“Avant, on avait peur que nos enfants attrapent le Sida. Maintenant, on a peur qu’ils se fassent exploser dans les lieux publics“, témoigne une parente d’élève de Thiais… Comment prévenir la radicalisation des jeunes à l’école ? Tel était le débat proposé ce samedi 13 février par la fédération de parents d’élèves Fcpe Val-de-Marne, en présence d’un ancien détenu de Guantanamo.
Dans l’espace Robespierre d’Ivry-sur-Seine, une cinquantaine de personnes se sont interrogées sur cette question. Et d’abord, “qu’est-ce que l’école a à voir là-dedans ?” questionne Laurence De Cock, professeure d’histoire-géographie et chercheuse en sciences de l’éducation. “On demande beaucoup à l’école : gérer l’autorité et la transmission des savoirs“, pointe El Yamine Soum, sociologue à l’université Sorbonne-Nouvelle. “L’école ne peut pas tout, mais elle doit pouvoir former des citoyens, c’est un formidable espace pour apprendre le respect et la tolérance“, plaide Ali Aït Salah, président de la FCPE du Val-de-Marne.
Comprendre les décalages
“Il existe un nœud entre l’idéal de l’école républicaine et la diversité culturelle“, pose Laurence De Cock “Après les attentats de janvier 2015, on a entendu des élèves poser des questions mais on ne les a pas laissés s’exprimer. Or, pour eux, c’est insupportable que les valeurs de la République ne se discutent pas, c’est une injonction paradoxale“, développe-t-elle.
La religion musulmane en question ?
“Les idéologies traversent les individus et non l’inverse, et cette idéologie a essaimé au cœur de la religion musulmane“, pointe pour sa part El Yamine Soum, sociologue à l’université Sorbonne-Nouvelle. “On voit une coupure avec les familles, la mise en place d’une opposition entre un eux-nous. On désigne l’autre comme un ennemi et on fait de l’autre une exclusion“, poursuit le sociologue. “Il est délétère de postuler que le rapport du jeune à la religion soit le signal d’une radicalisation”, regrette pour sa part Laurence De Cock.
Comment enseigner la laïcité ?
L’enseignement de la laïcité et du fait religieux à l’école est-il une solution ? “Ce n’est pas suffisant “, estime Laurence De Cock, qui plaide davantage pour un enseignement du “fait politique”. “Il faut retisser des liens entre le jeune et le politique, car les jeunes sont aussi des acteurs“, interpelle-t-elle. Pour l’enseignante, la laïcité a été mal abordée. “Le discours d’urgence porté par le gouvernement, n’est pas celui de la temporalité de l’école. La relation pédagogique, c’est le temps long”, explique-t-elle.
Le vivre ensemble : un mot magique ?
“On ne sait plus ce que veut dire le vivre-ensemble“, commente pour sa part un parent de Villeneuve Saint-Georges, regrettant l’abandon du service militaire. “Ça, c’était le vivre-ensemble ! On se recroisait quelques années après dans la rue, contents de se dire bonjour, de se retrouver“, défend-il. “On est rentré dans une crise du vivre-ensemble“, renchérit une mère d’élève, qui défend, elle, l’intérêt des séjours collectifs organisés par l’école. “Ce sont des lieux extraordinaires de sociabilisation ! Mais les enseignants sont obligés de se battre au quotidien pour organiser des sorties. On leur répond qu’en Etat d’urgence, cela va être compliqué. Moi je suis inquiète…”
Quid de l’éducation populaire ?
Une parente d’élève prend la parole. Pour elle, l’organisation de l’école est en partie responsable. “L’école de la République a discriminé de manière structurelle. On construit des élites d’un côté, et on recrute des professeurs à Pôle Emploi de l’autre“, s’indigne-t-elle. “C’est bien de parler de l’école mais les politiques publiques ont aussi une grosse responsabilité“, contrebalance une autre mère d’élève, animatrice socio-culturelle. “On a décroché avec les grands principes pour virer à l’individualisation et à la consommation cloisonnée. On a fait la politique des ‘grands-frères’ , médiateurs dans les cités, mais cette dimension est à revoir. Est-ce qu’il y a encore des forces vives pour prôner l’éducation populaire ?“, questionne-t-elle . Pour le sociologue, la question n’est plus d’actualité. “Il est temps de sortir de la nostalgie de l’éducation populaire. Nous sommes responsables de nos choix de consommation.”
Quel rôle pour les parents ?
“Parents, vous avez un rôle à jouer contre les thèses conspirationnistes !” reprend Laurence De Cock. “Après Charlie, la classe de seconde où j’enseignais à Nanterre a essayé de me convaincre que ce qui s’était passé était faux. Les élèves m’ont même demandé de ne pas aller à la manifestation du 11 janvier parce qu’ils avaient reçu un texto des services libanais… Il faut comprendre comment ça marche et apprendre“, conseille-t-elle aux parents, “en accompagnant les enfants à aller chercher l’administration de la preuve, découvrir ce qui est vrai afin de construire le chemin vers l’accès au savoir. Ne les laissez pas dans la jungle du savoir !” L’éducation aux médias sociaux… est devenue centrale pour lutter contre ce type d’endoctrinement, s’accordent les intervenants.
“C’est facile de dire que c’est la faute au gouvernement, la faute à l’éducation, la faute aux parents … Aujourd’hui, tout le monde est concerné. Et le gouvernement, ce n’est pas la France, c’est à nous tous de montrer qu’on est capable !“, tranche une mère.
Le témoignage d’un ancien détenu de Guantanamo
Enfant du quartier des Minguettes à Lyon, Mourad Benchellali, lui, témoigne de son parcours. C’est sur les conseils d’un ami qu’il part en 2000, âgé de 19 ans, en Afghanistan. Il rêve d’aventure et idéalise ce voyage avant de déchanter sur place, dans un camp d’entrainement pour faire le djihad avec Al-Qaida. Arrrêté par les Américains au Pakistan, il passera deux ans dans les geôles de Guantanamo, de 2002 à 2004, puis deux ans à Fleury-Mérogis à son retour en France. Depuis, il a écrit un livre “Voyage vers l’enfer” paru en 2006. “Faire le djihad, ce n’est pas défendre la veuve et l’orphelin. Il faut déconstruire cette idée qu’il y a deux civilisations, c’est le plus important ! Parce qu’on essaie de nous envoyer dans une guerre idéologique“, insiste-t-il. Devenu formateur dans une école d’insertion professionnelle, il participe sans relâche à des actions de prévention contre la radicalisation. “Mes parents m’ont bien éduqué, ce n’est pas leur faute, j’ai grandi en France, je me sens Français. Ce que j’ai fait, oui c’était une connerie. Les chefs d’établissements ne voulaient pas me recevoir au début. Un détenu de Guantanamo, quel exemple pour la jeunesse ? Depuis, cela s’est très bien passé.”
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