Société | | 04/05/2017
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Situation sanitaire à la prison de Fresnes: l’équation impossible

Situation sanitaire à la prison de Fresnes: l’équation impossible © JC Hanché pour le CGLPL

Comment accueillir proprement et sans tensions sociales quelques 2600 détenus dans un lieu conçu pour la moitié? Ce mercredi 3 mai, le Tribunal administratif de Melun a une nouvelle fois condamné l’administration pénitentiaire à agir pour éradiquer rats et punaises de lits, et contenir la violence, mais la surpopulation reste la même.

A l’automne 2016, l’OIP (Observatoire international des prisons) a sonné l’alarme en attaquant l’Etat en justice, dénonçant la situation sanitaire catastrophique de la prison, dont un certain nombre de cellules sont remplies de cafards et punaises de lit. Suite à cette plainte, le Tribunal administratif (TA) a avait rendu une première ordonnance imposant notamment de bétonner les zones sableuses et de reboucher les égouts, ainsi que d’accélérer les mesures de désinsectisation avant d’en référer à l’Agence régionale de santé (ARS). Suite à cette action, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, est venue vérifier la situation par elle-même, avec son équipe, et a rendu compte d’un tableau apocalyptique confirmant en tous points les observations de l’OIP, racontant notamment les cellules de 10m2 occupées par 3 détenus, les rats pullulant dans les cours et au pied des bâtiments, jonchant le sol de leurs excréments au milieu des détritus jetés par les prisonniers, photos accablantes à l’appui. Un rapport publié au Journal officiel en décembre 2016. Début avril, le  Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe a enfoncé le clou en publiant un rapport suite à sa visite des prisons françaises de novembre 2015, considérant “que les mauvaises conditions de détention en prison, notamment dans les maisons d’arrêt de Fresnes et de Nîmes, associées à la surpopulation et au manque d’activités pourraient être considérés comme un traitement inhumain et dégradant.”

(Mise à jour du 5 mai : l’OIP a fait appel de la décision)

Une situation qui empire depuis des années

Comment en est-on arrivé là ? Après des années de dégradation, pourtant régulièrement dénoncées. Dès 2012, un premier rapport de la Contrôleure des prisons n’était guère flatteur, et en 2014, le sénateur LR du Val-de-Marne Christian Cambon avait déjà  questionné le gouvernement sur les sureffectifs, suite à une agression de surveillant ayant donné lieu à un mouvement social. Dans sa réponse, le gouvernement rappelait qu’entre le 1er janvier 2002 et le 1er janvier 2012, le nombre de personnes incarcérées avait augmenté de 20 000 personnes en France et annonçait la création de nouvelles places de prison ainsi que la rénovation des centres les plus vétustes. En décembre 2016, le sénateur a posé une nouvelle question au sujet de la prison, suite au rapport accablant de la CGLPL. La réponse à cette question doit être justement publiée du JO du Sénat… ce jeudi 4 mai 2017. (Mise à jour du 5 mai : voir la réponse du Garde des Sceaux)

Pour l’OIP et les avocats qui avaient témoigné lors de la plainte déposée à l’automne 2016,  la situation ne s’est pas améliorée depuis le début de l’année 2017. Et c’est dans ce contexte que l’Observatoire a saisi à nouveau le juge des référés du TA de Melun, avec le soutien des Barreaux de Paris, du Val-de-Marne, de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, du Syndicat des avocats de France, de l’Union des jeunes avocats de Paris et de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus, mi-avril, réclamant cette fois la mise en œuvre d’un plan d’urgence, non seulement pour éradiquer sérieusement les insectes et rongeurs qui pourrissent la vie des détenus comme des surveillants et personnels, mais aussi pour améliorer de manière plus globale les conditions d’incarcération. “Et que l’administration prenne enfin des mesures concernant tant les conditions de détention matérielles – à savoir l’état des cellules, la rénovation des cours de promenade, des salles d’attente, des parloirs, etc. – que le climat de violence dans lequel se trouvent les personnes détenues, la systématicité des fouilles à corps, le manque de personnel et le manque d’activité”, détaillait l’OIP dans un communiqué. Concernant la surpopulation dans la prison, les plaignants proposaient “des aménagements de peine et de mesures alternatives à l’incarcération” en réquisitionnant “tout bâtiment public situé à proximité de Fresnes qui serait susceptible d’être transformé à brève échéance en centre de semi-liberté et d’allouer les moyens financiers et humains nécessaires à une telle transformation.”

Le Garde des Sceaux se défend

Dans son mémoire en défense, le Garde des Sceaux considérait pour sa part que la condition d’urgence n’était pas satisfaite car l’administration n’était pas restée sans rien faire et que les recommandations ordonnées à l’automne étaient en cours d’exécution, détaillant l’ensemble des moyens qui avaient été déployés (nouveaux nettoyeurs haute pression, passage à un rythme hebdomadaire du nettoyage des cours de promenade tout en indiquant que “l’obligation légale de proposer 1 heure minimum de promenade par jour aux personnes détenues empêche la régularité de ces actions“, distribution de poubelles, réfection et remplacement des caillebotis pour “réduire des projections d’aliments par les fenêtres” pour un montant de plusieurs centaines de milliers d’euros, consultation des détenus pour améliorer les repas. Concernant les conditions de détention, le garde des Sceaux indiquait que “les détenus qui s’estimeraient victimes de violence peuvent saisir directement le procureur de la République“,  et précisait que “9 procédures disciplinaires ont été diligentées à l’encontre de membres du personnel pénitentiaire pour des faits de violences volontaires” en 2016, mais que “le centre pénitentiaire a connu en 2016 moins d’agressions qu’en 2015″. Concernant les activités proposées aux détenus, le ministère de la Justice indiquait par ailleurs que “la population pénale de Fresnes dispose de 17 ateliers de pratiques artistiques et de 21 ateliers de pratiques artistiques ponctuelles ; que les détenus bénéficient de 25 conférences par an ; que des partenariats ont été mis en place concernant les visiteurs de prison, l’association des alcooliques anonymes, la Cimade et la Croix-Rouge” et précisait que “200 personnes sont actuellement inscrites dans un ou plusieurs enseignements de parcours diplômant” et qu’en 2016, “472 personnes détenues ont été affectées à un poste de travail dont 68 % au service général.” 

Le Tribunal ordonne une intensification de la désinsectisation et reconnaît la surpopulation

Dans son ordonnance, rendue ce mercredi 3 mai, le juge des référés du TA de Melun a considéré que la requête était justifiée et ordonné d’amplifier les mesures tendant à la destruction des rats et des punaises de lits, et de remplacer les matelas infectés, afin que le nombre de nuisibles soit “très substantiellement diminué” dans le délai de trois mois. Le TA a également ordonné de fournir des plats vraiment chauds pour diminuer le rejet de la nourriture. Concernant les fouilles au corps, le TA considère que cette pratique”revêt encore un caractère trop systématique” et enjoint l’administration de la prison de diffuser une note de service rappelant les conditions dans lesquelles ces fouilles au corps peuvent s’exercer.  Concernant la surpopulation, le TA reconnaît la situation extrêmement problématique de cette prison sous-dimensionnée tout en admettant la quadrature du cercle, rappelant qu’elle na “aucun pouvoir de décision en matière de mises sous écrou, lesquelles relèvent exclusivement de l’autorité judiciaire” et “qu’une maison d’arrêt est ainsi tenue d’accueillir, quel que soit l’espace disponible dont elle dispose, la totalité des personnes mises sous écrou”.  Concernant la violence de la part du personnel, le Tribunal pointe que deux agents ont été condamnés au pénal en 2016 et que neuf procédures disciplinaires ont été engagées ; et que tous les premiers surveillants ont reçu une formation en mars 2017 sur la procédure disciplinaire et l’usage de la contrainte ; mais enjoint aux autorités de l’administration pénitentiaire de “rappeler par une note de service les règles qui doivent prévaloir et de mettre en oeuvre des actions de formation pour éviter que ne se crée un climat de tension exacerbée entre le personnel pénitentiaire et les personnes détenues.” Alors que 472 détenus ont été affectés à un poste de travail, le TA enjoint également l’administration pénitentiaire à augmenter ce chiffre de 10% car le travail permet de sortir les personnes de leur cellule. Sur la propreté enfin, le TA exige un nettoyage plus fréquent avec enlèvement quotidien des détritus jetés dans les couloirs et autres parties communes, et renouvellement plus souvent des kits d’hygiène des cellules. Au terme de son ordonnance, le TA condamne l’Etat à verser 1200 euros à l’OIP pour les dépens. Télécharger l’ordonnance complète, qui rappelle les demandes de l’OIP, la réponse du Garde des Sceaux, et la décision du Tribunal.

Une nouvelle prison en Val-de-Marne

Dans le cadre du plan de construction de nouveaux établissements pénitentiaires annoncé par Manuel Valls en octobre 2016, le Val-de-Marne doit accueillir une nouvelle prison. Après une première piste évoquée autour du site actuel, du côté de l’hôpital pénitentiaire, cinq autres site ont été identifiés comme pouvant accueillir une nouvelle maison d’arrêt, mais rien n’est décidé à ce stade.

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