Société | Val-de-Marne | 27/10/2016
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Pourquoi les policiers en ont plein le dos, dans le Val-de-Marne comme ailleurs

Pourquoi les policiers en ont plein le dos, dans le Val-de-Marne comme ailleurs

Thérapie de groupe, concertation inédite ou les deux ? Après la visite surprise de Bernard Cazeneuve à Créteil ce dimanche après-midi, c’est au tour du préfet et du directeur territorial de la police de faire la tournée des commissariats pour écouter les policiers vider leur sac depuis ce lundi, et celui-ci est bien rempli.

Après les attentats de Charlie, de l’Hypercacher et le meurtre de la policière de Montrouge en janvier 2015, les forces de l’ordre avaient été acclamées par la foule lors des rassemblements citoyens qui avaient suivi. Si cette reconnaissance leur a fait chaud au cœur, les conditions d’exercice du métier n’en ont pas été facilitées pour autant. Au contraire, les missions supplémentaires occasionnées par la mise en œuvre du plan Vigipirate ont mobilisé les forces de l’ordre encore davantage, rajoutant un peu plus de pression.

A cela s’est ajouté le stress d’être pris pour cible par principe en tant que policier, comme cela s’est passé lors du meurtre d’un couple de policiers à leur domicile au printemps dernier à Magnanville. «A une époque, les jeunes nous insultaient et nous envoyaient des cailloux. Aujourd’hui, certains veulent tuer du flic, car nous représentons l’Etat avec notre uniforme. A chaque manifestation, des collègues se prennent des cocktails Molotov», témoigne Fabien Seigneur, responsable de district Unsa Police. Le 8 octobre dernier, l’attaque aux cocktails Molotov d’un véhicule de police en charge de surveiller une caméra de vidéosurveillance à Viry-Châtillon, qui a gravement brûlé deux agents, a mis le feu aux poudres.

Immédiatement, les policiers du Val-de-Marne, très proches du lieu où s’est produite l’agression, se sont mis en service minimum à l’appel du syndicat Alliance, avec 9 commissariats sur 17 dès le lundi et la totalité le mercredi. Comme ailleurs en France, un rassemblement était aussi organisé devant le tribunal ce mardi après-midi, alors que le ministre de l’Intérieur recevait les représentants de policiers ce mercredi pour annoncer son plan d’urgence. Besoin de clarification sur la légitime défense, recentrage sur les missions de sécurité, cohérence police-justice… autant de griefs exprimés par les forces de l’ordre.

Question de légitime défense

Concernant la légitime défense, les policiers exigent de la clarification. «Les règles de légitime défense doivent être énoncées plus clairement. Aujourd’hui, il arrive régulièrement que l’on n’ose pas utiliser nos armes face à des individus déterminés, car nous craignons les retombées judiciaires et administratives», explique Fabien Seigneur. «Même en étant légitime, supporter des années de mise en examen, voire de la prison préventive, est lourd. Il y a un homme sous le casque ! appuie Christophe Ragondet, secrétaire régional d’Alliance Police Nationale. On ne demande pas un permis de tuer mais le texte actuel est trop interprétatif. Un bon ordre est un ordre clair et l’incertitude juridique est terrible. Peut-être faut-il un cadre spécifique pour les forces de sécurité intérieure ?», pose le responsable syndical.  “On devrait pouvoir utiliser notre arme avant d’avoir vu celle de l’assaillant : souvent, c’est déjà trop tard pour nous à ce moment-là. On ne veut pas mieux gagner, ou plus de vacances : on veut pouvoir faire notre travail dans de bonnes conditions”, témoigne un agent de police de la BAC du Val-de-Marne depuis plus de dix ans, qui témoigne d’une profession “au bord de l’implosion”.

Difficile dialogue entre la Police et la Justice

Parmi les gros malaises, celui de la cohérence entre l’action de la police et celle de la justice, figure aussi en bonne place dans l’agacement des forces de l’ordre, dans un contexte de moyens serrés pour ces deux professions. Là-dessus, les policiers ne tarissent pas d’exemples. «Il est devenu fréquent que l’on interpelle des individus pour faits de violence et qu’on les retrouve le lendemain dans une situation similaire car ils sont tout de suite sortis de garde à vue, ou ont eu un simple rappel à la loi», pointe Fabien Seigneur. Parfois, ce-sont les policiers eux-mêmes qui se font frapper et estiment leurs agresseurs insuffisamment punis. «Un collègue s’est fait fracasser la tête lors d’une opération de sécurité et s’est retrouvé avec 16% d’ATI. Son agresseur a été condamné à un mois avec mandat de dépôt mais n’a fait que trois semaines, cite Christophe Ragondet. «ll y a quelques semaines à Nogent, des malfaiteurs recherchés avec plusieurs mandats d’amené, certains pour effectuer des peines de douze ans de prison, on fait l’objet d’un contrôle de police. Ils ont tenté de fuir en volant un second véhicule mais n’ont pas réussi et ont sorti une arme de poing et appuyé deux fois sur la détente en direction de collègues. Heureusement, le coup n’est pas parti. Aujourd’hui, le parquet attend l’expertise balistique pour décider s’il qualifie l’acte de tentative d’homicide ou de violence sur policier, alors que l’auteur reconnait dans son audition qu’il voulait tuer pour ne pas se retrouver en prison», note encore un policier.

«Lorsqu’on interroge le Syndicat de la magistrature, il nous indique qu’il prononce des peines lourdes mais il n’y a pas souvent de mandat de dépôt. Et même lorsqu’il y a exécution de la peine, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’aménagement sous forme de contrôle judiciaire. Tout cela crée une fracture ! », reprend Christophe Ragondet. «Lorsqu’une peine est prononcée, elle devrait être effectuée, cela servirait de leçon. Bien sûr il y a surpopulation carcérale mais il y a aussi plus de délinquance donc il faut créer des places. L’Etat doit prendre ses responsabilités», renchérit Fabien Seigneur.

Pour apaiser les relations et susciter une compréhension réciproque entre les métiers police et justice, le ministre a proposé que les jeunes magistrats viennent passer trois jours avec la police. «S’ils viennent vraiment en condition d’exercice, trois jours suffisent, mais cela va être compliqué concrètement, on ne va pas leur faire prendre des risques. Si cela se passe à l’intérieur d’un commissariat, ils ne verront pas grand-chose», s’interroge le responsable syndical d’Alliance.

Quels moyens pour quelles missions et quel sens du métier?

Alors que les moyens de la Police, ne sont pas extensibles, la multiplication des missions qui ne sont pas directement dédiées à la sécurité sur le terrain achèvent de pousser les policiers à bout. «La police est le bouche-trou de tout ce qu’il y a à faire, c’est le dernier rempart. Lorsqu’il y a une mission, si les autres unités ne sont pas disponibles, cela finit toujours par retomber sur l’agent de Police secours, qu’il s’agisse de garder un élu ou autre. Dans la circonscription de police du Kremlin-Bicêtre, 7800 heures ont été consacrées en 2015 pour garder des détenus de la Maison d’arrêt de Fresnes hospitalisés, cela au détriment de Police Secours», chiffre Christophe Ragondet. Et le plan Vigipirate post-attentats n’a rien arrangé. «Depuis janvier 2015, nous sommes employés à tout et n’importe quoi et les missions Vigipirate s’effectuent au détriment des missions de sécurité. Nous travaillons sur des périodes de plus en plus longues, prenons rarement des congés, et le fait de ne pas assez voir son conjoint et ses enfants finit par créer des conflits dans les familles», développe Fabien Seigneur. “La mobilisation spontanée montre que nous sommes nombreux à se sentir mal. On a jamais été autant sollicité et autant exposé. On n’a plus le temps de se reposer, de prendre des vacances, et nos collègues se font attaquer, parfois jusqu’à leur domicile. Nous avons besoin d’armes et de protections plus lourdes, mais aussi de voitures, des cellules de garde à vue rénovées et  conformes, de caméras de sécurité qui fonctionnent, des paires de gants en quantité suffisante … Les Français en ont autant besoin que nous, car ils ont besoin qu’on soit opérationnel pour les défendre”, indique Guillaume, un habitant du Val-de-Marne agent de police en Seine-Saint-Denis.

Certes, il y a eu des renforts militaires, des nouveaux recrutements de policiers. Mais ces d’arrivées ont aussi comblé des départs en retraite, dans le privé, ou encore des mutations. Malgré cela, les policiers reconnaissent que les effectifs ont augmenté. Mais est-ce suffisant face à l’évolution du métier ? «Aujourd’hui, deux fois plus de policiers travaillent à l’investigation qu’il y a 15 ans et il a fallu doubler les effectifs de service judiciaire, sans parler du triplement ou quadruplement des services de renseignements», pointe Christophe Ragondet.

Quel rôle pour la Police municipale ?

La police municipale s’est aussi sacrément renforcée ces dernières années, souvent en bonne intelligence de travail avec la police nationale, et de plus en plus souvent armée. Rien que dans le Val-de-Marne, 17 polices municipales sont désormais équipées en armes létales. «La police municipale ne peut remplacer la police nationale mais elle nous aide dans certaines missions comme la verbalisation des stationnements, les enlèvements de véhicule…. Les polices municipales armées pourraient aussi exercer des missions Vigipirate», estime Fabien Seigneur. Pour Christophe Ragondet, cela ne change pas tellement la situation pour la police nationale car elle ne pouvait plus de toutes façons couvrir les fonctions remplies désormais par la police municipale comme les problèmes de tapage ou les incivilités de voie publique. C’est justement pour pallier ce manque que les élus ont instauré leurs propres équipes. «L’effet pervers, en revanche, est qu’une police municipale trop performante amène un flot continu d’interpellations que nous devons gérer derrière car ils n’ont pas de pouvoir de police judiciaire», souligne le responsable syndical.

C’est de tous ces problèmes, d’autres encore, et de l’avenir du métier en général, que discutent les policiers et les autorités de l’Etat depuis dimanche, d’abord à Créteil en présence du ministre de l’Intérieur, puis ce lundi à Nogent-sur-Marne, ce mardi à Charenton-le-Pont, ce mercredi à Créteil et Maisons-Alfort, ce jeudi à Chennevières-sur-Marne… Des réunions qui doivent se poursuivre jusqu’au 22 novembre pour faire remonter du terrain toutes les attentes de la profession.

En attendant, Bernard Cazeneuve a présenté ce mercredi un premier plan d’urgence à l’issue d’une réunion qui se tenait avec les organisations syndicales. Au programme : une enveloppe de 250 millions d’euros, une évolution législative de la légitime défense, un durcissement des sanctions contre ceux qui mettent en cause les forces de l’ordre, le renforcement des mesures d’anonymisation pour protéger les enquêteurs, des moyens techniques supplémentaires (dotation en casque balistique, gilets pare-balles porte-plaques, fusil d’assaut HK G 36, bouclier balistique souple, remplacement progressif des flashballs par des lanceurs de balles de défense plus récents, renouvellement du parc automobile…) et nouveaux effectifs. «Je rappelle que 4600 sorties d’école sont prévues en 2017, soit autant que pour cette année 2016 et dix fois plus qu’en 2012, ce qui montre le chemin parcouru», a insisté le garde des Sceaux lors de son allocution aux organisations hier. (Voir le discours du ministre).

 

 

 

 

 

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