Alors que l’Etat a demandé aux offices HLM de compenser la baisse des allocations logement (APL) par une diminution équivalente du loyer et que la Cour des comptes remet en question les mesures fiscales en leur faveur, les bailleurs sociaux s’alarment d’une baisse de financement de nature à mettre en péril la construction de nouveaux logements et la réhabilitation de leur parc vieillissant. Dans le Val-de-Marne, qui compte près de 170 000 logements sociaux, les plus gros bailleurs que sont Valophis, IDF Habitat ou encore Logial OPH font leurs comptes.
“Une baisse de loyer de 40 € par mois se traduirait pour le groupe Valophis, qui gère un patrimoine de 44 000 logements et dont 15 000 locataires bénéficient de l’APL, par une perte de recettes de 7 250 M€ par an. Ceci réduirait de moitié ses capacités d’investissement en matière de construction, de réhabilitation et d’entretien du patrimoine“, chiffre le Conseil d’administration de l’OPH départemental. De son côté, Logial, qui compte un peu moins de 10 000 logements, évalue à 1,9 millions d’euros la perte de recettes en cas de baisse des loyers de 50 euros par mois pour les seuls allocataires de l’APL, soit 40% de l’autofinancement de l’OPH. De quoi “priver l’office de sa capacité à construire faute de fonds propres”, prévient Luc Carvounas, président de l’office.
“La diminution, dans un premier temps, de 5 euros, sur les aides personnalisées au logement pour réaliser une économie de 400 millions, pour dans un second temps en 2018, diminuer de 2 milliards le budget de l’Etat consacré à l’APL, est une mesure injuste socialement puisque touchant les familles les plus en difficulté et inefficace d’un point de vue budgétaire à moyen terme. Cette baisse de ressources annoncée aux bailleurs sociaux, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, équivaut à la moitié des sommes consacrées à l’entretien courant et aux frais d’entretien, ou encore aux trois quarts de leurs capacités d’investissement dans la production de logements neufs, affectant l’activité des entreprises du bâtiment“, expose Jean-Jacques Guignard, président d’IDF Habitat, dans une lettre ouverte au président de la République.
“Je rappelle d’ailleurs que, comparés à ceux du parc privé (17,4 euros du m2 en moyenne en lie-de-France), les loyers du parc social (6,7 euros) sont très maîtrisés, ce qui rend paradoxale la mesure visant ce seul parc“, s’interroge Abraham Johnson, président de Valophis, qui rappelle également que “le financement de l’APL relève de la solidarité nationale”, et qu’il “n’est pas du rôle des bailleurs sociaux de se substituer à l’Etat“.
Mesures fiscales, aides à la pierre
Au-delà de la compensation des baisses d’allocation logement, les OPH s’inquiètent aussi des autres mesures, concernant l’évolution de l’aide à la pierre ou les mesures fiscales. “La diminution de la participation de l’Etat au budget du fonds national de l’aide à la pierre (FNAP), de 96 millions d’euros le faisant passer de 180 à 84 millions d’euros, se traduira par une baisse de 20 % des délégations de crédits. Il y aura donc moins de logements sociaux engagés en 2017. D’autres projets comme la suppression des aides à la pierre sur le budget 2018, de l’exonération de l’impôt sur les sociétés dont bénéficient les organismes HLM, de la TVA à taux réduit, de l’exonération de la TFPB, s’ils venaient à aboutir, remettraient définitivement en cause le modèle social auquel nous sommes tous très attachés et qui a fait ses preuves”, s’inquiète Jean-Jacques Guignard.
Dans un référé publié le 18 septembre, la Cour des comptes recommande en effet au gouvernement de “supprimer les mesures d’exonération de l’impôt sur les sociétés en faveur du secteur du logement social, de remplacer le régime d’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties en faveur du secteur immobilier social par des subventions ciblées tenant compte de la situation des territoires et des organismes concernés et de simplifier les dispositions du code général des impôts relatives au taux réduit de TVA en faveur du secteur du logement, notamment celles qui concernent les travaux.” La Cour des comptes évalue ces dépenses fiscales à 3,7 milliards d’euros (année 2015). Si Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, a semblé favorable à une partie de ces suggestions dans sa réponse au président de la Cour des comptes, Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, s’est montré plus sceptique. “Le résultat des organismes de logements sociaux leur permet de rembourser les prêts des investissements antérieurs et de reconstituer leurs fonds propres afin de réinvestir dans la construction, la rénovation et si besoin la démolition. Le cas particulier, et exceptionnel, des organismes dégageant des revenus mais ne les utilisant pas, n’est pas lié au niveau de leur résultat, mais à leur utilisation. L’exonération d’IS est donc bien ciblée, puisqu’elle permet un remboursement plus rapide des dettes et une reconstitution plus rapide des fonds propres“, insiste ainsi le ministre, rappelant par ailleurs les règles du logement social relatives à la lucrativité limitée.
Le retour aux copropriétés dégradées ?
Inquiets sur leurs ressources, les bailleurs insistent également sur les effets que produirait une vente partielle de leur parc pour dégager des ressources leur permettant d’investir. “S’agissant de la vente de patrimoine, elle aurait pour effet de céder les résidences les plus attractives et de maintenir dans le parc social les plus difficiles à gérer ; elle ne manquerait pas d’entraver davantage la mixité et de générer des copropriétés dégradées“, pointe Abraham Johnson. “La vente des HLM via Action Logement est pour finir l’ultime astuce qui consiste à laisser penser que les Offices pourront ainsi reconstituer l’intégralité des fonds propres nécessaires pour construire et assurer une gestion de qualité auprès des habitants. Là encore, cela revient à casser les efforts de mixité sociale portés par les territoires et leur édiles. Si la vente aux locataires occupants gérée avec parcimonie peut s’avérer bénéfique, sa généralisation mènerait à la création de nouvelles copropriétés dégradées et à la perte d’actifs précieux pour les Offices qui vendront bien évidement les logements les plus attractifs et les mieux situés”, note Luc Carvounas.
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