dispensant un signal sonore sur commander. Toutes les rues faisant l’objet de réhabilitation ont été mises aux normes d’accès aux personnes à mobilité réduite.
Un appel constant au civisme concernant les branches des haies de jardin pouvant dépasser sur la voie publique,le garage de véhicules sur les trottoirs ou les bateaux, afin de ne pas entraver la circulation des personnes à mobilité réduite.
Concernant le transport, afin de permettre aux personnes qui ont des difficultés à marcher, la ville a lancé en 2013un service gratuit de transport à la demande.
Concernant le logement, dans son projet pour 2014-2020 Stéphanie Daumin, tête de la liste d’union et de rassemblement évoque pour Chevilly-Larue des “logements spécialement adaptés aux retraités, aux personnes handicapées et aux jeunes […] prévus dans les nouvelles constructions pour favoriser les parcours résidentiels de ceux qui ont le plus de mal à trouver un logement adapté à leurs moyens financiers et leurs capacités physiques” et envisage pour 2014-2020 “une mission handicap, pour améliorer l’accueil et faciliter des démarches des personnes atteintes de handicap, un foyer d’hébergement pour l’autonomisation de jeunes adultes handicapés.”
Pour en savoir plus…
Tout savoir sur es projet de l’équipe de Madame Daumin concernant le handicap
Oui mais est-ce que le but est atteint (comme la tarte …)
http://mdb94.org/spip.php?article704
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