La crise gagne du terrain dans les établissements pour personnes handicapées gérés par l’Apajh 94. Démarrée à la Maison d’accueil spécialisée de Bonneuil-sur-Marne, où les quarante pensionnaires ont dû être évacués dans des hôpitaux voisins, elle a gagné la Mas d’Alfortville, qui a aussi évacué une partie des résidents, et se poursuit désormais à Villejuif et Orly.
Ce mercredi, les portes des Instituts médico-éducatif (IME) de Villejuif et d’Orly resteront clauses. Les agents vont manifester dès 10 heures devant le siège de l’Apajh 94 à Créteil, à deux pas des locaux de l’ARS, aux côtés de ceux des Mas d’Alfortville et Bonneuil qui dénoncent la réquisition par le préfet de personnels pour “casser la grève des salarié-e-s des Mas”. La CGT a également prévu de déposer un recours devant le tribunal administratif pour demander l’annulation de l’arrêté préfectoral de réquisition. Sur tous les sites, les salariés dénoncent une « dégradation des conditions de travail.»
« Je suis à deux doigts du burn-out », « ce n’est plus de l’éducatif que l’on nous demande de faire mais du gardiennage », « nous aimons notre métier mais parfois, nous avons l’impression d’être maltraitants avec les résidents », « la direction minimise systématiquement les problèmes que l’on fait remonter ». Voilà quelques phrases qui résument le le ras-le-bol des employés de l’Institut médico-éducatif Docteur Louis Le Guillant, à Villejuif. Réunis ce mardi dans l’une des salles de l’internat pour un débrayage d’une heure, ils ont voté le principe de la grève pour ce mercredi.
« La direction nous applique un management comme si nous étions une entreprise, en totale contradiction avec le projet associatif qui défend un accompagnement individuel et adapté. Il y a un poste de psychologue gelé depuis deux ans. Les absences ne font pas l’objet de remplacement. La part des CDI dans les effectifs se réduit avec les départs en retraite au profit de CDD et d’un turn-over constant. Du coup, nous tentons de nous serrer les coudes mais nous constatons que les choix de la direction ne nous permettent pas d’accorder aux résidents la bienveillance et la sécurité que nous nous devrions de leur prodiguer », énumère Linda Alleaume, déléguée syndicale CGT.
« La direction souhaite aussi nous imposer sa propre interprétation de notre convention collective. Alors que nous avons le droit à 20 minutes de pause toutes les 6 heures. Elle veut que ces 20 minutes ne soient plus rémunérées. Il y a également des problèmes sur les récupérations, notamment après avoir travaillé les jours fériés », explique Marie-Noëlle, qui siège au CHSCT.
Au manque d’effectif, s’ajoutent l’absence d’une réhabilitation de cet établissement médico-social bâti au début des années 70. « Regardez les douches, il y a des moisissures, la ventilation ne fonctionne pas, les filles n’ont pas de lunette sur leur WC. C’est nous qui avons meublé cette salle avec de la récupération. Nous devons trouver des alternatives parce que toute demande auprès de la direction prend beaucoup trop de temps, quand elles ne font pas l’objet d’un refus », pointe l’une des éducatrice. Une situation qui fait bondir les salariés qui mettent en opposition l’implantation qu’ils jugent dispendieuse du nouveau siège de l’Apajh 94.
Pendant ce temps là, le piquet de grève continue à Alfortville et Bonneuil-sur-Marne
A quelques kilomètres de là, devant les Mas d’Alfortville et de Bonneuil-sur-Marne, le piquet de grève se poursuit. Si les personnels n’empêchent pas les administrateurs et les membres de la direction de pénétrer au sein de la Mas d’Alfortville, qui accueille encore une vingtaine de résidents, ils sont en revanche aux aguets sur d’éventuels intérimaires, recrutés à la hâte. « Nous ne céderons pas tant que nous n’aurons pas de protocole de fin de conflit. Cela fait deux ans que nous négocions sans que cela ne débouche sur rien de concret. Aujourd’hui, la liberté de manœuvre que nous devrions avoir a disparu au profit d’une organisation verticale, totalement déconnectée du terrain. Nous ne nous sentons plus écoutés », résume Nicolas Martin, délégué syndical CGT sur le site d’Alfortville. Ce mardi, une rencontre a néanmoins eu lieu entre les grévistes et le président de l’Apajh 94, Christian Fournier, qui a permis de trouver un accord sur l’augmentation de dotation en matériel. Restent des différents sur les ressources humaines.
Le président de l’Apajh 94 dénonce les blocages mais reconnaît les problèmes
« Je comprends tout a fait le mouvement de grève mais il a pris une forme exceptionnelle qui nous pose des problèmes. Pour faire face aux blocages des Mas d’Alfortville par la CGT, la direction générale et les administrateurs s’occupent des 24 résidents encore à l’intérieur. Sur le site de Bonneuil, certaines familles ont accepté de garder leur proche quelques jours, d’autres ont du être envoyés vers d’autres établissements. L’ARS suit avec attention la situation de ces personnes en situation de handicap dans ce contexte particulier. Malgré nos rencontres avec les représentants de la CGT et de la CPME des Mas de Bonneuil et d’Alfortville ces derniers jours, des points de blocage subsistent. D’abord sur la récupération des heures pour les employés, point sur lequel nous sommes en désaccord sur l’interprétation de la convention collective. C’est quelque chose qui pourrait se régler rapidement. En revanche, les problèmes d’effectifs et des non-remplacements d’absences sont plus compliqués à résoudre. Il y a un absentéisme élevé et nous constatons que les salariés ne sont pas suffisamment nombreux le weekend. Il faudrait créer sept postes au minimum. Or, notre structure à but non lucratif n’a pas des moyens illimités. Certes, le dépassement de coûts de construction du siège de plusieurs centaines de milliers d’euros, par l’ancienne direction, nous a durement impacté, mais des restructurations s’imposaient dans plusieurs établissements. Ce n’est que de cette façon que nous parviendrons à dégager de l’investissement nécessaire à la réalisation de travaux sur les différents sites d’accueil des résidents», défend pour sa part le président de l’Apajh 94, Christian Fournier.
De la difficulté de réagir pour les familles
Face à une direction qui estime que l’intérêt des résidents est remis en question par ce mouvement de grève, les personnels médico-sociaux espèrent pouvoir compter sur le soutien des familles de personnes handicapées prise en charge. Mais l’unique représentante ayant participé à la réunion de ce mardi à l’IME ne se fait pas beaucoup d’illusions. « En siégeant au conseil de vie sociale, j’ai constaté depuis deux ans la réorganisation du personnel. Je vois qu’ils travaillent avec davantage de pression. Nous avons été attentifs au mouvement de grève à l’Apogei 94 qui traverse la même situation. Pourtant, les familles sont souvent absentes de ces manifestations. Elles ne sont pas suffisamment informées des dysfonctionnements internes par le personnel des établissements médico-sociaux ou la direction. Il faut aussi comprendre que cet IME accepte des résidents avec de lourds handicaps, des « sans solution » dont d’autres établissements n’ont pas voulu. Les familles ont peur de perdre leur place si elles manifestent leur mécontentement. »
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