C’est l’histoire d’un chauffeur routier au chômage, âgé de soixante ans, et de sa femme en mi-temps thérapeutique en raison de son cancer des os. Avec l’allocation chômage de monsieur, d’environ 1000 euros, et le salaire de madame, 380 euros,
le couple doit s’acquitter chaque mois, hors impôts, de 620 euros de loyer et 650 euros de remboursement de créances dans le cadre d’un plan de surendettement sur cinq ans.
Dans cette situation de précarité où les courses alimentaires s’effectuent déjà aux Restos du cœur, le couple se retrouve avec un arriéré d’impôts qu’il n’arrive pas à rembourser complètement et se voit dans l’injonction de payer près de 5000 euros en juillet 2013, avec menace de saisie sur leur compte. C’est dans ce contexte qu’ils arrivent, désemparés, à la permanence du délégué du Défenseur des droits. Une demande d’étalement est refusée car hors délai. Fin 2013, la saisie a bien lieu sur les comptes, mais il n’y a rien à y prendre ! Finalement, une demande à intégrer les dettes fiscales personnelles du couple est adressée en urgence, début mars 2014, à la direction des finances publiques, avec demande de suspendre les poursuites. La direction y répond favorablement et l’arriéré d’impôts se retrouve intégré dans le plan de surendettement, comme il aurait dû l’être initialement. Des exemples comme celui-ci, les 8 délégués du Défenseur des droits qui oeuvrent bénévolement dans le Val de Marne en ont par dizaines, et estiment avoir vu près de 150 cas d’une détresse similaire dans l’année qui vient de s’écouler. «Nous constatons une accentuation de la paupérisation», témoigne Alain Daboval, délégué du Défenseur des droits à Villiers-sur-Marne et à la prison de Fresnes
«Nous accueillons de plus en plus de ‘polytraumatisés sociaux’ qui ont des problèmes dans plusieurs institutions suite à des accidents de la vie qui les entraînent dans une spirale infernale, enchaîne Louis Trujillot, coordonnateur départemental et délégué du Défenseur des droits à Champigny-sur Marne. Et à la différence de Pôle emploi qui ne voit que des chômeurs, la Sécurité sociale que des malades ou les impôts que des contribuables, nous prenons le temps de regarder les personnes dans leur globalité.»
Il suffit parfois d’un rien pour briser un fragile équilibre. Comme cette mère de famille dont la ville a encaissé par erreur un chèque de 26 euros une semaine plus tôt que prévu, entraînant un découvert et une suite de relances de la banque donnant à chaque fois lieu à une pénalité financière. Un incident qui a terminé en commission de surendettement. Dans une autre ville du département, c’est une personne qui s’est vue supprimer la part complémentaire de son allocation adulte handicapé de 179 euros, conditionnée à plafond de ressource, après qu’ait été constaté 1 euro d’intérêt sur son compte épargne, franchissant par cette somme symbolique le seuil fatidique. Dans ce cas où la Caisse d’allocations familiales était juridiquement dans son bon droit, la commission de recours amiable a finalement accédé à la demande. «Mais les conditions de cette commission sont de plus en plus strictes. En outre, la CAF procède parfois à des recouvrements de sommes indues plusieurs mois après et depuis 2008, elle peut directement se rembourser en prélevant à la source sur d’autres allocations (logement, allocation familiale…). C’est dommage car cela ne prend pas en compte la spécificité des situations individuelles», commente un délégué. «Une assistante maternelle qui avait perçu un trop plein a été obligée de souscrire un emprunt pour rembourser», illustre Chantal Kanélopoulo, déléguée du Défenseur à Valenton.
Autant de situations dans lesquelles interviennent les délégués du Défenseur des droits, non pas comme avocats, mais pour démêler le dossier et se prononcer sur le droit de la personne et rien que le droit, sans angélisme, afin de négocier à l’amiable ou de transférer l’affaire au siège du Défenseur pour une éventuelle suite en justice.
Autorité indépendante, le Défenseur des droits, actuellement incarné au niveau national par Jacques Toubon, se distingue des médiateurs maison qui fleurissent dans les institutions. L’objectif est double : résoudre les cas concrets et faire évoluer les pratiques.
Au-delà des questions liées aux services publics et sociaux, les délégués du Défenseur interviennent aussi sur les questions de discrimination. «Une auxiliaire de vie d’Afrique du nord m’a sollicitée car elle s’occupait d’une dame très âgée qui ne supportait pas son origine et allait jusqu’à l’insulter. Après discussion avec son agence intermédiaire, il a été convenu d’échanger son poste avec une autre auxiliaire. Mais il est très difficile de prouver une discrimination», témoigne une déléguée. Tout l’art consiste à passer de la subjectivité à l’objectivité, en s’appuyant sur les 20 critères de discrimination prohibés par la loi.
Autre champ d’intervention : le droit des enfants. Parfois, plusieurs dimensions se croisent, comme cet élève très allergique qu’une ville refusait d’accueillir à la cantine car son règlement intérieur stipulait que seuls les enfants dont les allergies pouvaient permettre d’attendre des soins ou les secours en cas d’ingestion de l’aliment allergène étaient accueillis. Une manière de couvrir juridiquement l’édile que le délégué du Défenseur a pointé comme discriminatoire, faisant évoluer le règlement intérieur.
Au total, ce-sont plus de 100 000 demandes qui arrivent chaque année en France auprès du Défenseur des droits ou de ses 400 délégués, par téléphone (numéro Azur 09 69 39 00 00), dans les permanences ou par courrier, dont 43 000 ont donné lieu à un suivi en 2013, à 85% dans le cadre de médiations avec les services publics, 9% pour des discriminations, 5% pour le droit des enfants et 1% dans le cadre de bavures ou d’excès liés à la sécurité. Dans le Val de Marne, 8 personnes donnent de leur temps bénévolement pour tenir des permanences et traiter ces dossiers complexes. En 2013, ils ont ainsi suivi 1225 affaires, (soit 1,5% des affaires traitées au niveau national) dont 568 réclamations et 657 demandes d’information et orientation.
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