Depuis début 2013, quelques 4 000 médicaments sans ordonnance peuvent être vendus en ligne par des pharmaciens professionnels. Sur le terrain toutefois, ce marché en ligne en est à ses balbutiements et les contraintes réglementaires restent nombreuses. Dans le Val de Marne, un pionnier s’apprête à franchir la ligne du web au 31 décembre 2014: Pierre Hébert, pharmacien à Créteil. D’autres sont sur les rangs.
Rappel du contexte
Alors qu’au niveau national, le marché des médicaments vendus sans ordonnance est évalué à 2,1 milliards d’euros (chiffres 2013 de l’Afipa, Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable), l’enjeu de leur vente en ligne n’est pas négligeable mais beaucoup de pharmaciens, seuls habilités à le faire, restent réticents, craignant une banalisation de la vente de médicaments et une perte de leur marché au profit d’une grosse plate-forme Internet ou de la grande distribution. Comment se positionner sur ce marché Internet pour les pharmacies ? Doivent-elles s’y mettre ou pas, s’affilier à une plate-forme fédératrice ou se lancer en solo? “C’est une nouvelle contrainte pour les pharmaciens mais maintenant que la loi est passée, il va falloir s’y mettre. L’enjeu est d’y aller de manière éthique et équitable pour toutes les officines, petites ou grandes”, indique-t-on à L’URPS (Union régionale des professionnels de santé) Pharmaciens d’Ile de France.
Plusieurs plates-formes Internet se sont déjà constituées en France, comme la startup 1001 pharmacies, qui a fédéré 80 laboratoires cosmétiques et 500 pharmacies dont 4 dans le Val de Marne, mais s’est vue interdire depuis le mois de juin la vente de médicaments suite à une attaque en justice de l’Ordre des pharmaciens. L’entreprise attend le verdict en appel courant 2015. “Pourtant, si nous avons bien un site commun, chaque produit vendu est issu d’une pharmacie en particulier et la traçabilité est totale“, explique Cédric O’Neill, son fondateur, d’autant plus agacé que Doctipharma, une filiale du portail Doctissimo de Lagardère, qui s’est récemment lancée, vient d’obtenir l’autorisation de l’ARS (Agence régionale de santé) de Marseille pour l’une de ses officines. “Suite à cette nouvelle, j’ai contacté l’ARS de Marseille pour obtenir également une autorisation mais je n’ai pas eu gain de cause et ai même compris de mon échange que l’agence s’était déjà faite taper sur les doigts pour Doctipharma!”, ajoute Cédric O’Neill, qui espère désormais une évolution législative dans le cadre de la future loi de santé publique, qui tiendrait compte du rapport sur les professions réglementées du député PS Richard Ferrand qui préconise (proposition n°26) de permettre aux officines de se regrouper pour vendre sur Internet.
Le temps des pionniers
Dans le Val de Marne, seules trois pharmacies ont à ce jour obtenu l’autorisation de l’ARS pour vendre en ligne à partir de leur propre site Internet et une seule est presque opérationnelle. Passionné d’informatique et d’e-commerce, Pierre Hébert, dont la pharmacie est installée physiquement rue du Général Leclerc à Créteil, achève tout juste son portail fait maison, kelmedok.com, et en lancera la version Bêta le 31 décembre 2014. “C’est un service supplémentaire que je veux proposer à mes clients et à mes patients” explique-t-il, confessant ne pas attendre grand chose de ce nouvel outil en terme de chiffre d’affaires. “Ce site va surtout nous permettre de mieux référencer nos clients et donc de mieux les conseiller, détaille le pharmacien. Et pour des patients suivant un traitement régulier ou consommateurs récurrents de parapharmacie, les transactions en ligne faciliteront les choses.” Pourquoi n’avoir pas rejoint une plate-forme Internet? Le jeune pharmacien s’est posé la question mais a vite tranché. “Tout d’abord, les plates-formes n’ont pas une bonne image auprès de l’Ordre des pharmaciens, ensuite, je crains de perdre de mon indépendance. Et puis, j’ai développé sur mon site un algorithme de décision que je n’ai pas vu ailleurs, qui permet au patient qui ne s’y connaît pas en médicaments de s’orienter en fonction de son problème et pas simplement de la seule marque qu’il connaîtrait. Cela autonomise les gens et évite les erreurs”, développe-t-il.
Le conseil d’abord
“Le conseil est notre métier, et il doit le rester“, insiste également Saïd Sediame, de la pharmacie éponyme située avenue de Verdun à Créteil, également autorisée à vendre en ligne. “Je ne crois pas encore à l’utilisation massive d’Internet : nos patients ont besoin d’un avis professionnel, de conseils, de recommandations. Je vois plus mon futur site Internet comme une vitrine et un outil pour fidéliser nos clients mais je n’en ai pas besoin pour vendre des médicaments.” Pour Saïd Sediame, il s’agit aussi “d’être à la page. On ne doit pas perdre la main sur les tendances pour bien préparer l’avenir“. Un constat partagé par les responsables de la pharmacie Jonchery, à Ablon-sur-Seine, troisième et dernière officine du département listée comme pouvant vendre en ligne par l’Ordre des pharmaciens.
Et les patients ?
Une fois l’offre disponible, il restera à évangéliser les clients. “Cela pourrait faciliter mes achats de crèmes par exemple. Même si je les achète déjà par correspondance…“, réagit Séverine, au comptoir d’une pharmacie. Bernard, à la retraite depuis près de 10 ans, continuera d’aller chez son pharmacien. “Je n’aime pas aller sur Internet et je ne m’y connais pas. Comme pour le reste, je continuerai de me déplacer. En plus, c’est bien de se bouger un peu.” Majid ne voit pour sa part rien d’étonnant dans cette nouvelle forme de vente des médicaments. “Cela se démocratisera dans le futur, comme pour tous les achats.“
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