Perplexe devant les larges panneaux invitant à «voter pour le T12» à Valenton, un passant s’interroge, se demandant s’il s’agit d’un projet immobilier avec de très grands appartements. D’autres imaginent un tramway. Mauvaise pioche, le T12, c’est le douzième territoire de la future métropole du Grand Paris (MGP). Pour la majorité des citoyens, même ceux qui s’intéressent à la vie locale,
la future métropole de Paris reste un concept flou. En témoignent les passants interviewés au fil des rues du département. Chacun y va de ses présupposés, d’une “grande fusion prévue pour 2050” à la “suppression des départements”... Pour les plus nombreux, il s’agit du Grand Paris Express, ces nouvelles lignes destinées à ouvrir le métro en dehors de Paris intramuros et relier entre elles les villes de banlieue.
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Transports
De fait, l’amélioration des transports arrive en tête des attentes formulées. “J’attends la ligne 15 avec impatience parce que, tous les jours, venir de Créteil pour aller travailler à Orly, c’est une galère !“, indique une Cristolienne. “Je travaille à Valenton depuis 5 ans et me déplace souvent en banlieue pour voir la famille, de Créteil à Orly jusqu’à Sevran (Seine-Saint-Denis), mais sans permis, c’est compliqué“, témoigne Bintou, la trentaine. “Aujourd’hui, aller à Paris me coûte et je réfléchis deux fois avant d’aller voir une exposition, j’ai la sensation que nous sommes des bestiaux dans les transports”, ajoute Danièle, artiste à la retraite, à Chennevières. “Il faudrait aussi développer les pistes cyclables car il est difficile d’aller au-delà du Kremlin-Bicêtre en vélo“, réclame de son côté Léo, la vingtaine, à L’Haÿ-les-Roses.
Emploi
L’amélioration de l’emploi aussi, figure parmi les attentes fortes. “Si le projet de la métropole peut apporter un plus pour travailler, je dirai oui“, insiste Catherine, fonctionnaire à Orly. “Il est temps de s’ouvrir aux petites villes de banlieue injustement méconnues, le plateau de Saclay concentre beaucoup d’activités, on a l’école polytechnique et des entreprises dont on ne parle pas alors qu’elles le méritent. Paris ne doit pas être le seul lieu de convergence vers l’emploi”, plaide Jihane, étudiante à Morangis (Essonne), croisée à Nogent.”Le Grand Paris devrait pouvoir créer plus d’emplois mais le coût de la vie va augmenter, c’est sûr”, craint un hôtelier de L’Haÿ-les-Roses. “Le rapprochement avec la capitale nous donnera plus de moyens pour nos quartiers abandonnés“, espère Alistair, lycéen de Vitry-sur-Seine.
Identité commune et décloisonnement
Au-delà du concret, c’est aussi la perception d’une métropole d’un seul tenant qui intéresse ou inquiète. “Que l’on m’assimile à une Parisienne ne me pose aucun problème d’identité”, se réjouit presque Françoise, retraitée de Vitry-sur-Seine avant d’ajouter : tant que les impôts fonciers n’augmentent pas pour autant !” “Le Grand Paris c’est synonyme d’extension et de connexion. Les jeunes ne vont pas à Paris alors que c’est à 20 minutes en RER. Mais ce sont deux mondes différents“, constate en revanche Stéphane, enseignant à Villeneuve-Saint-Georges, qui espère un décloisonnement. Certains ont franchi le pas. “Bien que j’habite à Alfortville, je me considère culturellement parisien, je ne pense pas connaître si bien ma ville“, reconnaît un habitant. “Je suis juste à côté de Champigny et Créteil mais c’est l’inconnu pour moi. Je prends le RER A pour aller à Paris, et j’y ai mes cours et mes activités”, note encore Florian, étudiant de Saint-Maur. “Moi je vis très bien ma banlieue, ma famille est proche, à Champigny, mes lieux d’activités sont à Créteil et Saint-Maur où je pratique la danse country et la peinture”, se satisfait au contraire Danièle de Chennevières. Cécile, enseignante de Fontenay-sous-Bois, veut préserver l’identité de chaque ville : “Quand on fait vivre une ville, il y a une appartenance, des identités de villes que l’on ne peut pas balayer”, s’inquiète-t-elle. Pourquoi seulement fondre la banlieue dans Paris ? Les banlieusards aimeraient aussi voir les Parisiens franchir le périph’. “J’espère que les gens pourront sortir de Paris, que nous pourrons faire connaître un peu plus les banlieues et leurs qualités”, plaide Florian. “Ce sera l’occasion de montrer les activités de la banlieue ainsi que de toute l’Île-de-France, se projette aussi Onur, jeune producteur à Alfortville. Enfin, honnêtement, je pense qu’il s’agit surtout d’embourgeoiser pour repousser les pauvres toujours plus loin à la périphérie“, ajoute-t-il immédiatement.
Quelle efficacité ?
En quoi la métropole du Grand Paris va-t-elle améliorer l’efficacité de l’organisation ? Là-dessus, les gens demandent à voir, un peu circonspects. “Les communautés d’agglomération étaient l’embryon de la métropole. En soi, que va-t-elle nous apporter ? A quoi sert l’association des communes ? Pour mutualiser quoi ? J’ai du mal à conceptualiser“, résume Monique, retraitée de l’Haÿ-les-Roses. “Quelle sera la gestion des villes ? Quel pouvoir auront les municipalités ? Je crains un lissage du territoire, on va perdre en proximité. Va-t-on supprimer les services publics ?“, s’interroge une habitante de Fontenay-sous-Bois. “La métropole est un très beau projet à la base mais c’est aussi le rajout d’une couche administrative. On promet la décentralisation mais en réalité, on a affaire à une nouvelle re-centralisation du pouvoir autour de Paris, sans prendre en compte les autres territoires. Il n’existe pas à mon sens de contre-balancement pour les banlieues éloignées, c’est juste bien pour la petite couronne. En tant qu’ancienne francilienne, puisque j’ai grandi à Noisiel (Seine-et-Marne), je dis qu’il faut arrêter de tout centraliser. Le projet du Grand Paris est directement en lien avec l’Etat, les communes ne décident pas. Je redoute un énième découpage territorial. La banlieue mérite mieux!“, ajoute Léa, partie habiter à Paris. “Il est sûr que tout changement entraîne des peurs. Mais la question est : pourquoi veut-on une gouvernance plus globalisée ? Est-ce pour perturber ou faciliter ? Les gens peuvent être réfractaires s’ils n’ont pas connaissance des intérêts locaux. C’est le problème aujourd’hui, les politiques savent mais pas les citoyens, aucun débat n’est organisé. J’ai le sentiment qu’il faut qu’on soit maintenu dans l’ignorance. Ce que j’attends de la métropole du Grand Paris est peut-être utopique mais j’ose croire possible le vivre-ensemble, le bien-être, la possibilité de faire plus de rencontres, de dire aux gens qu’ils ne sont pas que des consommateurs et qu’ils peuvent agir sans rester dans l’indifférence et l’ignorance, de marcher de banlieue en banlieue avec une certaine quiétude. Mais nous ne voulons pas d’un énième millefeuille à la Française”, développe Onur d’Alfortville.
Avec qui se marier ?
Si les élus sont loin d’être d’accord entre eux sur le découpage des territoires, les habitants ont aussi chacune leur idée, souvent en fonction de ses affects personnels. “Moi j’associerais Saint-Maur à Champigny ou Créteil pour développer l’entraide avec les voisins“, propose Florian à Saint-Maur. A Alfortville, un habitant veut convoler avec Maisons-Alfort “plus grande et riche en infrastructures” et aussi Charenton-le-Pont et Vitry-sur-Seine. “Le Port-à-l’Anglais fait la jonction avec Vitry au Sud-Ouest de la ville, le pont d’Ivry au Nord-Ouest en face de Chinagora et le pont de Charenton au Nord donnent facilement accès à ces dernières, alors autant gouverner ensemble“, défend-il. A Orly, Yann, étudiant, se marierait bien avec Vitry, “une ville qui bouge beaucoup“, et Thiais “pour la mixité sociale et éviter l’embourgeoisement.” Florence, étudiante, de Champigny, choisit Nogent, facilement accessible par l’A4. Et à Paris, Zoé voudrait s’associer à Vincennes et Yerres (Essonne), “bien que les villes soient très éloignées l’une de l’autre, car ce-sont les seules qui mélangent campagne et ville.” Franck, la cinquantaine, chauffeur et habitant de Boissy-Saint-Léger, mise sur Créteil :“Je ne souhaiterais pas que la ville de Boissy et sa banlieue soient rattachées à Paris, ce n’est pas dans notre intérêt, tout est mieux dans nos petites communes, les stationnements gratuits, les espaces verts ouverts le soir. Je penserais évidemment à Créteil s’il fallait s’associer, parce que c’est une ville forte. Le problème est que les gens n’y sont pas bien dans leur peau”, présume-t-il. A Fontenay, Cécile veut des synergies politiques : “Il faudrait que Fontenay puisse être intégré par exemple avec Champigny dans le même territoire, qui est la mairie communiste la plus proche, afin de partager des valeurs communes, le tissu associatif, le partage, la mixité sociale… ” A l’Haÿ-les-Roses, Monique, retraitée, hésite entre Orly et Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), “facilement accessibles en transport. Mais nous n’avons rien en commun en revanche avec Cachan et Chevilly-Larue“, estime-t-elle. Autant de citoyens, autant d’avis…
Propos recueillis par François Leroy et Florian de Paola
Pour l’ensemble des habitants des communes autour de Paris, le Grand Paris est encore mal connu car la communication à ce sujet est encore bien disparate et notamment pour certains territoires (ACTEP) dont les contours ne semblent pas encore bien définitifs, à la veille du 1er janvier 2016.
Même si l’objectif de ce Grand Paris est raisonnable et nécessaire, les habitants et les maires des communes vont être dépossédés d’un pouvoir local de décision, au profit d’une administration territoriale de plus (les départements de la proche couronne de Paris n’étant pas supprimés).
Il n’en reste pas pas moins que les habitants restent attachés à leur logement et au quartier dans lequel il s’insère, et donc à leur cadre de vie. La mise en place du Grand Paris risque d’oublier ce postulat, en éloignant les habitants de la gestion de proximité de leur quartier et de leur cadre de vie, car cela ne peux que leur nuire à terme.
Le débat est simple : indignons-nous et rendons le pouvoir réel au peuple, et laissons pas la communauté des élus de tous bords, le soin de décider de tout et de rien, sans se soucier de leurs administrés sinon de leurs petits potentats locaux.
Paul ANGIS
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