Comment les universités parisiennes, après s’être développées tous azimuts dans les années 1970, s’organisent désormais dans la métropole de Paris ? Et quels sont les enjeux de formation d’aujourd’hui ? Focus sur l’Upec avec son président, Luc Hittinger.
Rappel historique
C’est en 1970, dans la foulée de l’après mai 68, que l’Université de Paris, la Sorbonne, qui rayonnait alors seule sur l’ensemble de la capitale tout ayant déjà plusieurs campus à Orsay, Jussieu, Censier, Nanterre et Dauphine, fut éclatée en 13 universités pluridisciplinaires représentant au total 336 000 étudiants. Dans le Val-de-Marne, deux universités virent le jour, Paris VIII à Vincennes (transférée à Saint-Denis en 1980), et Paris XII à Créteil.
Créée par arrêté du 21 mars 1970, Paris XII s’appuyait sur la faculté de médecine de Créteil, créée en 1969 autour du CHU Henri-Mondor, ainsi que sur le centre universitaire de La Varenne-Saint-Hilaire (Saint-Maur-des-Fossés) spécialisé dans le droit et les sciences économiques. Dès 1970, un centre multidisciplinaire s’installe à Créteil pour compléter ces deux spécialités. Progressivement, l’université de Créteil agrège de nouvelles formations, dans les thématiques comme dans la forme, avec par exemple la construction d’IUT (Institut universitaire technologique) à partir de la fin des années 1980, en Seine-et-Marne, à Sénart et Fontainebleau, puis à Vitry-sur-Seine. Les années 2000 voient également arriver un IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres).
Aujourd’hui, l’université de Paris-Est Créteil (Upec) regroupe sept facultés et cinq instituts autour de 300 disciplines, de la licence au doctorat, répartis dans trois départements : le Val-de-Marne, la Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis. 30 000 étudiants y étudient chaque année.
Alors que toutes les universités issues de la Sorbonne ont pris du poids et développé leur portefeuille pluridisciplinaire, les années 2000 voient les gouvernements successifs encourager le regroupement d’universités d’un même territoire pour coordonner leurs offres de formation et de stratégie de recherche, en parallèle d’une plus grande autonomie. Cette évolution change plusieurs fois de forme, des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) aux communautés d’universités et établissements (Comue). L’Upec s’inscrit dans la Comue Université Paris Est avec l’université de Paris Est Marne la Vallée (Upem) et une vingtaine d’autres établissements.
La prochaine étape, engagée depuis juin 2014, est la fusion entre l’Upec et l’Upem. Le nouvel ensemble qui comptera 40 000 étudiants et 3500 enseignants chercheurs, devrait être opérationnel au premier janvier 2017.
Entretien avec Luc Hittinger, président de l’Upec
94 Citoyens : Pourquoi le rapprochement s’opère-t-il avec l’Upem en particulier ?
Luc Hittinger : Les deux universités sont chacune très ancrées dans leur territoire. Dans le Val de Marne, il y a 3-4 universités qui sont implantées mais l’Upec est l’université de référence du département car elle a su jouer son rôle dans son développement. Nous avons aussi des approches communes. L’Upem est la première université en nombre d’apprentis et l’Upec la cinquième. Et puis, pour les jeunes qui habitent aux marges de la Seine-et-Marne, choisir entre Upec et Upem n’a pas forcément de sens. Il y a un besoin de simplification. Nous avons commencé à nous structurer en matière de recherche puis d’offres de formation, ce qui nous permet aujourd’hui de pouvoir répondre aux étudiants qui souhaitent passer d’une université à l’autre pour des raisons de transport par exemple. Ce rapprochement prend tout son sens alors que les deux universités ne seront plus qu’à un quart d’heure de distance en 2022, avec la ligne 15 sud du Grand Paris Express.
Y-a-t-il des synergies avec les autres universités ?
Bien sûr. Avec l’université Paris Diderot (Paris VII) par exemple, basée aux Moulins de Paris, nous développons ensemble depuis 20 ans un laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques (Lisa) dans le cadre duquel nous avons participé ensemble aux travaux de recherche autour de l’atterrisseur Philae de la sonde européenne. La Maison de l’environnement qui est actuellement en construction sur le site de l’Upec, et qui accueillera d’ici 2017 la plateforme Prammics (Plateforme Régionale d’Analyse Multi Milieu des Micro-Contaminants), capable de mesurer chimiquement air, eau et sol, est également développée avec Paris Diderot. Pour la médecine, nous travaillons avec l’université Pierre et Marie Curie (Paris VI). Ensemble, nous avons gagné un appel à projets RHU (Recherche hospitalo-universitaire) dans le cadre du programme d’Investissements d’avenir (Grand emprunt) de 2013 (PIA 2) pour notre projet Carmma qui consiste à travailler sur les cellules adipeuses et leur lien avec les maladies chroniques. Notre projet mené en commun a été l’un des quatre retenus sur 29 projets, ce qui nous a permis de récupérer directement et indirectement quelques 25 millions d’euros pour financer cette recherche !
Qu’en est-il de Paris Saclay, qui n’est pas très loin du Val-de-Marne, géographiquement ?
Avec Paris Saclay, les rapports sont un peu plus complexes. Cette université est actuellement en questionnement concernant les rapports entre grandes écoles et université, avec notamment le rapport Bernard Attali (ndlr rapport rendu en juin 2015 qui propose de regrouper dix grandes écoles scientifiques dont Polytechnique, Centrale-Supélec, les Mines de Paris ou l’ENS Cachan au sein d’une nouvelle Ecole polytechnique de Paris intégrée à l’université Paris-Saclay, voir le rapport). Mais nous sommes situés au Sud-Est, et historiquement, la question s’est posée de nous tourner soit plutôt vers le Sud, soit plutôt vers l’Est. De fait, dans le cadre du PRES Sud, nous avons commencé à travailler avec Saclay pendant deux ans. Ils étaient intéressés par notre pôle médecine et chimie mais pas par les sciences humaines. Nous sommes partis vers l’Est avec qui nous avons davantage de synergies de territoire et de formations.
Quel devenir pour l’identité de l’Upec, université déjà multiforme et hétérogène, dans un nouvel ensemble fusionné ?
L’Upec peut apparaître protéiforme mais c’est sa manière de répondre à la fois aux enjeux sociétaux et de développement du territoire. Les spécialités développées par l’Upec, travaillées de manière interdisciplinaire, permettent de répondre aux défis d’aujourd’hui, qu’il s’agisse du monde de la santé, du monde de la ville, du monde de l’automobile… Comment positionne-t-on l’homme en matière de santé, l’homme en matière de savoir et de réflexion, comment met-on en valeur la culture française par rapport à ces évolutions de la ville de Paris et des grandes métropoles ? Voilà les problématiques auxquelles nous répondons avec cet ensemble de formations.
En quoi ces thématiques sont-elles différenciantes par rapport aux autres universités de la région ?
Un bel exemple est celui du projet Future, porté par la Comue Paris Est (l’Upec, l’Upem et une vingtaine d’établissements associés). Dans le cadre des programmes d’investissements d’avenir, nous avons déposé un projet I-site (Initiatives-Science – Innovation –Territoires – Economie) autour de deux thématiques à fort enjeu pour le futur : ville environnement d’une part, société et santé d’autre part. A ce jour, nous avons été retenus parmi les 8 projets préselectionnés sur 20, par un jury international. La présentation orale se tiendra en janvier. Ceci a été rendu possible par notre capacité à travailler ensemble, universités, école des Ponts, écoles d’architecture, école vétérinaire de Maisons –Alfort, Anses, Invs, Efs… au-delà des tutelles interministérielles et de la difficulté d’associer université de 32 000 étudiants et école hyper-sélective qui en a moins de 1000 , pour nous mettre en lien avec notre territoire. (voir pour info la présentation du projet Future)
Au-delà du positionnement sur ces thématiques, quels sont les défis à relever pour adapter l’université aux besoins de demain ?
Une des urgences est celle de la formation des professeurs. Il y a un énorme besoin en Seine-Saint-Denis. Les quartiers de Plaine centrale stade de France évoluent énormément mais ce département compte des disparités sociales qui restent importantes. Réussir à répondre à la demande et à ces disparités constitue en enjeu majeur sur lequel nous travaillons avec notre Espe (Ecole supérieur du professorat et de l’éducation). Nous faisons partie des quelques Espe qui ont été à nouveau accréditées en juin. Mais le dossier n’est pas simple, socialement parlant. Nous travaillons sur les passerelles pour que des étudiants puissent aller vers le monde de l’éducation à partir de filières de lettres ou de sciences. C’est fondamental pour la métropole.
Un autre grand défi est celui de la formation des ingénieurs. Aujourd’hui, l’Upec forme des étudiants en sciences mais pas des ingénieurs. C’est dans ce contexte que nous avons jeté les bases d’une école d’ingénieurs, avec un premier diplôme d’ingénieur spécialité Systèmes d’Information (SI) dès cette rentrée 2015, au sein de l’Ecole supérieure d’informatique appliquée à la gestion (Esiag) de l’Upec, en remodelant des formations de master. Nous souhaitons également transformer ‘Institut supérieur en Biosciences en école d’ingénieur et développer une filière avec l’IUT de Créteil-Vitry sur les innovations technologiques pour la santé, liées à mobilité des patients et au recueil d’informations. Nous serons prochainement évalués sur ce projet. Nous espérons aussi proposer des formations en alternance. Nous visons trois parties dans cette école d’ingénieurs, avec un objectif de 1000 étudiants. Il y a une école similaire à Marne La Vallée (Esipe MLV) et nous envisageons de les regrouper. A terme, l’objectif est de faire le lien avec d’autres écoles, notamment celles de la CCI (Chambre de commerce et d’industrie) comme l’Esiee, ou encore avec Les Ponts et chaussée, afin de disposer d’un portefeuille assez large, permettant à certains élèves, passés par l’Upec, de finir par les Ponts.
Des synergies avec des écoles d’ingénieurs du département comme par exemple l’Epita (Ecole privée d’ingénieurs informatiques et télécoms) sont-elles aussi envisagées ?
Nous avons discuté ensemble mais nous avons des modèles économiques très différents. Le label universitaire passe par des frais d’inscription à 300 euros. En tant que président d’une université publique, mon travail est de proposer des formations diplômantes publiques. L’accessibilité des frais d’inscriptions est très importante pour ne pas obérer l’avenir des étudiants.
Au-delà du Grand Paris, quelle projection à l’international ?
C’est un gros travail. Nous avons plus de 300 accords internationaux avec différentes universités, d’abord au niveau des personnels. Nous avons développé notre stratégie il y a deux ans, après avoir fait évaluer l’université par l’agence européenne des universités qui nous a recommandé comme zones d’intérêt les Etats Unis, la Chine, le Vietnam, la Turquie, l’Allemagne et l’Afrique du Sud. Il y a d’abord un travail d’amont avec les laboratoires de recherche et la formation, puis nous échangeons du personnel administratif, de recherche, de formation. Les modèles sont très différents d’un pays à l’autre mais il y a toujours des choses à partager. Concernant les étudiants, environ 3000 à 4000 partent à l’étranger chaque année.
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