Société | | 13/10/2015
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Cité de la Jarry à Vincennes: les artistes demandent un sursis

Cité de la Jarry à Vincennes: les artistes demandent un sursis

Invités à quitter l’ancienne Cité industrielle de la Jarry, à Vincennes, avant le 31 décembre 2015, le collectif d’artistes qui la peuple s’organise pour réclamer un sursis. Retour sur une histoire compliquée.

Construite dans les années 1930 par l’architecte vincennois Laroche, sur le modèle américain, la cité Jarry est un vaste hôtel industriel qui accueille des entreprises multi-activités, de la biscuiterie au laboratoire pharmaceutique. Entre la rue Jarry et la rue Defrance, ce bâtiment de 45 000 m2 sur 6 niveaux accueille d’immenses plateaux desservis par une cursive praticable en automobile. Le système de copropriété repose alors sur une SCI d’attribution. Progressivement, des entreprises cessent leurs activités, la gestion administrative du site se dégrade, et les deux principales entreprises qui restaient sur place, Trophy Radiologie et les laboratoires Opodex lèvent le camp à la fin des années 1990. La SCI se retrouve vite dans le rouge et mise en redressement judiciaire. La dette auprès d’Edf se fait telle que l’opérateur coupe le courant et le non entretien du site conduit à la publication d’un arrêté de péril en 2004. C’est à cette époque que des artistes commencent à peupler le site, sans disposer de bail ni payer de loyer, et s’organisent pour reprendre les choses en main, créant une association Jarry’ve revient, qui collecte suffisamment pour qu’Edf accepte de remettre l’électricité. L’association s’occupe de gérer les abonnements aux fluides (eaux, électricité) et de collecter l’argent après des occupants qui jouent le jeu. Sur cette cité qui n’avait pas vocation d’habitation, un mélange travail – lieu de vie se met en place.

Un rêve de collectif  qui n’a pas vraiment pris

Pour les artistes qui occupent le site, la cité offre à la fois d’immenses plateaux à deux pas du centre de Vincennes et de Paris, au prix attractif de 3 € le m2 pour participer aux charges, et la proximité d’autres créatifs et artisans. Des rêves se forment. “On a pensé que l’on pourrait créer un vrai projet collectif, réhabiller le site en murs végétaux.. Mais cela ne s’est pas vraiment fait car ce n’est pas un collectif qui a investi le site au départ mais des personnes qui sont venues individuellement”, constate Franck Joyeux, photographe installé au 6e étage depuis 2007. “On a réalisé de superbes projets à plusieurs artistes mais pas constitué un collectif au niveau de l’ensemble des occupants“, note aussi Salomé Brussieux, styliste (Léon Rose Magma) arrivée en 2010. Avec la ville, les relations ne sont non plus au beau fixe et aucun projet commun n’est imaginé pour ouvrir l’espace vers la ville et créer des synergies.

Salome et franck

Aujourd’hui, quelques 300 personnes occupent le site, pour travailler, vivre ou les deux. L’association Jarry’ve revient compte 120 adhérents et fédère quelques 150 occupants dont elle perçoit la participation aux frais des fluides. D’autres ne participent pas. Il y a même une paire de marchands de sommeil qui monnayent l’espace à des familles bulgares, sans pour autant contribuer aux charges. Un mélange de mondes qui fait malgré tout société. En termes de sécurité et propreté, l’autogestion ne fonctionne pas si mal. Et pour les artistes et artisans qui sont installés,  trouver des conditions comparables dans le secteur est impossible. “Je n’aurais jamais les moyens de retrouver un atelier de 300 m2 à moins de 100 km de Paris”, indique ainsi Brice Lartigue, designer et producteur d’effets spéciaux pour le cinéma, installé depuis une dizaine d’années.

brice lartigue

Projet de lycée sur le site

Pour la commune, pas question toutefois de laisser les choses en l’état et d’avoir un immense squat en plein coeur de ville. Dès 2004, date de l’arrêté de mise en péril, les démarches commencent pour faire évoluer la vocation du site. Il est décidé d’y installer un futur lycée commun à Saint-Mandé et Fontenay-sous-Bois. Des premières démarches juridiques et urbaines sont entreprises, pour proposer des indemnisations aux détenteurs d’un bail et mettre en place un projet d’équipement public donnant le droit d’exproprier. Une enquête publique se tient, suivie d’une déclaration d’utilité publique permettant d’exproprier, moyennant une indemnité de 22 millions € auprès des derniers propriétaires. Un syndicat intercommunal à vocation unique (Sivu) est créé avec Fontenay pour acheter le terrain. Après différents recours en justice, le Sivu devient officiellement propriétaire du site à l’été 2015.  “Nous l’avons appris en voyant un appel d’offre pour recruter un vigile sur le site“, s’agace Nicolas Perru, trésorier adjoint de Jarry’ve revient et graphiste. Depuis septembre en effet, un vigile est sur place jour et nuit. Le 22 septembre, une réunion se tient entre la ville et le collectif, à laquelle 150 personnes participent.

Salome Brussieux, Franck Joyeux, Bertrand Ricard, Nicolas Perru

Une réunion difficile fin septembre

“C’est  lors de cette réunion que le maire de Vincennes et président du Sivu, Laurent Lafon, nous a invité à quitter les lieux d’ici au 31 décembre 2015”, indique Franck Joyeux. “L’objectif de cette réunion était d’engager le dialogue alors que légalement, nous n’y sommes même pas tenus. Nous avons demandé à  l’association de proposer une date sur laquelle tout le monde s’accorde et leur avons donné quinze jours pour qu’ils nous donnent leur réponse. Nous n’avons à ce jour reçu aucune proposition de leur part“, indique-t-on au cabinet de la mairie de Vincennes.  “Nous n’avons pas vraiment eu l’impression d’un dialogue lors de cette réunion. La ville sait très bien que nous ne fédérons pas tous les occupants du site“, note de son côté Bertrand Ricard, président de Jarry’ve revient. Depuis, l’association a pris les services d’un avocat. Du côté de la mairie de Fontenay, on défend le projet de lycée, bien public commun, tout en prônant la reprise du dialogue pour “sortir par le haut”.

cursive jarry 2

Les artistes demandent un sursis

Loin de vouloir s’opposer à la construction d’un lycée qui participe de concert à la culture des générations futures, les habitants, artisans, artistes et utilisateurs de la Cité Industrielle revendiquent le droit d’être considérés à leur juste valeur et traité en tant qu’humain d’abord. Nous revendiquons qu’une enquête sociale soit faite et des solutions trouvées afin de pouvoir limiter les catastrophes sociales qu’un départ précipité engendrerait pour beaucoup, tant au niveau de l’habitat que de l’activité professionnelle exercée dans les lieux. Nous revendiquons la prise en compte des personnes oubliées ou évincées lors du rendu de jugement d’expropriation de 2011. Nous revendiquons une convention d’occupation qui porterait accord sur un départ en fonction du début des travaux”, plaide le collectif d’artistes dans un communiqué commun.

Une vingtaine d’enfants

Au sein de la cité, 19 enfants ont été recensés. “Mais la ville refuse de les scolariser ou de les accepter à la crèche sous prétexte que les parents habitent ici”, regrette Nicolas Perru. “Nous ne pouvons scolariser des foyers qui déclarent une adresse qui n’est pas une adresse d’habitation“, indique-t-on au cabinet du maire.

Cite Jarry

Le lycée est déjà inscrit au PPRI de la région

Le projet de lycée, lui,  est d’ores et déjà inscrit au Projet pluriannuel d’investissement (PPRI) de la région qui n’attend que la cession de la parcelle pour initier le projet, indique-t-on à la mairie.

 

 

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