Elles refusent les viols, souvent collectifs, perpétrés par les soldats de leur pays depuis 1993. Elles voudraient que leurs plaintes aboutissent et que la France soutienne leur cause. Dix Djiboutiennes sont en grève de la faim depuis vendredi 25 mars à Arcueil, dans les locaux du Comité local des femmes solidaires, à quelques jours des élections qui verront se représenter le président sortant Ismaïl Omar Guelleh pour un quatrième mandat.
Indépendant de la France depuis 1977, Djibouti a rapidement vu s’affronter ses forces gouvernementales et le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD), essentiellement composé d’habitants Afar du Nord et Ouest du pays, au début des années 1990. C’est à cette époque que les viols de femmes Afar par des soldats djiboutiens ont commencé. Parmi les dix femmes djiboutiennes, toutes réfugiées en France ou en Belgique, qui ont arrêté de manger depuis le 25 mars, une première se souvient. “Je suis née à la campagne, près de Djibouti. Nous étions heureux avec mes parents et avec nos chèvres. En 1993, les soldats ont occupé les lieux. Trois d’entre eux ont voulu s’attaquer à ma soeur, mais elle a réussi à s’enfuir. C’est moi qu’ils ont violée, devant mon père. Celui-ci a voulu intervenir mais ils lui ont tiré dessus. Il a survécu aux balles mais est décédé d’une crise cardiaque peu de temps après”, témoigne-t-elle, avec difficulté, traduite par Aïcha Dabale, présidente du Comité des Femmes djiboutiennes contre les viols et l’impunité et militante sans relâche pour les droits des femmes dans son pays, également très active contre les mutilations sexuelles (excision, infibulation) dont sont encore victimes de nombreuses filles djiboutiennes malgré l’interdiction officielle de ces pratiques. C’est son association qui a aidé la jeune femme, totalement détruite psychologiquement, à quitter Djibouti pour rejoindre l’Ethiopie puis la Belgique où elle vit désormais, à Namur.
Fatouma, elle, se bat en mémoire de sa cousine. Réfugiée en Ethopie, cette dernière et sa famille sont rentrés au pays suite aux premiers accords de paix signés entre le gouvernement djiboutien et une partie du mouvement rebelle en 1994. C’est quelques temps après être revenue à Djibouti qu’elle a été violée par plusieurs soldats, à l’âge de seize ans. “Après, elle s’est laissée mourir, raconte Fatouma. Je me suis dit que je ne pouvais plus rien faire pour elle mais que je devais me battre.” C’est ainsi qu’elle a rejoint l’association d’Aïcha, qui agit également clandestinement sur place. Arrêtée une première fois par les autorités, elle s’enfuit en Ethiopie avec l’aide du Comité des femmes djiboutiennes puis rejoint la Belgique où elle vit à Bruxelles, aujourd’hui âgée de 29 ans.
Perpétrés depuis 1993, spécifiquement sur les femmes Afar, les viols se poursuivent aujourd’hui, au Nord et au Sud-Ouest du pays. “Nous avons récolté 246 témoignages mais estimons qu’il y en a beaucoup plus car la majorité des femmes se taisent. Nous sommes soupçonnées de sympathie avec la résistance locale mais c’est un prétexte. Les violences interviennent lorsque les femmes vont voir un proche emprisonné à la caserne mais aussi parfois alors qu’elles sont simplement parties chercher de l’eau“, indique Aïcha Dabale. 20 plaintes ont été déposées en bonne et due forme, mais elles ont toutes été classées sans suite ou requalifiées en “coups et blessures”. “Il est aussi quasi-impossible d’obtenir un certificat médical attestant d’un viol. Aucun médecin local n’accepte de le délivrer, par peur de ne plus pouvoir exercer. Nous avons juste réussi à en obtenir quelques uns auprès de médecins militaires français mais pour eux aussi c’est compliqué.”
Situé dans la corne de l’Afrique, Djibouti revêt un intérêt géostratégique essentiel malgré sa petite taille et accueille d’importantes bases militaires françaises, américaines, et même désormais chinoise et nippone, pour lutter contre la piraterie sur les mers, surveiller et intervenir sur des pays en guerre voisins, lutter contre les bases de terrorisme… Des intérêts qui ne sont pas toujours compatibles avec une défense absolue et affirmée des droits de l’Homme. “Il y a une véritable omerta concernant ce qui se passe à Djibouti. Le traitement de l’assassinat du juge Borrel en témoigne”, indique Sabine Salmon, présidente de Femmes solidaires. La fédération féministe, qui compte 190 associations locales en France, se bat depuis 1995 aux côtés des femmes djiboutiennes. Et la Cour pénale internationale ? “Elles n’y ont pas accès car il faut avoir épuisé tous les recours dans son pays. Or, les plaintes n’aboutissent pas“, reprend Sabine Salmon.
Alors que les élections présidentielles djiboutiennes se tiennent le 8 avril, et que la question des viols ne figure aucunement dans la campagne, les femmes djiboutiennes ont décidé d’inscrire à leur manière cette question à l’agenda. Sur place, le contexte électoral est tendu. Face à Ismaïl Omar Guelleh, président depuis 1999 et prêt à se faire réélire pour un quatrième mandat, une partie de l’opposition appelle aux boycott des urnes pour dénoncer une élection jouée d’avance.
L’Association Femmes Solidaires et le Comité des femmes djiboutiennes contre les viols et l’impunité espèrent mobiliser la communauté internationale et portent quatre revendications : “la reconnaissance de ces viols comme crimes de guerre, l’ouverture d’une enquête internationale sur toutes les exactions commises à l’encontre des femmes en République de Djibouti, le jugement des soldats coupables des viols et le respect des conventions régionales et internationales ratifié par Djibouti dont la CEDAW (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes).”
D’ores et déjà, plusieurs parlementaires sont venues au chevet des grévistes de la faim, à l’instar de Laurence Cohen, sénatrice PCF du Val-de-Marne, ou de Marie-Christine Vergiat, députée européenne Front de gauche. “Nous allons essayer de faire voter une résolution par le parlement européen, mais une fois que les élections seront passées”, explique la parlementaire européenne, présente au local des femmes solidaires d’Arcueil ce mardi 29 mars.
Ce mercredi 30 mars, les dix femmes djiboutiennes entament leur sixième jour sans manger.
Dans les sociétés dites ‘traditionnelles’, et encore plus là où les États sont faibles et soumis aux religions, la place de la femme n’est pas enviable … La France, et son ministère de la femme ou de je ne sais quoi d’approchant, s’honorerait si elle en est encore capable en soutenant la lutte de ces femmes … Mais Djibouti est une place stratégique, alors … peu d’espoir !
L’homme a toujours été un loup pour l’homme, et encore plus pour les femmes. C’est vrai chez nous, mais c’est encore plus vrai quand la civilisation n’a pas passé les frontières. Les gouvernements se prétendent civilisés et humains. Ils s’honoreraient à lutter contre ce fléau qu’est le viol. Pour l’instant, ils se deshonnorent
Bon courage dans votre lutte
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