Commerce | Val-de-Marne | 30/11/2017
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Travaux du Grand Paris Express: ces petits commerces au bout du rouleau

Travaux du Grand Paris Express: ces petits commerces au bout du rouleau © fleroy

Panneaux qui cachent les commerces, détours pour venir en voiture, places de stationnement rarissimes, poussière permanente et clients qui fuient. De Villejuif à Champigny en passant par Saint-Maur, les commerçants vivent les travaux du Grand Paris pareil: mal…

S’ils sont bien informés du déroulement des travaux, cela ne les empêche pas d’en subir les conséquences. Si certains ont déjà mis la clef sous la porte, beaucoup s’accrochent malgré tout, rêvant du bout du tunnel, en 2022, lorsque leur rue sera à nouveau proprette avec en prime un beau métro tout neuf, celui de la ligne 15 Sud du Grand Paris Express. En attendant, il faut tenir, et le plus gros du chantier commence seulement, après une phase initiale de dévoiement des réseaux. Des coups de pouce sont accordés, de la bienveillance des Urssaf à celle de certains bailleurs qui ont revu les loyers à la baisse en passant par l’accompagnement de la Chambre de commerce et d’industrie qui propose de la médiation avec les créanciers, des diagnostics et du coaching commercial ou numérique. Sur le plan des pertes de chiffre d’affaires, la Société du Grand Paris promet aussi des indemnisations, mais les procédures sont longues et compliquées…

Dans l’avenue Roger Salengro de Champigny-sur-Marne ce midi de novembre, le bruit des tracteurs et des marteaux-piqueurs rythment le quotidien des commerçants, au premier rang des travaux du Grand Paris Express qui ont débuté en avril 2015. Si les tunneliers n’ont pas encore encore commencé à creuser, les commerçants, eux, se sentent dans le tunnel depuis un moment.

Pas facile de s’arrêter dans cette avenue en voiture, sauf à être un fin connaisseur des places de stationnement des zones pavillonnaires voisines, à plusieurs minutes à pied de la rue commerçante. “Ce n’est vraiment pas drôle d’être privé de stationnement… Et avec les travaux, on nettoie tous les jours toujours plus de poussière. C’est plus de travail alors qu’on sert moins de repas. On a perdu 60% du chiffre d’affaires. On a fait une demande d’indemnisation à la Société du Grand Paris mais ce n’est pas toujours simple parce qu'”ils” demandent toujours beaucoup de papiers. On devrait avoir une réponse d’ici décembre. En attendant, c’est dur ! On gagne de l’argent pour payer les factures. On avait une jeune fille salariée depuis trois-quatre mois, qui travaillait le matin, mais comme on ne pouvait plus la payer, elle a dû partir. On n’a pas les moyens d’embaucher“, témoigne Mina Goncalves, propriétaire du bar restaurant Chez Mina, aux spécialités franco-portugaise. Entre deux grillages et des blocs de pierre, une  terrasse à dominante rouge est pour l’instant installée devant le restaurant. “Elle n’a pas toujours été là. On l’a déjà remise et enlevée deux fois. A la rentrée, on avait carrément deux murs de pierres l’un sur l’autre qui cachaient notre restaurant…” se souvient la gérante, qui était alors intervenue pour les faire retirer.

Mina Goncalves, ou “Chez Mina”, bar-restaurant franco-portugais en plein service du midi.

Pour aller à l’épicerie d’en face, le piéton ne dispose que d’un trottoir très serré. “On a plus de parking, donc on n’a plus de clients. C’est calme toute la journée. Ca nous est arrivé de vendre pour vingt euros d’articles en un jour alors qu’on pouvait faire deux à trois cents euros avant. En ce moment, on est à peu près à 100 euros par jour“, explique Niro, salarié du magasin. “Cela casse le commerce“, confie sans détour une salariée d’Interflora. “Dès le But d’Ormesson-sur-Marne, on a un grand panneau sur la route qui annonce qu’il faut éviter notre rue ! Les gens ne veulent pas s’engager et finir dans les embouteillages“, reconnaît la fleuriste. “D’ici-là, on n’a pas le choix, faut tenir”.

A quelques mètres des grandes grues, le salon de coiffure “La Main d’Or” s’estime mieux loti. “On n’est pas trop impacté au niveau des travaux. Même si on n’a un petit moins de clientèle qu’avant à cause du stationnement, on a réussi à garder notre clientèle locale qui vient nous voir à pied. Sans elle, c’est sûr qu’on aurait mis les clefs sous la porte !” reconnaissent les deux coiffeuses présentes cet après-midi.

On fait ce qu’on peut … L’autre jour, entre le marteau-piqueur et le séchoir, on ne s’entendait pas avec la cliente” se souvient de son côté Isabelle, gérante de l’atelier d’Isa, autre salon de coiffure dans l’avenue. “J’ai demandé à ce qu’on change la vitrine pour avoir du triple épaisseur afin de garder les clients au calme“, raconte la patronne, “mais sans succès“. Ce qui est prévu en revanche pour décembre, c’est la pose de murs anti-bruit. “C’est le pire ! Je vais me retrouver en boîte, sans lumière, juste avant les fêtes … On va croire que je suis fermée”, s’inquiète Isabelle. Je dois encore mettre en route la demande d’indemnisation, mais cela peut être du temps perdu en cas de refus. Depuis le début des travaux, la coiffeuse a perdu environ 20% de fréquentation au salon, notamment à cause du manque de stationnement qui contraint les clients à “faire trois fois le tour” pour se garer. Pas de quoi décourager l’Atelier d’Isa qui ne désarme pas, même quand elle est harcelée par la banque. “On garde le moral ! On ne fait pas la gueule. C’est juste du tracas, et cela peut ronger. Mais pourquoi est-ce que je laisserais ma place ? Quand je serai partie, les personnes du salon seront bien contentes d’avoir le métro. C’est pour cela que je veux m’accrocher!” maintient-elle, optimiste.

Isabelle, patronne de l’Atelier d’Isa, ce jeudi après-midi au salon.

On m’a proposé 4 000 euros pour l’année. C’est à peine plus que le prix d’un portant!”

Je ne sais pas si je vais tenir… Je ne roule pas sur l’or“, se demande Hadda, propriétaire de la boutique de prêt-à-porter K.S Mode pour femmes et enfants, installée dans l’avenue depuis six ans. “On rencontre de grosses difficultés. On n’a ni passage piéton, ni parking et j’ai perdu cette clientèle fidèle à cause des travaux. Trois boutiques de prêt-à-porter ont déjà fermé dans l’avenue. On est les seuls à rester !” constate la propriétaire, soutenue par sa fille Salia au magasin. “On a investi toutes nos économies. C’était notre rêve. Aujourd’hui, je veux du soutien et du concret !” reprend Hadda qui a joint la paroles aux actes en demandant une compensation financière. “On m’a proposé 4 000 euros pour l’année. C’est à peine plus que le prix d’un portant. Ces gens ne se rendent pas compte. J’ai été obligée d’arrêter la vente d’articles pour enfants. C’était trop cher“, poursuit la gérante qui ne perçoit plus de salaire pour le moment. “On est en train de nous asphyxier… Cela demande du temps pour avoir un bon chiffre d’affaires“, plaide-t-elle, consciente que l’indemnité est calculée selon ce dernier facteur. “Quand on a pris le local il y a 6 ans, l’activité avait très bien démarré ! Ces personnes auraient dû nous prévenir avant…” Pour autant, Hadda et sa fille continuent d’y croire. Jeudi dernier, veille du Black Friday, elles avaient prévu petits fours et boissons pour accueillir les clients.

Hadda, chez KS Mode

A Saint-Maur-des-Fossés, l’ambiance n’est pas meilleure. « Depuis les travaux, c’est devenu trop calme. Avant il y avait un parc à voiture avec des places de stationnement et il y avait la queue jusque sur le trottoir. Maintenant il n’y a plus rien. Il n’y a presque plus de clients, ils ne peuvent plus se garer, du coup ils vont ailleurs. On a fait des dossiers et on attend.  Les charges restent les mêmes et il y a déjà des commerçants qui ont fermé leur boutique à cause des travaux. Cela va être compliqué de tenir jusqu’en 2022. Il y a plein de poussières qui rentrent dans mon magasin, j’ai arrêté la rôtisserie à cause de la poussière»,  témoigne Faouzi, de la boucherie Toudra.

A l’institut de beauté, Christelle se plaint aussi de la poussière. «C’est un gros problème, cela envahit la boutique, on fait beaucoup plus le ménage mais les vitrines sont toujours sales. Et puis, il n’y a plus de place pour se garer, donc tous ceux qui venaient en voiture ne viennent plus.  Heureusement, les clients fidèles continuent de venir, mais il n’y a plus de nouveaux clients. »

L’autre boucher de l’avenue, Alain, ne dit pas autre chose. « Depuis les travaux, il n’y a plus beaucoup de clients. On en revient toujours au même problème, le manque de places depuis la destruction du parking, les gens ne peuvent plus se garer et partent dans d’autres boucheries plus facile d’accès. Heureusement que les habitués continuent de venir, sinon ce serait vraiment difficile pour nous. Après, on va attendre la fin des travaux et espérer accueillir de nombreux autres clients.» 

Même pour les écoles de conduite, comme GB, rue Bobillot, la situation se complique. « Je pense que le chiffre d’affaires a dû baisser de l’ordre de 15-20% depuis la mise en place des travaux, estime Bastien. On a une perte de visibilité très nette car c’est compliqué de nous voir avec les bâtiments et le passage des camions, il y a également une dégradation de la propreté du quartier. On se sent oublié. Comme le quartier est un peu laissé à l’abandon, il commence à y avoir des gens qui viennent le soir et en fin d’après-midi pour dealer et boire, sachant qu’ils sont protégés par les travaux puisqu’ils sont moins visibles. En terme d’image de marque, ce n’est pas génial ! Les travaux font aussi beaucoup de bruit et de poussières, mais pour l’instant, ce n’est pas la partie la plus compliquée à gérer pour nous. Le problème est surtout la visibilité, la propreté et la sécurité qui sont quand même trois « items » classiques dans la gestion d’une commune», s’agace le prof d’auto-école.

A Villejuif encore, la situation n’est guère plus brillante dans la rue Jean Jaurès.

La gare de Villejuif Louis-Aragon accueillera dès 2022 la ligne 15 Sud du Grand Paris Express. En attendant, la situation est très compliquée pour les commerçants des rues environnantes qui doivent faire face aux travaux. « La rue est fermée et les voitures doivent faire le tour de Villejuif pour venir dans la rue Jean Jaurès. Les clients de « passage »  ne passent plus. Il y a aussi des  racailles qui viennent dans la rue car ils sont cachés par les travaux. Il y a un peu d’insécurité qui s’installe. On a une perte de clientèle.  La ville nous tient bien informés par contre, il n’y a pas de problème de ce côté-là. Pour être dédommagé, il faut avoir une certaine somme de perte de chiffre d’affaires, mais c’est très compliqué», détaille-on au salon de coiffure Escal.

«Beaucoup de commerçants ont disparu. La pizzeria située à côté a déclaré faillite à cause des travaux. Nous avons 60% de clients en moins. On ne dirait pas qu’on est en centre-ville, on a dû baisser le salaire des salariés pour pouvoir s’en sortir. On est obligé d’aller faire de la publicité à la sortie des métros pour tenir au courant les gens de l’existence de la boutique. J’ai fait une demande à la mairie pour qu’il y ait au moins une aide pour la visibilité parce qu’on ne voit plus rien du tout. J’ai acheté l’enseigne devant la boutique pour 2000 € et juste après, elle a été cachée par les travaux. En plus, les charges n’ont pas diminué et restent très chères. On sait que c’est un grand projet et qu’il va durer longtemps donc on attend la fin des travaux. Mais en attendant, c’est compliqué», explique le gérant de Seven Service, avenue Louis Aragon.

«On est hyper remonté parce qu’on n’a plus beaucoup de clients. Avant, il y avait une vingtaine de personnes qui venaient demander des informations chaque jour. Maintenant, on doit en avoir deux ou trois.  Avant, il y a avait juste un petit grillage simple, mais là, depuis quelques semaines, il y a un grand mur», soupire un prof d’auto-école CER, rue Jean Jaurès.

Un seul commerce semble épargné par les travaux dans le quartier de la future gare de Villejuif Aragon, le magasin de toilettage pour chiens Jimmy Dog, avenue de la République. « Les travaux ne changent rien du tout pour moi. Il n’y a aucun impact sur la boutique. On n’a pas de baisse de clientèle. Les places de parkings étaient déjà comme ça avant donc il n’y a pas de changement à ce niveau-là. On a des panneaux d’information qui nous tiennent informés de l’état d’avancement des travaux et on reçoit également des lettres avec bon nombre d’informations.»

Propos recueillis par François Leroy et Antoine Letisserand

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