Transports | | 10/02/2016
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Transports en Ile-de-France : décaler le Grand Paris Express et augmenter le passe Navigo ?

Transports en Ile-de-France : décaler le Grand Paris Express et augmenter le passe Navigo ? © Gare Grand Paris Express Villejuif Louis Aragon Philippe Gazeau

Augmenter les tarifs pour les usagers et revoir le calendrier des projets de développement de nouvelles lignes de métro (notamment le Grand Paris Express) en privilégiant la rénovation des réseaux existants, telles sont les principales conclusions du rapport de la Cour des comptes à propos des transports ferroviaires en Ile-de-France.

Dans ce rapport publié ce mercredi 10 février 2016, la Cour des comptes relève certes des améliorations dans l’organisation de cet énorme réseau, mais s’inquiète du sous-investissement chronique de son entretien au détriment de la qualité de service aux voyageurs,  ainsi que de la faisabilité des nouveaux projets de ligne concomitamment à une remise à niveau de l’existant.

Côté améliorations, la Cour des comptes relève par exemple une meilleure efficacité des contrats entre l’autorité des transports, le Stif (Syndicat des transports d’Ile-de-France) géré majoritairement par la région depuis la loi de décentralisation de 2005, et les principaux exploitants que sont la SNCF et la RATP. En 2010, la Cour des comptes avait observé une “affirmation insuffisante” de l’autorité vis-à-vis de ses exploitants. Depuis, le Stif a pris ses marques et les contrats obligeant les opérateurs à une certaine qualité de service sous peine de pénalités ont été plus coercitifs. La Cour des comptes reconnaît également les investissements réalisés tant en termes de prolongements de ligne que de matériel. Elle note aussi la meilleure coordination entre SNCF et RATP, notamment concernant le RER B et la branche Ouest du RER A.

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Pas une semaine sans retard ou suppression de train sur les RER A et B

Côté ponctualité, le rapport pointe au contraire les sous-performances des lignes de RER. “La performance des lignes A et B du RER, co-exploitées par la RATP et la SNCF, apparaît, en revanche, beaucoup moins satisfaisante. Ce sont pourtant, de tout le réseau ferroviaire d’Île-de-France, les lignes les plus fréquentées : à lui seul, le RER A transporte, chaque jour ouvrable, entre 1 et 1,2 million de clients, soit près de quatre fois la totalité des voyageurs des TGV circulant quotidiennement sur le territoire national“, souligne la Cour des comptes, qui note au passage les astuces pour tenter d’éviter le malus causé par les gros retards aux heures de pointe en dépassant les objectifs pendant les heures creuses. (Une autre pirouette consiste à jouer sur les objectifs annualisés en surperformant pendant les vacances d’été, ce que ne permettent plus les nouveaux contrats signés fin 2015). Résultat, chiffre le rapport, “si le niveau de 98 % en heures creuses a toujours été atteint depuis 2012 pour les deux lignes, celui de 96 % en heures de pointe ne l’a jamais été. L’indicateur s’est même dégradé entre 2012 et 2014, passant de 92,4 % à 90,3 % pour le RER A et de 92,3 % à 91,1 % pour le RER B. En matière de ponctualité, aucune des deux lignes n’a atteint depuis 2010 l’objectif contractuel de 94 % de voyageurs arrivés avec moins de cinq minutes de retard à destination, le RER A oscillant entre 81,4 % et 85,6 %, et le RER B passant de 80,1 % en 2010 à 88 % en 2014. Dans la pratique, pour un usager fréquentant quotidiennement une de ces deux lignes aux heures de pointe, il ne se passe guère de semaine sans qu’il n’ait à subir un retard ou une suppression de train.

Concernant les onze autres lignes exploitées par la SNCF, la Cour des comptes relève également une dégradation constante. “En 2014, aucune n’atteignait en heures creuses le seuil
contractuel de 98 % et seules quatre lignes (lignes N, P, R et U) sur onze dépassaient, de très peu, le seuil fixé à 96 % en heures de pointe. S’agissant de la ponctualité, seules deux lignes (H et N) atteignent l’objectif contractuel, même si quelques améliorations sont observées sur certaines autres lignes, notamment la ligne K (Paris-Nord/Crépy-en-Valois)“, pointe le rapport. Pour la SNCF, cela s’est traduit par une multiplication par trois du malus à payer, passant de 6,3 M€ en 2010 à 19,5 M€ en 2014.

Des caténaires presque centenaires

Cause structurelle de la médiocre qualité de service : un sous-investissement chronique. “La Cour avait souligné en 2010 que les insuffisances récurrentes de qualité de service sur le réseau Transilien trouvaient leur origine dans un sous-investissement persistant lié au fait que les gouvernements successifs, la SNCF et RFF371 ont, pendant plus de 30 ans, accordé la priorité au développement du réseau des lignes à grande vitesse au détriment des investissements destinés à entretenir ou à moderniser le réseau existant, tout particulièrement en Île-de-France. Or, le réseau Transilien, s’il ne représente qu’environ 10 % du réseau ferré national, supporte à lui seul 40 % du trafic voyageur assuré quotidiennement par la SNCF sur l’ensemble du territoire“, rappelle le rapport 2016. Conséquence : “sur les 3 700 km du réseau Transilien, 40 % des voies et 30 % des aiguillages ont plus de 30 ans, alors que SNCF Réseau considère qu’une voie ou un aiguillage doit être régénéré au bout de 25 ans. Environ 15 % des caténaires (ndlr ensemble des câbles porteurs et des fils conducteurs) ont plus de 80 ans, et même 5 % plus de 100 ans. En particulier, l’âge des caténaires de la ligne C du RER est supérieur à 90 ans.” Un vieillissement qui a entraîné une réduction de la vitesse sur plus de 200 km de réseau pour des raisons de sécurité. Surtout, il n’y a pas de miracle à attendre car “selon les services chargés de l’entretien du Transilien, l’état général des infrastructures va continuer à se dégrader jusqu’en 2020 et ce n’est qu’en 2025 qu’on retrouvera le niveau d’aujourd’hui, lequel est loin d’être optimal“, note le rapport… Ces données, croisées à l’augmentation du nombre de voyageurs, ne promettent pas à court terme un avenir meilleur.

Décaler le calendrier du Grand Paris Express ?

Alors que la construction du Grand Paris Express est attendue comme un respiration, à la fois pour désenclaver certains sites de proche couronne, faciliter les trajets de banlieue en banlieue mais aussi dé-saturer les réseaux de transport existants, avec à la foi un nouveau métro périphérique (au-delà du périph) et l’extension de la lignes existantes pour rejoindre les aéroports, le rapport douche l’enthousiasme. D’une part, la Cour des comptes rappelle les premiers retards de deux à trois ans déjà prévus sur les lignes 14 et 15 Sud , s’inquiétant de la capacité à mener tous les projets de front et préconisant de calmer la cadence sur les nouveaux projets pour privilégier l’amélioration du réseau existant. “Il existe une forte incertitude sur la capacité des opérateurs et de l’industrie à mener de front, et dans les délais actuellement envisagés, à la fois les chantiers de rénovation, de maintenance et de développement du réseau actuel et d’engager quasi-simultanément la construction des infrastructures nouvelles prévues dans le projet du Grand Paris et de celles programmées sur le reste du territoire. La priorité absolue doit être donnée à l’amélioration du réseau existant, dans la mesure où la performance de l’infrastructure et de certains matériels roulants n’est plus en adéquation avec l’importance du trafic constatée sur le réseau Transilien. Or l’exécution de lourds chantiers de maintenance sur les lignes franciliennes de la SNCF nécessite des interruptions de trafic sur les tronçons les plus fréquentés, ce qui entraîne une forte gêne pour les usagers”, argumente le rapport.

Le budget est-il bouclé ?

D’autre part, la Cour des comptes anticipe un dépassement du budget, actuellement estimé à 30 milliards d’euros. “L’expérience montre en effet que les évaluations portant sur des projets d’une telle ampleur se traduisent le plus souvent par des surcoûts résultant des nombreux aléas qui caractérisent presque toujours l’exécution de chantiers de cette dimension“, souligne le rapport qui s’interroge également sur le chiffrage des futurs coûts de fonctionnement, l’évaluant à 1 milliard d’euros par an supplémentaire aux 5 milliards d’euros actuels des réseaux SNCF et RATP.  Le rapport mentionne également l’extension d’Eole (RER E) à nouveau réaffirmée le weekend dernier lors de l’inauguration de la gare Rosa Parks, et la liaison vers l’aéroport de Roissy. Y additionnant l’amélioration du réseau existant, le rapport évalue à 50 milliards d’euros les dépenses prévisionnelles du réseau ferré francilien sur 2015-2020. “Dans une période de forte tension budgétaire, la soutenabilité de l’ensemble des projets apparaît donc incertaine, d’autant plus que l’engagement, en dehors de l’Île-de-France, d’autres projets d’infrastructures de transports très coûteux est également envisagé au cours des prochaines années et que la part du coût du transport financée par les clients non seulement n’augmente pas, mais va diminuer, à la suite de décisions du STIF sur les tarif appliquées depuis septembre 2015.” Dans ce contexte, la Cour des comptes recommande de faire participer davantage les usagers, qui contribuent actuellement à hauteur de 30% des dépenses contre 50% pour les entreprises et 20% pour le concours public.

Critique du passe Navigo à tarif unique

Et de fustiger le forfait Navigo à prix unique. “Cette décision apparaît d’autant plus singulière que le prix payé par les voyageurs franciliens, comme le relevait déjà la Cour en 2010, est l’un des plus faibles comparé aux grandes villes étrangères de même importance que Paris,  qu’un très grand nombre de personnes bénéficient déjà de tarifs préférentiels et que le montant de la fraude en Île-de-France est évalué à plus de 360 M€ par an. Le STIF estime l’impact financier de cette décision à 485 M€ en 2016. Ce manque à gagner considérable devrait être compensé par un accroissement du versement transport (à hauteur de 210 M€), alors même que les taux de celui-ci ont déjà subi plusieurs augmentations depuis 2012, et par la région (à hauteur de 275 M€), c’est-à-dire par un nouvel alourdissement de la charge supportée par les employeurs et les contribuables”, fustige la Cour des comptes.

Le gouvernement encourage la hiérarchisation des projets

Dans sa réponse au rapport, le ministère des Finances indique partager le constat de la Cour des comptes concernant la “hiérarchisation” et la “sélection rigoureuse des projets” et estime que “la possibilité de dégager des marges de manoeuvre au niveau de la structure de la tarification pour les voyageurs doit continuer à être expertisée.

Valérie Pécresse défend le Grand Paris Express

De son côté, la présidente de la région, et aussi du Stif, Valérie Pécresse, défend le Grand Paris Express, rappelant sur ce point l’engagement de l’Etat. “Je souhaite marquer mon souhait que l’ensemble des projets prévus dans le cadre du Grand Paris Express et du contrat de projets soient réalisés. L’État s’est en effet engagé sur ces projets dans le cadre du contrat de projets signé en 2015 et des financements qu’il a promis d’apporter à la Société du Grand Paris. Il est nécessaire que l’État respecte ses engagements pour la réalisation de projets qui correspondent aux besoins de déplacements des Franciliens“, pose ainsi la présidente de région.

Et conditionne une augmentation du prix voyageur à une amélioration de la qualité de service

Concernant l’augmentation des tarifs pour les voyageurs, elle “ne sera envisageable que si elle est accompagnée d’une amélioration sensible de la qualité de service et de l’affectation de nouvelles ressources au financement des transports collectifs”, souligne la présidente du Stif qui rappelle également que la région ne versera plus de subvention au Stif au titre du financement du passe unique, ni en 2016, ni les années suivantes, laissant à l’Etat le soin de trouver une solution de financement. C’est l’une des résolutions qui ont été votées lors du Conseil régional de janvier. Et de pointer que “les efforts des opérateurs pour renforcer la lutte contre la fraude et la suppression de la réduction de 75 % pour les étrangers en situation irrégulière devraient permettre de dégager l’essentiel de la marge de manoeuvre nécessaire au financement du passe unique, sachant que le Premier ministre s’est engagé à trouver une solution pour compléter le financement à hauteur d’environ 100 M€ par an.

La Société du Grand Paris passe son tour

Sollicitée par la Cour des comptes pour donner son avis sur le rapport avant sa publication, la SGP (Société du Grand Paris), établissement public d’état maître d’oeuvre de la réalisation du Grand Paris Express, ne se prononce pas. “Le rapport relatif aux transports ferroviaires en Île-de-France n’appelle pas d’observation de la part de la Société du Grand Paris“, est-il simplement mentionné de la part de son président du directoire.

Télécharger le rapport

“Pas question de faire prendre du retard au Grand Paris Express”

Du côté du Conseil départemental du Val-de-Marne, la perspective de décaler le calendrier de réalisation du Grand Paris Express est tout simplement inenvisageable. “Il est  inimaginable de revoir le calendrier du Grand Paris Express, qui est financé et a fait l’objet d’une enquête publique. L’amélioration des transports dans le Val-de-Marne passe d’abord par l’amélioration du transport de banlieue à banlieue. Nous avons travaillé sur ce dossier depuis 10 ans avec Orbival. C’est un projet vital pour les habitants et le développement du département. Cela n’empêche pas bien-sûr de rénover le réseau existant mais arrêtons de mettre les projets en concurrence, sinon on ne fait plus rien”, commente-t-on au cabinet de la présidence du Conseil départemental, suite à la publication du rapport.

 

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