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Santé | | 09/04/2013
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L’hôpital Paul Guiraud en crise

L’hôpital Paul Guiraud en crise

Hopital Psychiatrique Paul GuiraudRien ne va plus entre direction, médecins et soignants, à l’hôpital psychiatrique Paul Guiraud de Villejuif (Val de Marne), depuis que la direction a annoncé à ses collaborateurs que l’établissement était pour la première fois dans le rouge d’1,2 millions € (sur 135 millions € de budget) et que, sans mesures sérieuses de restrictions budgétaires immédiates, ce déficit atteindrait les 4,8 millions € en fin d’année. Cette annonce suscite colère et incompréhension. Syndicats et médecins réclament ensemble des explications et témoignent de leur quotidien, dans un contexte général de rationalisation des dépenses et de réformes passées pas encore complètement digérées.

Interrogations sur les chiffres

Bernard Lachaux President Commission medicale Paul Guiraud Villejuif
Avant toute chose, c’est une explication de chiffres que réclament communauté médicale et syndicats. «Nous souhaitons une expertise chiffrée réalisée par un tiers indépendant de droit public, pose le docteur Bernard Lachaux (photo), président de la CME (Commission médicale d’établissement). Ceci afin d’évaluer avec certitude l’étendue du problème budgétaire et d’en analyser les causes. Les années précédentes, on nous disait que tout allait bien et les projets d’investissement se multipliaient, parfois dispendieux comme la perspective d’acquisition du château de Bussières dans les Hauts de Seine. Et soudain, la direction nous annonce que nous sommes en déficit d’1,2 millions € en 2012 et potentiellement de 4,8 millions € à la fin de l’année. Ceci n’est pas cohérent.» Même interrogation sur les chiffres du côté des syndicats, dont l’annulation des dernières élections a entraîné la suppression de leur représentation dans plusieurs instances de concertation.
Du côté de la direction, ce déficit s’explique principalement par le recrutement important d’infirmiers psychiatriques ces dernières années -dans un contexte de pénurie des candidats- qui a permis l’ouverture de 54 lits, ainsi que par l’augmentation automatique de la masse salariale d’année en année, les charges de personnel représentant 83% du budget total de l’hôpital. (voir article précédent sur ce sujet).

Dépenses inutiles ?

Une explication qui ne convainc pas vraiment. «Il y a sans doute une chasse au gaspillage à mener dans l’établissement. Il faudrait par exemple redoubler de vigilance dans la conduite des travaux, pour éviter par exemple que certains matériaux non adaptés faute d’anticipation ne donnent lieu à de nouveaux et coûteux travaux. Mais les patients n’ont pas à souffrir de cette chasse au gaspillage», recommande André Adenot, représentant de l’Unafam (Union nationale des familles et amis de personnes malades et /ou handicapées psychiques) au sein du Conseil de surveillance de l’hôpital. Du côté des syndicats et des médecins, ce-sont les dépenses de communication et de représentation qui sont pointées, comme les 45 000 € consacrés à l’inauguration de l’établissement de Clamart (nouvel établissement dépendant de Paul Guiraud, situé dans le 92). «Il n’y avait pas eu d’ouverture d’hôpital psychiatrique public dans les Hauts de Seine depuis 30 ans. Nous avons invité 300 personnes et cela a permis de faire visiter un hôpital en fonctionnement et faire tomber les préjugés de personnes qui ne connaissaient pas du tout ce milieu. Ce-sont certes 45 000 euros mais cela avait un caractère exceptionnel et notre budget est de 135 millions d’euros», répond le directeur de l’établissement, Henri Poinsignon.
Au regard de l’enjeu que représente l’accompagnement de patients lourds en psychiatrie, certains projets agacent surtout par leur relative futilité. «La direction nous indique qu’il faut trouver des millions € d’urgence et on gaspille notre temps et nos deniers à payer un cabinet de conseil en développement durable pour mener une enquête sur notre bilan carbone lorsque l’on se rend au travail, avec des formulaires papier à remplir par chaque membre du personnel ! », s’énerve un médecin.

Climat de défiance entre médecins et direction

Cette crise budgétaire n’intervient pas non plus dans un ciel sans nuages, ni entre syndicats et  direction, ni entre communauté médicale et direction, la première se sentant insuffisamment reconnue par la seconde. «Nous sommes de nombreux médecins à avoir beaucoup d’expérience et être reconnus dans notre domaine d’expertise, mais la nouvelle direction n’a pas cherché à s’appuyer sur ces compétences et à écouter chacun. Nous nous sentons disqualifiés, non reconnus, instrumentalisés», témoigne le président de la Commission médicale d’établissement, Bernard Lachaux.

Exagérer pour mieux négocier ?

Dans ce climat de défiance, c’est donc avec incrédulité que syndicats et médecins ont appréhendé l’annonce de ce déficit budgétaire insuffisamment documenté à leurs yeux. Au point pour certains de soupçonner une exagération de la situation afin de forcer les personnels à renégocier l’accord sur les RTT de 2002, considéré comme l’un des plus favorables aux salariés du secteur, et de faire accepter la fermeture de certains services.

Des unités gourmandes en personnel

Parmi les services concernés par de possibles redéploiements, les syndicats citent le cas des unités Matisse, dix lits pour des polyhandicapés, et Doisneau, vingt lits pour des patients au long cours (PLC). Une hypothèse qui alarme Hugues Legendre (à gauche photo ci-dessous), aide-soignant dans cette unité. «Les patients polyhandicapés nécessitent un traitement très lourd qui requiert beaucoup de personnel. Historiquement, cette unité qui accueille des patients qui dépendent de l’établissement de Clamart est restée chez nous car la petite structure dans laquelle elle est installée est mieux adaptée.»

Un autre service qui craint pour son avenir est le centre d’accueil et de crise de Choisy le Roi, qui dépend du secteur géographique 10 (Choisy-le-Roi – Ablon – Villeneuve Le Roi -Orly), l’un des plus gros (85 000 habitants) et les plus difficiles en termes de conditions sociales. C’est justement en raison de la sensibilité de ce secteur géographique qu’un centre d’accueil et de crise a été ouvert historiquement, et c’est le seul de l’hôpital. Ce centre, situé à Choisy, accueille des personnes de leur plein gré, pour la journée ou en hospitalisation, dans des périodes de grand malaise, de crise de transition entre deux états (pas de crise au sens violent du terme). «Dans ce secteur géographique, il n’y a pas de psychiatres privés ni de cliniques, et le centre d’accueil et de crise est le seul lieu où les patients peuvent obtenir un rendez-vous en moins de 24 heures. Nous disposons même d’une unité mobile à domicile, détaille le docteur Jean-Louis Lavaud, chef du secteur géographique 10. Il y a trois ans, un expert envoyé par Fadela Amara, alors secrétaire d’État chargée de la Politique de la ville, a conclu qu’il fallait développer ce type de centres», ajoute le chef de pôle.

Sans même fermer une unité complète, les soignants s’inquiètent pour chaque lit, pointant les pénuries déjà constatées en la matière. «Il nous arrive régulièrement d’être obligé de changer en pleine nuit un patient de chambre pour faire de la place à un nouvel arrivant. Parfois même, pour des personnes en pleine crise et nécessitant une chambre d’isolement, nous devons faire venir le psychiatre de garde pour qu’il lève la prescription d’isolement à un patient en plein sommeil afin de faire de la place ! C’est traumatisant pour le patient déplacé ! », regrette Joël Volson (à droite photo ci-dessous), délégué syndical Sud Santé.

Hugues Legendre et Joel Volson Sud Sante Paul Guiraud Villejuif

Gardiennage ou accompagnement thérapeutique ?

La réduction des activités proposées aux patients, qui résultent de possibles diminutions de personnels, est aussi pointée par les soignants. Des diminutions de ressource qui ne sont pas toujours visibles sur le papier car elles concernent des personnes qui étaient embauchées comme remplaçants. «Au sein de l’unité pour personnes polyhandicapées, nous avons exposé nos besoins à la direction des soins pour pouvoir mener des activités avec les patients. Celle-ci nous a alors accordé jusqu’à cette année des postes de vacataires et intérimaires. Mais, au lieu de les pérenniser, elle a supprimé progressivement ces moyens, explique Hugues Legendre. Aujourd’hui, notre travail est avant tout de faire face aux aléas, ce qui peut aller jusqu’à réparer des problèmes de plomberie ou chercher désespérément un rouleau de sparadrap !»

Pour les soignants, un autre facteur explique cette difficulté à poursuivre des activités de manière régulière. Il s’agit des conséquences logistiques de la réforme de la loi relative aux soins psychiatriques qui permet depuis 2011 une intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) pour le maintien d’une personne en hospitalisation sans son consentement pour une période de plus de 15 jours. Les rendez-vous avec les JLD mobilisent en effet à chaque fois deux accompagnants.

«En outre, lorsque nous sommes suffisamment nombreux pour pouvoir mener à bien les activités prévues, il faut fréquemment remplacer d’urgence une absence dans un autre service. Ce travail en flux tendu est dommageable pour les patients et démotivant pour les soignants. Les activités thérapeutiques sont pourtant reconnues dans le projet de soin de l’établissement», pointe Sandrine Garandel, déléguée syndicale Sud Santé. «Dans notre service, comme dans d’autres, le budget activités a été réduit de 25%, et sur l’ensemble du budget de l’hôpital (135 millions d’euros), ce poste ne compte qu’à hauteur de 300 000 euros, personnel compris», ajoute le docteur Jean-Louis Lavaud.

Un projet immobilier qui fait polémique

Dans ce contexte de menace budgétaire et de rapports électriques entre la direction, la communauté médicale et les syndicats, l’existence d’un projet de vente et de bail emphytéotique de 55 ans d’une partie du terrain de l’hôpital à Valophis Habitat, l’office HLM du Val de Marne (où seront construits 73 logements sociaux dont 27 seront dédiés au personnel, et 109 appartements en accession à la propriété à prix maîtrisé) pour financer la reconstruction d’une crèche de 100 berceaux réservée aux enfants du personnel, d’une salle de sport et d’autres bâtiments annexes, ne passe pas. «Pour l’instant, nous n’avons eu accès qu’à des bribes de données fluctuantes sur ce projet. Nous réclamons donc une conférence départementale avec tous les partenaires, y compris la ville, pour réfléchir ensemble dans quel tissu urbain s’inscrira le site de l’hôpital Paul Guiraud dans les quinze ans à venir et quels sont ses besoins fonciers. Nous ne voulons pas acter une opération immobilière dans la précipitation alors que l’on nous annonce d’importants déficits budgétaires dans le même temps. Notre priorité concerne avant tout les patients», affirme le docteur Bernard Lachaux, au nom de la CME.

Médecins et syndicats pointent également un conflit d’intérêt potentiel dans ce marché en raison de la double casquette du président du directoire de l’hôpital, Gilles Delbos, par ailleurs conseiller général du Val de Marne (collectivité actionnaire de Valophis). «Cette accusation est complètement ridicule, s’agace Henri Poinsignon, le directeur de l’hôpital. Le conseil général est représenté de droit au Conseil de surveillance et il est logique que ce soit le conseiller général de Villejuif qui ait été désigné ! De même que le Conseil municipal de Villejuif est également représenté de droit. Il ne s’agit pas en outre d’une opération immobilière sensée être juteuse pour le promoteur puisque son objet sera du logement social ou en accession à prix maîtrisé. De notre côté, cette transaction permet de financer 5 millions d’euros de modernisation des équipements sans débourser un centime», défend le directeur de l’hôpital. Au Conseil général, on précise qu’il n’y a pas de conflit d’intérêt car Gilles Delbos n’est ni membre de l’exécutif de Valophis, ni membre de l’exécutif de l’hôpital, le conseil de surveillance n’étant qu’une instance consultative.

Boycott du Conseil de surveillance

Ce dossier, qui devait être acté lors d’un conseil de surveillance vendredi 5 avril, ne l’a pas été, car la séance a été boycottée par une bonne partie des représentants de la communauté médicale et les syndicats. Faute de quorum, c’est donc une réunion d’information informelle sur le projet qui s’est tenu. «La loi HPST (Hôpital santé patient territoire) a donné tout pouvoir aux directeurs d’établissements. On nous demande désormais notre avis pour la forme, dans les instances où nous siégeons, mais notre accord ou désaccord ne compte pas. C’est pourquoi nous avons préféré ne pas participer à ce Conseil de surveillance», motive Bernard Lachaux. «Il faut savoir. Ils réclament des informations sur le projet et lorsque l’on organise des réunions pour leur expliquer, ils ne viennent pas !», répond le directeur de l’hôpital.

Les syndicats SUD,CGT,FO organisent une assemblée générale ce jeudi 11 avril.

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