Comment gérer les 40 millions de mètres cube d’eau potable dont ont besoin les habitants du territoire Grand Orly Seine Bièvre? Régie publique ? Délégation de service public (DSP) à un opérateur privé ? Gestion en direct ou via le grand syndicat intercommunal Sedif ?
Contexte du débat
Le débat du Sedif’xit sera en partie tranché ce mardi 19 décembre à l’occasion du Conseil de territoire de l’EPT (Etablissement public territorial). Le territoire, désormais compétent en matière d’eau potable, compte 24 communes dont 18* étaient membres du Sedif (Syndicat des eaux d’Ile de France, qui gère actuellement l’eau de 150 villes de la région en DSP avec Véolia), 5 étaient en délégation de service avec Suez (Villeneuve-Saint-Georges, Valenton, Paray-Vieille Poste, Savigny-sur-Orge et Morangis) avec des dates d’échéance de contrat allant de 2020 à 2024, et une commune, Viry-Chatillon, était en régie publique. Alors que le territoire doit décider ce mardi si les 18 communes membres du Sedif restent dans le syndicat (désormais via l’intermédiaire du territoire), il a négocié, avec deux autres EPT , ceux de Est Ensemble et Plaine Commune en Seine-Saint-Denis, que les communes qui le souhaitent puissent réadhérer directement et que les autres passent simplement une convention de deux ans avec le Sedif, le temps d’évaluer complètement la faisabilité d’un passage en régie publique et de s’y préparer. Les communes en DSP avec Suez, elles, ont jusqu’à la fin de leur contrat (de 2020 à 2014 selon les villes) pour décider de la suite. Ce mardi, c’est donc un vote à la carte qui se tiendra pour chaque commune. D’ores et déjà, les villes de droite qui étaient dans le Sedif ont décidé d’y rester tandis que les villes de gauche, sauf Choisy-le-Roi dont le maire veut défendre le principe de la régie publique à l’intérieur du Sedif, ont opté pour une convention temporaire. En parallèle de ce débat interne au territoire, le Sedif, actuellement en DSP avec Véolia jusqu’au 31 décembre 2022, doit aussi envisager la suite (nouvelle DSP avec cahier des charges et appel d’offres, ou bien passage en régie publique), ce qui est l’objet de la Mission 2023 conduite en interne par un magistrat détaché de la Cour des Comptes. En attendant le vote en Conseil de territoire ce mardi 19 décembre, petit éclairage sur les enjeux d’un passage en régie publique de l’eau au niveau du territoire Grand Orly Seine Bièvre, tels que présentés dans l’étude menée par Artélia et Earth Avocats pour le compte du territoire, et arguments du débat.
*(Les 18 communes du Sedif qui doivent délibérer sont Choisy le Roi, Orly, Chevilly-Larue, Rungis, Vitry-sur-Seine, Cachan, Gentilly, L’Haÿ-les-Roses, Ivry-sur-Seine, Fresnes, Le Kremlin-Bicêtre, Villejuif, Arcueil, Thiais, Athis Mons, Juvisy-sur-Orge, Villeneuve-le-Roi, Ablon sur Seine)
40 millions de M3 d’eau potable
En termes de volume d’abord, les 24 communes du territoire consomment environ 38 millions de M3 d’eau (d’après les rapports des délégataires de 2015), ce qui nécessite une production de 42 millions de M3 d’eau car le rendement des réseaux est de l’ordre de 90%, explique l’étude Artélia – Earth. Ce volume permet de servir 685 000 habitants (environ 92 000 abonnés). Sur ces 38 millions de M3, la grande majorité est actuellement issue de l’usine de production de Choisy-le-Roi, gérée par le Sedif. Elle alimente 13 communes à raison de 26 millions de M3 d’eau issue de la Seine. Les autres usines se situent à Viry-Chatillon, Vigneux-sur-Seine, Morsang-sur-Orge (Suez), L’Haÿ-les-Roses et Orly (Eau de Paris) et Arvigny (Sedif).
Prix du M3 d’eau : de 3,65 à 5,42 €
Le prix du M3 d’eau, lui, varie de 3,65 euros (à Viry-Chatillon – en régie publique) à 5,42 euros à Villeneuve-le-Roi (Sedif-Véolia). Pour comprendre le prix complet de l’eau, il faut distinguer les parts eau potable et assainissement, ainsi que les taxes. Dans le détail en effet, la part eau potable (AEP) varie beaucoup moins. Elle va de 1,37 € le M3 dans toutes les villes du Sedif à 1,96 euros à Paray-Vieille-Poste (Suez). La part assainissement (EU), elle, va de 1,17 € à Viry-Chatillon à 2,84 € à Villeneuve-le-Roi.
A la carte ou tout ou rien ?
Alors que la gestion de l’eau passe par un complexe réseau d’eau, très mutualisé, la question du périmètre fait partie des premières problématiques posées par l’étude. “Un retrait partiel (d’une partie seulement des 18 communes concernées) du SEDIF renforcerait la dispersion du territoire en plusieurs modes de gestion, susceptible d’obérer la construction progressive d’une politique cohérente en matière d’eau potable de l’EPT, et donc d’un élément d’identité“, prévient ainsi l’étude qui rappelle également que la DSP avec Véolia continuera de prévaloir, Sedif ou pas Sedif, jusque fin 2022, sauf à en sortir avant avec sans doute des pénalités financières. En termes d’investissement, le montant, qui reste à évaluer, comprendra à a fois la reprise de parties et infrastructures existantes du réseau et le développement de nouvelles parties pour adapter le réseau à son nouveau périmètre.
Une étude comparative pour six communes
En juillet 2017, deux études sur six communes (Arcueil, Gentilly, L’Haÿ-les-Roses, Le Kremlin-Bicêtre, Ivry-sur-Seine et Orly) réalisées l’une par Eau de Paris, la régie publique de la ville de Paris, et l’autre par le Sedif, ont tenté d’évaluer l’impact d’un passage en régie publique en augmentant le périmètre de Eau de Paris. Ces études ont émis différentes hypothèses concernant les modalités de séparation des réseaux et d’alimentation. Ces deux études ont donné lieu à des estimations assez différentes, plus ou moins expliquées par les choix des critères techniques retenus et la connaissance réciproque des réseaux des opérateurs. Globalement, les investissements pour reconfigurer les réseaux seraient estimés entre 32 et 70 millions d’euros. Dans le détail, l’étude conduite par Eau de Paris aboutit à des coûts plus importants que celle menée par le Sedif, donnant lieu au final à un prix du M3 d’eau (pour la partie eau potable) de 1,65 euros au lieu de 1,37 euros. Il en résulterait, selon Eau de Paris, un écart de prix de seulement 10 centimes d’euros de plus pour Ivry-sur-Seine, de 0,24 euros pour les communes du Kremlin-Bicêtre, Gentilly, Arcueil et une partie d’Ivry, de 0,93 € pour Orly et de 0,96 € supplémentaire pour L’Haÿ-les-Roses, ceci au moment de la transition, en tenant compte des coûts d’adaptation du réseau. Ces chiffres concernent la partie eau potable du prix de l’eau. “Il ne faut pas s’arrêter à ces chiffres qui correspondent à un opérateur, Eau de Paris et un périmètre très spécifique. Nous devons poursuivre les études pour définir le meilleur périmètre hydrologique afin d’établir des connexions peu coûteuses“, estime Jacques Perreux, conseiller territorial écologiste de Vitry-sur-Seine, très impliqué sur le sujet (voir sa tribune du jour sur la question).
Un débat gauche-droite et au-delà
Dans son étude, Artélia-Earth ne tranche pas pour ou contre tel ou tel scénario, mais présente une partie des données financières et des enjeux techniques, donnant un aperçu des études complémentaires qui seront nécessaires pour envisager plus précisément les investissements de reconfiguration des réseaux et l’impact financier à plus ou moins long terme. Entre les élus en revanche, le débat est vif. A droite, les villes ont tranché et choisiront ce mardi une réadhésion ferme au Sedif, comme le motive Richard Dell’Agnola, maire LR de Thiais. “Dévier les réseaux nécessite des investissements lourds et le recrutement de personnel dédié alors que l’équilibre du budget est déjà compliqué pour le territoire, lequel reste un outil fragile en place depuis seulement deux ans avec une durée de vie et des ressources incertaines. En outre, Est Ensemble a déjà fait deux études qui ont abouti à des coûts beaucoup plus chers. Défendre la régie publique coûte que coûte relève donc de l’idéologie. L’eau est un bien public qui n’a pas de prix, certes, mais elle a un coût. Actuellement, le Sedif opère déjà un service public de l’eau. Sortir du Sedif pour deux ans empêcherait la collectivité d’avoir une voix délibérative et d’être dans les organes décisionnels”, explique l’élu, vice-président du Sedif. A gauche, toutes les villes, à l’exception de Choisy-le-Roi, ont en revanche décidé de n’adhérer que pour deux ans. “A ceux qui douteraient de la pertinence de ce choix, nous rappelons que la Chambre régionale des comptes vient d’étriller la gestion du Sedif et la manière dont Veolia fait d’énormes profits sur le dos des usager.e.s : rémunération bien au-delà de ce qui était prévu, frais de sièges non justifiés, travaux non mis en concurrence…
Bien sûr, nous souhaiterions que le Sedif, syndicat public de coopération intercommunale, fasse le choix d’en finir avec la délégation de ce service au privé, pour le reprendre en régie publique. Nous continuons d’y mener ce combat, même si malheureusement, le rapport des forces au sein du syndicat, largement dominé par la droite, ne nous laisse à court terme pas beaucoup d’espoir de ce côté. Dans ce contexte, nos élu.e.s dans les trois EPT dirigés par la gauche ont agi avec d’autres pour trouver cette solution temporaire. Elle permet de prendre le temps de mener les études nécessaires et de préparer les futures décisions qui devront être prises le moment venu avec les usager.e.s“, motive Romain Marchand, secrétaire général de l’association des élus communistes et républicains du département (l’Adrecr), dans un communiqué. De son côté, la fédération EELV Val-de-Marne souhaite que les études engagées couvrent l’ensemble du périmètre du territoire. “Nous pensons que la participation au financement des études à l’ensemble du périmètre Grand Orly Seine Bièvre, quelque soit la sensibilité des maires, est nécessaire pour offrir aux habitants les éléments les plus complets avant la prise de décision. Ce sujet revêt de plus un caractère assez grave pour justifier le moment venu une consultation des habitants de nos territoires”, insistent ainsi les écologistes, pour qui la nécessité de délibérer constitue une “extraordinaire opportunité” pour les territoires “de soustraire aux intérêts d’une multinationale la gestion de l’eau”. Seul à gauche, Didier Guillaume, maire PCF de Choisy-le-Roi, défend le maintien de sa commune dans le Sedif, pour militer de l’intérieur en faveur d’une régie publique de l’eau et pour éviter le risque d’une hausse de la facture d’eau de ses habitants. Voir le débat à Choisy.
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