Alors que la légalisation de la GPA (Gestation pour autrui) en France ne figure pas à l’agenda politique du gouvernement, et que l’Etat français ne reconnait pas non plus les filiations issues de GPA effectuées à l’étranger, la victoire obtenue par les époux Dominique et Sylvie Mennesson de Maisons-Alfort ce jeudi 26 juin à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) relance un brûlant débat de société sur les questions de famille et de filiation. Explications.
En 2000, le couple Mennesson a eu deux jumelles nées d’une mère porteuse aux Etats-Unis, suite à une fécondation in vitro (FIV) avec les ovocytes d’une donatrice et les gamètes de Dominique Mennesson. Aux Etats-Unis, un acte de naissance est dressé qui reconnaît le couple Mennesson comme les parents des deux bébés. Une fois en France, la retranscription de l’acte de naissance dans l’Etat-civil est d’abord effectuée puis annulée. Depuis, les procédures de justice se sont empilées jusqu’au jugement ce 26 juin de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Dans ses conclusions, la CEDH estime que cette contradiction porte atteinte à l’identité des enfants au sein de la société française et note que la jurisprudence empêche totalement l’établissement du lien de filiation entre les deux filles et leur père biologique, ce qui va au-delà de ce que permet l’ample marge d’appréciation que la CEDH reconnaît aux États dans leurs décisions relatives à la GPA. Précisément, la cour considère que cette marge d’appréciation doit être réduite dès lors qu’il est question de la filiation, car cela met en jeu un aspect essentiel de l’identité des individus. Elle constate par ailleurs que les deux filles, n’étant pas reconnues légalement comme les enfants du couple, n’accèdent pas aux même droits en matière de succession, de même qu’elles sont confrontées à “une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française”.
La CEDH considère donc que la France a violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme s’agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée et condamne la France à verser 5 000 euros à chacune des jumelles, plus 15 000 euros pour les frais de justice. Une autre affaire similaire jugée ce même jour a donné lieu au même verdict.
Télécharger le communiqué explicatif détaillé de la CEDH.
Télécharger la Convention européenne des droits de l’Homme
“C’est une grande victoire qui célèbre quatorze années de lutte pour la reconnaissance de nos droits, et un parcours de justice qui a été très compliqué. Jusqu’en 2008, la justice française nous a donné raison, puis elle s’est rétractée. Cette décision est un juste retour au droit, ainsi qu’au respect de la vie privée et familiale, et fait face au vide administratif sur ce type de situation. Il a une grande portée car il s’impose à la justice française et est plus fort que la jurisprudence qui prévalait jusqu’ici. La décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) va permettre la reconnaissance de près de 2000 enfants” témoigne Dominique Mennesson. “Les jumelles vont bientôt avoir 14 ans, elles ont toujours un passeport américain avec un visa touristique. En théorie cela signifie qu’elles pourraient être expulsées du territoire. C’est une bataille quotidienne, il est indispensable d’avoir un certificat civil français pour la sécurité sociale, les allocations familiales, et je ne parle pas de ce qui se passerait en cas de décès ou de divorce… A tout cela s’ajoute une violence psychologique, nos filles étaient invisibles pour la République, et nous on nous dit que nous ne sommes pas des parents” poursuit-il.
La France a toutefois la possibilité de contester ce jugement. “Pour contester cette décision, il faudra un vote unanime des juges, mais la décision de la CEDH est en accord avec la promesse de François Hollande de reconnaître les enfants nés à l’étranger, ainsi qu’avec les propos de Manuel Valls et Christiane Taubira. Nous demandons maintenant solennellement à Laurent Fabius de prendre acte de cet arrêt”, commente à nouveau Dominique Mennesson.
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