Justice | | 11/03/2016
Réagir Par

En attendant la proclamation de leur peine, les ex-djihadistes plaident leur réinsertion

En attendant la proclamation de leur peine, les ex-djihadistes plaident leur réinsertion

Sur les douze personnes qui comparaissent, seules cinq sont présentes, les autres sont restées en Syrie et certaines ne sont peut-être plus en vie. Concrètement, il leur est reproché d’être parties en Syrie et d’avoir rejoint des camps d’entraînement de Daech, d’avoir, pour certains, incité d’autres à partir, ou encore d’avoir participé à l’organisation de la filière en fournissant du matériel (armes, accessoires) et en organisant la communication au sein du groupe. Les faits remontent à l’été 2013. A l’époque, Daech vient tout juste de s’installer en Syrie (avril 2013) pour combattre contre le pouvoir de Bachar El-Assad aux côtés des rebelles avec le Front al-Nosra. Rapidement toutefois, la brutalité de Daech les isolera des autres combattants. A l’époque, la France a déjà connu des attentats meurtriers mais pas encore d’actes terroristes revendiqués par l’Etat islamique. Depuis, il y a eu les attentats meurtriers de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher, puis les attentats de novembre 2015 au Bataclan, dans les cafés parisiens et devant le Stade de France. C’est dans ce nouveau contexte que les cinq personnes présentes dans le box des accusés comparaissent cette semaine. Entre l’appréhension fine de leurs motivations de l’époque et de leurs convictions actuelles, la volonté de donner l’exemple et la nécessité de refaire place à ces personnes, la plupart à peine trentenaires, dans la société, la justice va devoir faire la part des choses. Les verdicts sont attendus ce vendredi soir.

Dix ans de requis pour les absents

Ce sont les absents, dont plusieurs sont soupçonnés d’avoir été les gourous et les cerveaux de l’organisation, qui ont écopé de la plus lourde requête de la part du parquet, soit dix ans de réclusion. C’est le cas de Mustafa Mraoui, la trentaine, considéré comme l’un des gourous, est soupçonné d’avoir incité plusieurs fidèles au départ vers la Syrie en infiltrant la mosquée de Villiers-sur-Marne. C’est aussi le cas de Karim, autre gourou, qui préparait notamment le combat en s’entraînant au parc du Tremblay. Idem pour Iliès Chahiba, décrit également comme “un meneur charismatique” et dont l’ex-femme est présente, elle, sur le banc des accusés. Dix ans encore pour le jeune Mickaël Batista, ancien élève en troisième année de Staps à l’université de Créteil, et pour Eddie et Kevin. Parmi ces absents, plusieurs seraient déjà morts au combat, comme Mickaël Batista et Karim.

Neuf ans pour ceux qui sont partis et revenus

Pour Hedi Arbouche et Abdelhakim Al Tahar, le Parquet a requis une peine de neuf ans de prison assortie d’une sûreté des deux tiers pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.

Hedi Arbouche plaide la repentance

Parti en août 2013 et rentré en avril 2014 avant d’être arrêté quelques jours plus tard, Hedi Arbouche a plaidé le repenti. “J’aimerais reprendre une vie normale, et reprendre mon métier de salarié dans un centre d’appel. En ce moment, je passe des diplômes en prison à Fleury-Mérogis, un BTS en négociation relation client à distance, et une formation en informatique“, détaille-t-il. J’avais commencé par un BTS gestion et comptabilité mais j’ai dû arrêter parce ce qu’on m’a changé de bâtiment. J’ai un régime particulier en prison… Toutes les deux heures, je dois faire un signe de vie à un surveillant, de jour, comme de nuit. On est regroupé dans des unités dédiées, avec des gens que je n’ai pas envie de retrouver, ce sont ces gens que j’ai fui en Syrie“, poursuit-il.  Et d’évoquer une rencontre déterminante lors d’un atelier avec un ancien détenu de Guantanamo intervenant dans les classes pour sensibiliser les jeunes contre les discours de radicalisation. “Je voudrais pourquoi pas devenir témoin, pour faire comprendre que ce qui se passe en Syrie n’a rien à voir avec l’Islam. Ils nous utilisent, nous, jeunes occidentaux, jeunes Français. Ils combattent entre eux, veulent prendre le plus d’argent possible. J’espère être la cause du renoncement de certains jeunes”, achève Hedi Arbouche, confiant qu’il est “fier d’être un citoyen français.” Sa seule ombre au tableau : sa femme vit en Egypte avec sa petite fille et ne souhaite pas rentrer. “Elle a peur de rentrer en France et m’a dit qu’elle voulait refaire sa vie. Depuis, je n’ai plus aucun contact avec elle.” Maître Morand Lahouazy, son avocat, espère réduire la peine de son client. “La seule réponse ? C’est la détention, mais qui n’a pas toujours l’effet escompté. Pour mon client, Monsieur Arbouche, ça a été positif. Il a pris beaucoup de recul depuis” se satisfait-il. “Il faut voir ces jeunes comme des délinquants qui seront condamnés pour ça. Ils ont fait ce choix mais sont en partie victimes, car sous-influence.

Abdelhakim Al Tahar voudrait redevenir plombier ou ouvrir une crêperie

Je voudrais pouvoir me racheter auprès de ma famille, travailler, prendre soin de ma petite fille et de ma femme, trouver un appartement. Si je trouve dans la plomberie, je continuerai, sinon je pense ouvrir une crêperie française à Marrakech“, motive pour sa part Abdelhakim Al Tahar, parti en Syrie en août 2013 le lendemain de la naissance de sa fille (voir article précédent à ce sujet). Il se souvient avec nostalgie des 5 mois passés en France à son retour de Syrie avant son interpellation, période durant laquelle il avait pris un emploi d’éboueur. “A Orly quand je suis rentré, je pensais être attendu par les autorités et puis non.” Une erreur d’orthographe dans son prénom serait à l’origine de ce sursis. Actuellement en détention, le Campinois vit mal le quotidien avec ses compagnons de cellule. “Ils veulent partir en Syrie. Je préférerais être avec des gens qui vendent des stup’…” Dans la salle d’audience, sa famille est venue nombreuse pour le soutenir, notamment sa mère, qui lui a lancé un baiser avant de quitter la chambre correctionnelle. “Le tribunal est passé à côté de la personnalité d’Abdelhakim ! Il ne représente aucune dangerosité“, commente son avocat, Maître Garnier, à la sortie de l’audience.

Sophia veut tourner la page

Sophia, l’ex-femme d’Iliès Chahiba, l’un des prévenus absents contre qui il est requis une peine de dix ans, encourt de son côté une peine de quatre ans dont deux avec sursis pour avoir commandé et acheminé des armes et accessoires à son ex-mari. Elle était à l’époque partie le rejoindre avec ses enfants. Des actes que la jeune femme explique avoir fait par amour. Très émue, Sophia n’a pu retenir ses larmes. “J’essaie de me reconstruire, de passer à autre chose, de refaire ma vie… J’ai demandé le divorce, cherché un appartement pour mes parents, mes enfants et moi. J’ai retrouvé un travail de vendeuse et plus tard, j’aimerais devenir superviseur dans un magasin de prêt-à-porter.” Indiquant  ne plus être sous l’emprise de son mari, la mère de trois enfants âgés de 2, 3 et 7 ans, veut tourner la page. Depuis quelques temps, elle a aussi retiré le voile qu’elle portait, non seulement pour le travail comme elle a précisé, mais aussi en rupture avec le passé. “J’avais envie de m’ouvrir aux autres, je ne voulais plus qu’on me montre du doigt… Oui, j’ai honte de ce que j’ai fait“, a-t-elle plaidé. “Sophia a eu le courage de se dresser contre son mari, en demandant le divorce ! L’amour de ses enfants a été plus fort“, a plaidé son avocate, qui voudrait que la peine soit entièrement infligée avec sursis, avec mise à l’épreuve.

Fils de réfugiés cambodgiens, Bily enseigne en primaire

Contre Bily et Fouad, les deux soutiens logistiques non partis en Syrie, a été requis une peine de trois ans de prison. “Je suis enseignant en langue arabe dans une école primaire privée et aimerais reprendre mes études. Je vis en concubinage avec ma femme et ma petite fille de quatre mois. Je suis d’origine cambodgienne et mes parents sont des réfugiés politiques“, se présente Bily, qui était bouddhiste avant de se convertir à l’islam, religion dans laquelle il indique avoir “trouvé davantage de spiritualité“. “Je ne rencontre aucun problème pour pratiquer ma foi en France” a-t-il insisté.

Ancien prof d’Anglais au collège, Fouad a créé son entreprise dans les transports de personnes

Professeur d’Anglais dans un collège de Seine Saint-Denis au moment de son interpellation par les services de la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure), Fouad est devenu entrepreneur en transports de personne à Fontenay-sous-Bois après sa garde à vue. Placé en contrôle judiciaire depuis 2 ans, il devait jusqu’à présent pointer au commissariat de la ville.  Fouad se projette également au-delà de la prison. “J’ai aussi une fille, qui a 10 mois, je vis avec ma femme et j’ai l’intention de me marier“, a-t-il annoncé.   “Si lui est radical, alors je ne vois pas qui ne peut pas l’être ! Je plaide pour la relaxe”, a demandé son avocat.

Mickaël Dos Santos, un jeune de Champigny dont la mère avait cru reconnaître la présence sur une vidéo de Daech avant de se rétracter, devrait faire l’objet d’un procès distinct.

A lire aussi :

Les djihadistes de Champigny-sur-Marne à la barre

Une semaine de procès pour une filière djihadiste de Champigny-sur-Marne

 

Abonnez-vous pour pouvoir télécharger l'article au format PDF. Déjà abonné ? Cliquez ici.
5 commentaires

N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.

Ajouter une photo
Ajouter une photo

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous chargez l'article suivant