Société | Val-de-Marne | 30/08/2012
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Roms en Val de Marne : réponses politiques et actions concrètes

Roms en Val de Marne : réponses politiques et actions concrètes

Comment réagir à la présence des 1500 à plus de 2000 Roms installés dans des campements de fortune dans le Val de Marne ? Quelle position adopter entre fermeté vis à vis d’installations illégales et humanisme envers une population déjà stigmatisée dans son pays d’origine ? Avec quels moyens et dans quelle limite ? Tel est le casse-tête des élus locaux comme des associatifs.

Alors que la question des campements de Roms en France a ressurgi dans l’actualité de l’été avec la reprise des expulsions et la réunion interministérielle visant à assouplir les conditions de travail des ressortissants roumains et bulgares, le Val de Marne, qui compte entre 1500 et un peu plus de 2000 Roms selon les associatifs, figure parmi les territoires les plus concernés par ce débat. Plus d’une vingtaine de sites du département accueillent de quelques personnes à plusieurs centaines et les chiffres sont en constante progression.

Dans les terrains les plus importants, comme à Ivry sur Seine ou Sucy en Brie, la population augmente régulièrement, alimentée à la fois des expulsions de camps voisins (notamment de l’Essonne, La Seine et Marne ou la Seine Saint Denis) et de nouvelles arrivées directement de Roumanie.

Composée de clans familiaux plus ou moins étendus, cette population venue en France pour mettre les enfants à l’école, bénéficier de meilleures conditions économiques et fuir les discriminations dont ils sont victimes dans leur pays d’origine (Roumanie ou Bulgarie), s’installe en périphérie des communes, sur des terrains provisoirement non occupés mais non prévus à cet usage. Des installations sauvages qui posent des problèmes de salubrité publique (pas de système d’assainissement ni d’évacuation des déchets) et de sécurité (feux sur place, prise d’électricité directement aux poteaux électriques), mais qui constituent en même temps le seul refuge pour ces personnes. Face à ces nouveaux bidonvilles, les réactions vont de l’empathie au rejet. Les réponses politiques, elles, offrent un clivage gauche-droite clairement marqué.

Du côté du Front de gauche, d’EELV, ainsi que des associations qui interviennent sur le terrain, pas question d’expulser sans solution. Pour des raisons d’humanité, mais aussi d’efficacité. Une tribune parue dans le Monde du 8 août, cosignée par le président du Conseil général, Christian Favier, dénonce ainsi le coût des reconduites à la frontière : «Quel gâchis de voir un ressortissant roumain expulsé par avion, accompagné par deux policiers français – ceci coûtant au contribuable 8 000 euros, soit cinq smic -, et de le voir revenir en France quelques jours plus tard parce qu’il n’a subi aucune condamnation de justice et que sa liberté de circulation est un des acquis de la construction européenne.»

Circuler ou travailler

Liberté de circuler mais pas de travailler, telle est en effet l’une des contradictions qui contribuent au problème. Si, depuis 2007, tous les ressortissants européens peuvent aller librement au sein de l’Union, des mesures transitoires ont été prises par plusieurs pays, dont la France, pour éviter un afflux de main d’œuvre bon marché en provenance de la Bulgarie et la Roumanie. Ces mesures (comme la limitation de l’émigration de travail à certains métiers, le paiement d’une taxe par les employeurs…) qui doivent disparaître fin 2013 sont mises en cause par les associations et par la gauche, et ont fait l’objet d’un assouplissement suite à la réunion interministérielle sur les Roms qui s’est tenue le 22 août autour du premier ministre, Jean-Marc Ayrault.
Cet assouplissement fait l’unanimité à gauche, les associations trouvant même que cela ne va pas assez loin et dénonçant les effets pervers de ces restrictions comme le travail en France de ressortissants roumains et bulgares, employés légalement mais par des entreprises européenne situées hors de France.
A droite en revanche, la levée partielle des mesures transitoires suscite la réprobation.
Est-ce que véritablement il faut ouvrir le marché du travail de manière anticipée alors que les Français connaissent un certain nombre de difficultés d’emplois ?” s’est interrogé Brice Hortefeux sur RTL le 24 août.

Sécurité publique et respect de la loi

«On ne peut pas poser le problème sous le seul angle de l’emploi. C’est aussi le mode de vie des Roms qui pose problème. On ne peut pas s’installer n’importe où n’importe comment, en piquant l’électricité directement aux poteaux et l’eau aux bornes d’incendie, en les détériorant au passage. La règle du jeu doit être la même pour tous. Dans ma commune, des Roms se sont installés directement en amont du périmètre de captage des eaux potables et dans le périmètre de dangerosité maximale d’un site Seveso 2. Et alors que nous devons respecter une série de mesures de précautions, que notamment les feux de broussaille sont interdits, ils allument de gigantesques brûlis pour séparer les gaines des câbles ! soulève Didier Gonzalès, maire UMP de Villeneuve le Roi. Ce n’est pas en donnant des signaux pour qu’il y ait de plus en plus d’arrivants que l’on va résoudre les problèmes. Toute occupation illégale doit être évacuée.»

Concilier démantèlements et intégration ?

Aux commandes du pays depuis mai 2012, les socialistes tentent pour leur part de cheminer entre mesures d’intégration et de sécurité publique. Une posture qui s’est illustrée cet été avec le démantèlement de plusieurs campements en parallèle d’un assouplissement des mesures transitoires de frein à l’emploi des Roumains et Bulgares. Posture qui se retrouve aussi dans la circulaire interministérielle publiée ce mercredi 29 août et relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites. Dans une tribune parue dans le Monde du 14 août, plusieurs élus locaux PS, dont le sénateur-maire d’Alfortville, Luc Carvounas, ont justifié cette politique de démantèlement des campements illicites : «Nous savons parfaitement les implications d’une telle action; nous connaissons, tout autant, les raisons qui la motivent : conditions d’insalubrité intolérables pour les personnes, en particulier les familles avec enfants, et tensions croissantes avec les populations avoisinantes jusqu’à menacer la vie en collectivité.»

Les élus locaux ne peuvent pas tout

Un point sur lequel s’accordent en tout cas tous les élus locaux est leur impossibilité de résoudre seuls la question des campements de Roms. «L’insertion (salubrité, accompagnement scolaire…) a un coût qu’une collectivité locale et ses administrés ne peuvent pas supporter seuls. L’Etat doit proposer des solutions claires en synergie avec ce que nous faisons dans nos départements et avec l’Union européenne. Chacun doit prendre sa part de manière équitable. Il ne faudrait pas par exemple que les villes de gauche se chargent d’accueillir seules les personnes que les villes de droite leur renvoient. Et au niveau européen, la Roumanie et la Bulgarie doivent aussi prendre leurs responsabilités. Il ne suffit pas de recevoir les subsides des fonds européens», motive Luc Carvounas.

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Sur le terrain : un faisceau d’actions pour gérer les urgences

En attendant, la vie s’organise sur le terrain. Les associations et les comités de soutien composés de riverains parent au plus pressé. Premier souci : rester sur place. Une lutte qui passe par un combat juridique contre les propriétaires de terrain (Etat, collectivités locales, privés) parfois en opposition, parfois avec le soutien des communes. Objectif : obtenir des sursis pour gagner du temps, voir venir, tenir jusqu’à la fin d’une année scolaire ou être en position de force pour négocier des solutions de relogement. Si quelques camps comme Villeneuve le Roi et le grand terrain de Sucy en Brie (route de Bonneuil) sont sous le coup d’une expulsion imminente, la plupart des sites sont en attente d’une nouvelle audience. «Nous nous battons sur le strict terrain du droit et des procédures. Sur le fond, nous sommes confrontés à l’opposition entre deux droits : le droit de propriété et le droit au logement. Les deux sont de valeur inégale car le droit de propriété est constitutionnel tandis que le droit au logement est encore naissant», explique Jerome Karsenti, avocat qui défend plusieurs familles de Roms, également conseiller municipal d’opposition socialiste à Sucy en Brie. Côté logistique, certaines communes prennent en charge le ramassage des poubelles en installant des containers. D’autres fournissent également, eau, électricité… Cet hiver, Ivry sur Seine a par exemple payé de l’essence pour que les habitants du bidonville de l’hôpital Charles Foix puissent se chauffer.

Ecole et santé publique

Autre préoccupation d’urgence : la scolarisation des enfants. Sur le papier, tous les enfants mineurs présents sur le territoire français doivent être scolarisés sans condition de régularité de séjour de leurs parents ou de leurs responsables légaux. En pratique, la scolarisation des enfants n’est pas qu’une simple formalité. Il faut d’abord que les familles soient d’accord et s’engagent à ce que leurs enfants aillent régulièrement à l’école. Il faut ensuite que les enfants soient domiciliés par des structures habilitées à le faire. «Nous travaillons avec les Restos du cœur pour les domiciliations. Nous avons craint un moment qu’elle ne puisse pas en accueillir de nouvelles mais l’association s’est engagée à prendre en charge les domiciliations permettant d’accueillir de nouveaux enfants Roms à la rentrée, explique-t-on à la mairie de Villejuif. Nous réfléchissons aussi à prendre en charge ce service, via le CCAS (comité communal d’action sociale) mais cela nécessite du personnel pour gérer, stocker les courriers… »

Associations, collectivités locales et adminsitrations organisent aussi le suivi sanitaire (vaccination des enfants qui vont à l’école, suivi des grossesses, prévention…). Dans le Val de Marne et la Seine Saint Denis, l’ONG PUAMI (Premières urgences Aide médicale internationale) a été missionnée par l’Agence régionale de santé pour faire de la médiation sanitaire auprès des Roms. «Nous intervenons dans le 94 depuis mai 2012, à Créteil, Villejuif et Villeneuve le Roi, explique Hélène Prachez, en charge de la mission. Notre rôle est de sensibiliser les populations roms migrantes à certaines thématiques comme par exemple la tuberculose, la santé buccodentaire, le suivi de maternité, la contraception… et les inciter à aller vers les structures de santé publique (Hôpitaux, PMI…) et à s’en faire accepter. Aujourd’hui, l’une de nos principales difficultés est l’obtention de l’AME (Aide médicale d’Etat), faute de domiciliation. Or, sans AME, il n’y a pas de prise en charge possible sauf aux urgences, mais il ne s’agit plus alors de prévention. Notre satisfaction est en revanche d’avoir réussi à établir un lien de confiance. Au départ, la peur de l’expulsion passait avant la santé. Aujourd’hui, nous avons recadré le débat et les Roms viennent nous voir d’eux-mêmes.»

Autant de démarches régulièrement interrompues par les expulsions. Difficile en effet d’emmener son enfant à l’école si l’on est parti s’installer à l’autre bout du département, ainsi que de rester en contact avec les associations.

Intégrations en cours

Malgré ces difficultés, plusieurs expériences pilotes de pérennisation ont vu le jour dans le Val de Marne. C’est le cas par exemple du village d’insertion d’Orly (voir notre reportage) piloté par l’association Habitat Solidaire et financé conjointement par le Conseil général, l’Union européenne et la ville d’Orly, qui accueille 74 personnes. 70 personnes ont également trouvé domicile à Choisy le Roi, en partenariat avec Emmaüs, et une quarantaine dans une ancienne gendarmerie de Saint Maur. En sursis d’expulsion, une trentaine de personnes installées dans un hangar de Sucy en Brie (où doit s’installer prochainement une manufacture de la marque Cartier) devrait aussi être prochainement relogée dans un ancien bâtiment Emmaüs.

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Sucy en Brie : l’un des plus grands camps de Roms de France

A l’inverse de ces petites communautés finalement relogées, le gigantisme de certains campements suscite le désarroi des accompagnants. C’est le cas de l’ancien site Véolia à Sucy en Brie (route de Bonneuil), passé de 400 à près de 800 habitants en quelques mois. «Au départ, une cinquantaine de personnes expulsées de Vigneux (Essonne) s’y sont installées. Nous avons été contactés par des amis de l’Essonne qui les accompagnaient sur place et avons essayé de prendre le relais, tout en étant déjà impliqués ailleurs. Nous avons essayé de remotiver de nouveaux militants mais n’avons pas eu assez de moyens humains. La situation nous a dépassés, confie Aude Léveillé, de Romeurope 94. Le soutien continue auprès des familles qui nous connaissent déjà et avec qui la confiance s’est instituée. Pour les autres, victimes d’expulsions d’autres terrains, nous avons passé le témoin à une autre ONG pour leur demander de réaliser un diagnostic sanitaire. L’Etat doit aussi prendre ses responsabilités concernant ses obligations régaliennes (scolarisation, hygiène, suivi sanitaire…).»

Même constat pour Hélène Prachez, de PUAMI. «Nous n’intervenons pas à Sucy. Nous avons visité le camp en juin et nous sommes posés la question. Nous devions alors prioriser dix terrains et à l’époque, il y avait déjà entre quatre cent et cinq cent personnes ainsi que des décisions de justice d’évacuation. Depuis, le terrain a continué à grossir et il n’y a toujours pas eu d’évacuation. Du coup, nous nous posons à nouveau la question. Mais le risque d’expulsion reste une épée de Damoclès et il est difficile de créer des liens avec 800 personnes», analyse la responsable de mission.

«Les habitants de ce camp ne sont pas accompagnés et ont leur propre loi. Tout le monde se méfie d’eux aux alentours et ils n’ont le droit de rentrer que famille par famille chez le supermarché du coin», constate encore Béatrice Cussac, membre du comité de quartier qui accompagne d’autres familles Roms à Sucy.

L’expulsion imminente de ce gigantesque camp qui approche doucement du millier d’occupants suscite également l’inquiétude aux alentours. Et ce-sont parfois les habitants eux-mêmes des terrains occupés qui craignent de voir affluer de nouveaux arrivants qui risqueraient de mettre à mal les débuts de prise en charge dont ils font l’objet. Certains ont du reste la consigne de prévenir en cas d’arrivée de nouvelles familles sur le camp, afin d’éviter de reproduire la situation sucyenne. Ainsi, le 27 août, lorsque quelques familles issues de Sucy ont tenté de s’installer dans un nouveau camp de Limeil Brévannes, occupé depuis la mi-août par une trentaine de personnes, ils se sont fait refouler et quelques-uns ont même été embarqués au poste quelques heures pour la forme.

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Les Roms et les autres

Pour les élus, il s’agit non seulement d’accompagner les Roms mais aussi de tenir compte des réactions des habitants de la ville. Certains sont excédés, d’autres solidaires par principe, d’autres encore évoluent au fil du temps. «La population est partagée, peu de personnes savent qu’ils sont citoyens européens mais qu’ils n’ont pas le droit de travailler et qu’ils sont discriminés dans leur pays. Malheureusement, la délinquance et la mendicité s’expliquent. Certains le comprennent, d’autres non car ils sont eux-mêmes en difficulté. Une fois que le dialogue s’instaure, les choses vont beaucoup mieux, explique-t-on à la mairie de Villejuif. Au printemps, il y a même un collectif d’habitants des Hautes bruyères qui a été à la rencontre des Roms pour tisser des liens.» Le climat n’est toutefois pas toujours idyllique et il n’y a pas besoin de chercher longtemps pour recueillir les témoignages d’habitants ulcérés par la présence des campements sauvages de Roms à leur porte, parfois jaloux d’un traitement qu’ils jugent complaisant. «Dans ma ville, il y a plus d’un millier de demandeurs de logements sociaux qui attendent patiemment leur tour en respectant les règles du jeu. Je ne vois pas pourquoi les personnes qui s’installent de manière illicite devraient bénéficier d’un traitement de faveur. Le pays est bien organisé pour accueillir les étrangers, et nous avons plusieurs communautés étrangères à Villeneuve le Roi, mais encore faut-il savoir demander l’hospitalité», défend Didier Gonzalès.

Politiquement incorrect

Pas question pour l’élu de faire dans le politiquement correct : «Depuis l’installation du premier Rom à Villeneuve le Roi en 2008, il y a eu une multiplication par deux du nombre de cambriolages. Et récemment, trois Roms ont été condamnés pour vol de câbles SNCF d’un montant de 500 000 euros ! On est loin du travail de petit chiffonnier ! De même, faut-il considérer comme allant de soi les unions entre des hommes majeurs et des gamines de 14-15 ans ? », reprend-il. «C’est vrai qu’il y a des comportements qui dérangent, comme les personnes qui se mettent par terre avec un gamin pour mendier devant une boulangerie ou qui fouillent les poubelles le soir, et il faut le reconnaître sans pour autant leur jeter l’opprobre», pointe de son côté Luc Carvounas.

Faut-il exiger des contreparties ?

Aider sans juger au risque de sombrer dans l’angélisme ou exiger des gages au risque de faire de l’ingérence culturelle ? Pas facile pour les élus et associatifs de trouver la juste mesure et d’aborder les questions sensibles. Sur le terrain, on s’y essaie pourtant un peu. Au sein du village d’insertion d’Orly, les familles prises en charge ont signé un règlement intérieur et un contrat, s’engageant par exemple à ne pas emmener leur enfant faire la manche, à l’envoyer à l’école, ou encore à participer au financement de son hébergement en cas de revenus. Sans aller jusqu’à la contractualisation écrite, l’engagement découle aussi de la confiance instaurée. «Le seul engagement qu’on leur demande est qu’ils aillent bien au rendez-vous médicaux que nous leur prenons», témoigne Hélène Prachez. Concernant les très jeunes femmes en couple, puis enceintes, il s’agit avant tout d’instaurer le dialogue. «Nous travaillons au niveau individuel, la confiance s’établit peu à peu en accompagnant ces personnes à la PMI, l’hôpital, en leur faisant rencontrer les sages-femmes. Ensuite on peut aborder certains sujets comme la contraception», explique Danielle Bouhana, de Romeurope et du MRAP. Un travail de dentelle sociale, précieux, fragile.

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