Pour son dernier jour à la tête de l’IGN, Pascal Berteaud officialise ce vendredi un partenariat avec Open Street Map, (dont le président France, Christian Quest, est un habitant de Saint-Maur-des-Fossés), la DgFip et l’Etalab pour actualiser sa base d’adresses. Ce jeudi, l’institut a présenté ses proposition pour l’avenir de l’information géographique en plein chamboulement de la révolution numérique et mobile. Retour en détail.
Du GPS aux études fines du territoire pour appréhender des phénomènes environnementaux ou géopolitiques, en passant par tous les services pratiques de géolocalisation, l’information géographique a décuplé ses applications grâce à la révolution numérique et mobile. «Solomo : Social, local, mobile», tel est le mot d’ordre rappelé par la secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Lemaire, de passage à Saint-Mandé ce jeudi 13 novembre pour clôturer la réunion de présentation du cahier d’acteurs de l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière).
«L’information géographique est aussi stratégique aujourd’hui que lorsqu’elle a commencé au sous l’égide de Colbert (XVIIe siècle) pour faire la guerre. Même s’il s’agit aujourd’hui davantage de guerre économique ou d’influence», résume Pascal Berteaud, directeur de l’IGN jusqu’à ce vendredi au terme de trois ans au coeur de l’institution.
De la donnée brute au service, quel modèle économique
Comment valoriser la richesse des données géolocalisées et ouvrir les données publiques pour qu’elles soient accessibles à tous, profitent au bien commun, au développement économique et à la compétitivité du pays, et ne soit pas seulement récupérée par quelques puissants groupes type Google, super compétents pour transformer des données en service grand public et gratuit, mais n’offrant pas la culture du partage permettant de poursuivre la valorisation de l’information au-delà de ce premier échelon ? Comment croiser ces données entre plusieurs sources (Poste, IGN, Cadastre…), les rendre inter-opérables entre plusieurs pays? Quel modèle économique pour rentabiliser la coûteuse collecte des données ? «Jamais la perception de nos données brutes n’a été aussi faible, reconnaît Pascal Berteaud. L’an dernier, nous avons dû diviser par trois le prix de certaines données. A contrario, les utilisateurs sont prêt à payer pour les services.» Autre enjeu : comment optimiser, voire repenser la collecte des données en intégrant une dimension collaborative ? Autant de questions cruciales que l’IGN a posé sans ambages à l’occasion de trois réunions avec des organismes publics, des entreprises privées, des think-tanks… se focalisant sur trois thèmes : les usagers, le modèle économique et la gouvernance.
En ressortent neuf propositions et objectifs, formalisés dans un cahier des acteurs, qui invitent à concilier ces exigences en développant fortement la collaboration entre tous les protagnistes, l’IGN se positionnant comme le maître d’œuvre et le coordonnateur d’une stratégie portée et soutenue par l’Etat.
Concrètement, les initiatives ont déjà commencé pour éviter de coûteuses collectes en doublon. «Par exemple, nous travaillons en amont avec les communes pour que nos campagnes aériennes répondent à leurs attentes plutôt que celles-ci ne lancent leur propre campagne», cite Pascal Berteaud.
Le projet BAN
A un échelon national, une initiative collaborative sera officiellement présentée ce vendredi 14 novembre à l’occasion de la Semaine de l’innovation publique : celle de la Base adresses nationale ouverte (Ban), qui recense l’intégralité des adresses (sans le nom de leurs habitants!). Initié fin 2013 par Open Street Map France, plate-forme collaborative qui fonctionne comme un Wikipedia de la cartographie, le projet consistait à recenser les 20 à 25 millions d’adresses du pays. «Nous avons collecté les données via plusieurs sources, à 75%, auprès des services du cadastre de la DgFip (Direction générale des finances publiques), à 15% via les contributeurs Open Street Map (OSM) et à 10% via les services Open Data de collectivités locales», explique Christian Quest, Saint-Maurien et président d’Open Street Map France, qui précise avoir collecté à ce jour 90% des adresses. Alors que le projet prend tournure, à l’été 2014, l’Etalab, mission du gouvernement destinée à promouvoir l’ouverture et le partage des données publiques, devient partie prenante, et embauche le président d’OSM pour coordonner le projet. Outre la Dgfip et Etalab, IGN devient également partenaire. L’enjeu : partager les données de l’IGN et d’OSM pour les compléter mutuellement et les fiabiliser. Les applications sont nombreuses : du GPS qui a souvent du mal à trouver certaines adresses aux services d’urgence qui ont besoin de dépêcher rapidement quelqu’un sur les lieux. Une collaboration d’envergure nationale qui ne va pas sans susciter des réticences en interne. «Il ne faudrait pas que, sous prétexte de «collaboratif» et de «c’est gratuit, c’est du libre», on en vienne à des choix budgétaires drastiques basés sur l’occultation volontaire de la réalité qui est la suivante : derrière toute donnée produite il y a des coûts, des investissements, des emplois, des frais de fonctionnement. Distribution gratuite ne signifie jamais production gratuite !!! », s’agace la CGT dans un communiqué.
Europe
Dans le même temps, les acteurs de l’Open Data ou les portails géants continuent d’avancer et obligent les instituts nationaux à se mettre au pas, au risque de se retrouver marginalisé. En témoigne l’exemple européen. Aucun service public de l’information géographique n’existe aujourd’hui à cette échelle. L’Union européenne n’est certes pas restée sans rien faire, avec la directive Inspire qui vise à créer une infrastructure d’information géographique commune et la plate-forme ELF (European location framework) – à laquelle participent seulement une quinzaine de pays. Deux opérateurs délivrent en revanche chacun à leur manière des données sans souci des frontières. Google, en tant qu’entreprise, prend sur ses deniers pour payer des personnes pour aller photographier l’intégralité du territoire ou acheter l’information là où elle est disponible, et la met à disposition de manière gratuite avec des services pratiques (GPS, carte…) ou encore Google Street View qui permet à tout internaute de se promener dans de nombreuses parties du globe. Les données sont en revanche fermées et non partageables pour être ré-exploitées sous forme de nouveaux services. De son côté Open Street Map propose également une carte mondiale et collaborative, basée sur le principe de la participation bénévole de chaque citoyen dans l’esprit de l’encyclopédie Wikipédia, avec une licence similaire qui permet de ré-exploiter les données pour créer des nouveaux services à condition de faire perdure leur usage libre, ce qui n’empêche pas de greffer dessus des services payants. «L’objectif est de créer un éco-système pour inciter le développement de services innovants à partir des données libres», explique Christian Quest. L’interopérabilité européenne entre instituts publics passera-t-elle en partie par ce système contributif ? «Le projet de base adresses que nous menons en France avec l’IGN, Etalab et la DgFip existe déjà depuis plusieurs années au Danemark», cite Christian Quest.
Reste pour l’IGN, qui a déjà démarré sa mue depuis 2011, à pérenniser son statut de référent de l’information géographique dans cette nouvelle donne. Pour contribuer à nourrir son éco-système, l’Institut a créé une cellule d’incubation, IGN Fab, et déjà sélectionné cinq projets innovants dans le cadre d’un premier appel à candidatures. Un second doit suivre en 2015.
Parmi les propositions-objectifs de son cahier d’acteurs, l’institut souhaite également créer un géo-service public numérique pour cadrer les avancées du numérique et moderniser les services publics fondés sur les données liées aux territoires.
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