Rats, cafards, punaises de lit, promiscuité due à la surpopulation… C’est un tableau apocalyptique que dresse la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, dans ses recommandations publiées ce mercredi 14 décembre au Journal officiel, exigeant une action immédiate et proportionnée.
Début octobre, l’OIP, Observatoire international des prisons, a poussé un coup de gueule sur les conditions d’incarcération à Fresnes en déposant un référé liberté exigeant une intervention de l’Etat. Une plainte reçue par le Tribunal administratif qui a répondu par une ordonnance à l’Etat d’agir, le jeudi 6 octobre. En parallèle, une douzaine d’enquêteurs ont inspecté les lieux entre le 3 et le 14 octobre sous la houlette de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne se sont pas déplacés pour rien, confirmant en tous points les alarmes des syndicats de surveillants et de l’OIP. Dans ses recommandations d’urgence publiées ce mercredi 14 décembre au Journal Officiel, la Contrôleure générale fait état “d’un nombre important de dysfonctionnements graves qui permettent de considérer que les conditions de vie des personnes détenues constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.” Une situation qui serait le “résultat d’une évolution relativement récente, dans la mesure où la visite du même établissement, réalisée en janvier 2012, n’avait pas conduit le CGLPL à des constats comparables.”
Plus de la moitié des détenus vivent à trois dans des cellules de 10 m2
Premier élément : la surpopulation croissante, élément objectivé par un tableau de chiffres.
Concrètement, la première division, qui accueille le quartier des arrivants, le quartier d’isolement, l’unité dédiée aux personnes radicalisées et les détenus dont l’affaire a été médiatisée, accueille 614 personnes pour une capacité théorique de 386 places, soit un taux d’occupation de 159 %. La deuxième division, qui héberge essentiellement des condamnés dans une aile et des prévenus l’autre, en accueille 862 pour une capacité de 432 places, soit un taux d’occupation de 199 %. Quant à la troisième division,qui héberge beaucoup de personnes étrangères et de détenus qui sont en emploi ou formation, elle en accueille 861 pour 428 places, soit un taux d’occupation de 201 %. “Les conditions d’encellulement se trouvent dès lors très dégradées. Rappelons qu’à Fresnes toutes les cellules sont à peu près identiques. Ce sont des cellules individuelles, d’une taille voisine de 10 m2. Pourtant on n’y trouve que 296 cellules occupées par une seule personne, 350 cellules occupées par deux personnes et 421 cellules occupées par trois personnes. Dès lors, c’est seulement 13 % environ de la population qui bénéficie d’un encellulement individuel, 31 % environ qui partage une cellule à deux et près de 56 % qui vit à trois dans une cellule“, pointe la contrôleure. En outre, prévenus et condamnés sont souvent mélangés.
Alors que plus de la moitié des détenus partagent leur cellule de 10m2 à trois, il ne reste que 6m2 à se partager une fois déduite l’emprise des lits, des toilettes et de la table, et “les toilettes, qui ne sont pas totalement isolées du reste de la pièce, le délabrement de l’immobilier et l’hygiène déplorable rendent le confinement plus intolérable encore.” Une situation ” très en deçà des normes fixées par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), qui prévoient que les détenus doivent bénéficier, hors espace sanitaire, de 6 m2 au moins pour une cellule individuelle, 10 m2 pour deux et 14 m2 pour trois“, appuie la contrôleure.
Tout en reconnaissant les projets de résorption de la surpopulation carcérale à moyen terme, les recommandations publiées au JO exigent une action immédiate concernant Fresnes. “La suppression immédiate des encellulements à trois (421 cellules) doit être la première étape de cette réduction ; elle aurait pour effet de ramener la population détenue à Fresnes légèrement au-dessus de son niveau de 2012. Bien entendu cette mesure urgente ne saurait suffire à régler le problème“, est-il demandé.
Rats et punaises de lit pullulent
La suite du tableau dressé par la CGLPL aurait pu être racontée par un Zola dans un autre siècle : “Les rats évoluent en masse au pied des bâtiments, dans les cours de promenade et aux abords des bâtiments tout au long de la journée. Ils ne s’effraient pas de la présence d’êtres humains ; on ne peut éviter de piétiner leurs excréments ; ils sont présents jusque dans la cour d’honneur de l’établissement. L’odeur persistante de leur pelage, de leurs excréments et de leurs cadavres s’ajoute à celle des amas d’ordures qui jonchent le pied des bâtiments. Cette pollution contribue du reste elle-même à entretenir la présence des rongeurs ; elle résulte certes en partie d’actes d’incivilité, mais aussi d’autres facteurs tels que la promiscuité en cellule, l’absence de réfrigérateurs ou la taille insuffisante des poubelles. Les mesures nécessaires pour prévenir et traiter cette pollution ne sont pas prises.
A l’intérieur des bâtiments, les rats sont moins visibles mais leur présence se manifeste sporadiquement ; selon plusieurs témoignages du personnel, un rat s’est introduit dans le lit d’un surveillant de permanence qui a dû subir un traitement préventif de la leptospirose et il arrive que l’on voie l’urine des rats s’écouler de faux plafonds. Des comportements « adaptés » à cette nuisance permanente se sont développés : les personnes détenues ne s’asseyent plus au sol dans les cours de promenade, mais doivent se contenter de s’accroupir ou de s’adosser, et lorsqu’elles veulent jouer aux cartes, elles ne les posent pas par terre mais dans les mains d’un codétenu, qui servent de table de jeu.
Ces conditions de vie sont indignes et portent directement atteinte à la santé des personnes, personnel et détenus, en particulier lorsque ces derniers sont affectés à un travail de nettoyage comme les « auxiliaires abords » sans aucune précaution d’hygiène et de sécurité : cette année, deux cas graves de leptospirose liés à la présence des rats ont été signalés à l’Institut national de veille sanitaire.
L’établissement est également infesté par les punaises de lit. Entre mars et octobre 2016, 281 cas ont été déclarés à l’unité sanitaire, dont 63 % dans la troisième division, la plus surpeuplée. La promiscuité, 22 heures sur 24, dans les cellules accroît la gravité de cette situation. Les contrôleurs ont pu observer que de nombreuses personnes détenues présentaient de multiples traces de piqûres. L’unité sanitaire considère que les piqûres des punaises sont à l’origine d’environ 10 % des visites effectuées pour les soins somatiques. Comme la présence des rats, celle de ces insectes porte donc à la fois atteinte à la dignité et à la santé des personnes détenues et des professionnels présents dans l’établissement.”
Manquements de la part de la direction
La présence des rats et des punaises n’est ignorée ni de la direction, ni des autorités de l’administration pénitentiaire, ni même des partenaires de l’établissement. Elle a été clairement évoquée le 10 mai 2016 lors du conseil d’évaluation de l’établissement, indique le rapport de la Contrôleure. “Pourtant, elle n’a pas été traitée par des mesures proportionnées au problème“, souligne la CGLPL qui insiste en indiquant qu’ayant été saisie à plusieurs reprises par des détenus, elle a interrogé la direction dès le début 2016. “Celle-ci s’est contentée de mesures insuffisantes et de réponses rhétoriques dépourvues de tout lien avec la réalité qui a pu être observée quelques mois plus tard”, tacle la CGLPL.
Violation de la convention européenne des Droits de l’Homme
Pour la CGLPL, la situation observée à Fresnes est comparable à celles que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a considérées comme une violation de l’art. 3 de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Canali contre France du 25 avril 2013, qui indiquait que «l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles d’hygiène a provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à l’humilier et à le rabaisser. Dès lors, la Cour estime que ces conditions de détention s’analysent en un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.» Et la CGLPL de recommander la rénovation urgente du centre avec, immédiatement, “des mesures de dératisation et de désinsectisation d’une ampleur adaptée à la situation, avec obligation de résultat.”
Personnel insuffisant
Face à cette surpopulation, la CGLPL dénonce également un manque de personnel, et le chiffre de manière factuelle :
6 directeurs présents sur l’ensemble du centre pénitentiaire pour un effectif théorique de 8, soit – 25 % ;
18 officiers présents à la maison d’arrêt des hommes pour un effectif théorique de 26, soit – 30 % ;
676 surveillants et gradés présents à la maison d’arrêt des hommes pour un effectif théorique de 703, soit – 4 %.
“Par rapport à la situation de 2012, la dégradation observée est significative : l’effectif des surveillants et gradés est quasi stable alors que celui de la population incarcérée a augmenté de près de 20 % sur la période. En revanche, l’effectif de l’encadrement, directeurs et officiers, a connu une baisse très significative qui n’est pas sans conséquence sur la prise en charge de la population pénale. Malgré la dureté des conditions de travail, l’absentéisme, paradoxalement, est faible“, souligne la Contrôleure qui témoigne “du travail effréné des surveillants soumis à une pression constante qui les empêche de faire face à leur programme et aux multiples sollicitations des personnes détenues. Le simple fait d’ouvrir et fermer les portes, sans même attendre qu’une personne détenue mette quelques secondes à sortir, ce qui est pourtant inévitable, ne peut durer moins de vingt-cinq minutes pour la cinquantaine de cellules dont un surveillant est chargé. La faible expérience de la majorité des surveillants aggrave encore la difficulté de leur tâche. La direction, qui ne dispose pas de statistiques précises sur ce point, estime à 70 % environ la proportion des stagiaires dans son personnel.” Il en résulte une impossibilité des surveillants de permettre aux détenus de bénéficier des activités ou des soins prévus. “Le respect des droits fondamentaux tels que les droits aux soins, au travail, au respect des liens familiaux, à l’enseignement, etc., est donc structurellement impossible. Il est du reste inévitable qu’il en soit ainsi lorsqu’un surveillant seul se trouve en situation de prendre en charge environ 120 personnes détenues, situation courante à Fresnes que l’on ne rencontre dans aucun autre établissement“, pointe la CGLPL, recommandant un renforcement urgent du personnel par des agents expérimentés.
Violence à tous les étages
Des conditions idéales pour que s’installe un climat tendu, avec des réactions très fortes des surveillants dès les premiers signes d’opposition. “Ainsi, l’observation directe d’une situation par un contrôleur et sa vérification le lendemain à partir d’images de vidéosurveillance a montré que, face à un « blocage » sans violence, l’alarme avait été immédiatement déclenchée et la personne détenue immédiatement maîtrisée par la force, puis conduite au quartier disciplinaire dans une position douloureuse, les bras relevés et tendus dans le dos, alors même qu’elle ne se débattait pas. Un coup de pied lui a été asséné alors qu’elle était immobilisée. Le lendemain, la comparaison du compte rendu d’incident et de la vidéosurveillance montrait des divergences importantes : le compte rendu faisait état d’une bousculade d’un surveillant par la personne détenue alors que les images ne confirmaient pas cette information ; de même le compte rendu d’incident faisait état de l’emploi d’une force physique « strictement nécessaire », alors même que plusieurs témoins l’avaient considérée comme étant disproportionnée. Un intervenant, présent à temps complet dans l’établissement, a indiqué qu’une telle scène était « habituelle »” détaille la CGLPL. Les violences entre personnes détenues sont aussi légion. “Le personnel de l’unité sanitaire témoigne d’une augmentation des traumatismes physiques liés à l’augmentation de la population pénale. Des zones de risque sont clairement identifiées : les douches dans lesquelles les personnes détenues sont enfermées sans surveillance, les salles d’attente où règnent saleté et promiscuité, également sans surveillance, et les cours de promenade, dans lesquelles les personnes détenues sont entassées avec une surveillance illusoire sachant qu’un surveillant unique est chargé d’une douzaine de cours alors qu’il ne peut en voir que deux ou trois simultanément et qu’il n’a pas accès à la vidéosurveillance“, poursuit la CGLPL.
Dans cette dégradation du sentiment d’humanité, la GLPL note aussi le recours aux fouilles à corps non conformes à la loi. “Les fouilles à corps doivent être expressément motivées, soit, en application de l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 dans sa rédaction initiale, par le comportement de la personne fouillée, soit, depuis la modification de cet article par la loi du 3 juin 2016, par un risque particulier identifié au niveau de l’établissement. A la maison d’arrêt de Fresnes, une note interne d’application définit des critères de recours aux fouilles à corps qui sont si extensifs qu’en pratique la fouille à corps devient la règle et non l’exception. En témoigne le fait que les surveillants ne disposent pas d’une liste des personnes à fouiller, mais seulement de celles qui ne doivent pas être fouillées. Plus grave encore, en deuxième division, nonobstant l’existence d’une liste de personnes qui ne doivent pas être fouillées, les fouilles à corps sont systématiques“, souligne la GGLPL. “Le tutoiement des personnes détenues par les surveillants est quasi systématique et des témoignages de propos agressifs, dégradants ou humiliants que l’on peut assimiler à des brimades ont été rapportés aux contrôleurs dans des proportions jamais observées auparavant”, aligne encore la CGLPL.
Face à ce tableau apocalyptique, la CGLPL considère “que la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Fresnes doit faire l’objet, d’une part, de mesures urgentes concernant la surpopulation pénale, la rénovation de l’immobilier et l’effectif des surveillants, et d’autre part, d’une reprise en mains du fonctionnement de l’établissement, notamment aux fins de faire cesser le climat de violence” et demande “au ministre de la justice de faire procéder à une inspection approfondie de l’établissement et d’informer le CGLPL de ses conclusions ainsi que du suivi de leur mise en œuvre.”
Le ministre va faire inspecter les matelas
Dans une lettre réponse du 13 décembre adressée au CGLPL, le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas promet une inspection immédiate de tous les matelas ainsi que des travaux de colmatage et de bétonnage destiné limiter la prolifération des rongeurs, à partir de 2017. Un appel d’offres est également en cours pour lancer une opération de désinsectisation des cellules de grande ampleur. Et le ministre de la Justice de rappeler également le programme de construction de prisons qu’il avait annoncé… depuis la prison de Fresnes, en septembre. Dans un communiqué de presse publié ce 13 décembre, le ministre annonce an outre la création d’une commission chargée de rédiger un livre blanc sur la construction pénitentiaire, dirigée par Jean-René Lecerf, ancien sénateur, rapporteur de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et actuel président du Conseil départemental du Nord.
Une deuxième prison à Fresnes ?
Début octobre, le Garde des Sceaux avait précisé le plan prison en annonçant la création de 33 nouveaux établissements pénitentiaires, dont un dans le Val-de-Marne. Aucun lieu n’a pour l’instant été défini mais celui-ci pourrait se situer à côté de la prison actuelle où il reste du foncier disponible. D’ici là, la maison d’arrêt actuelle aura peut-être le temps de redorer son blason.
Ne serait il pas vexant pour eux que les locataires des lieus fassent le ménage de temps en temps
C’est un scandale. Il paraît même qu’on ne sert plus de porc à la cantine de la prison pour se conformer aux prescriptions des détenus. Il est vraiment temps d’agir.
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