Urbanisme | | 21/11/2018
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Au Plessis-Trévise, la saga du bois Marbeau vire en grève de la faim

Au Plessis-Trévise, la saga du bois Marbeau vire en grève de la faim

Friche verte abandonnée depuis plus de cinquante ans au coeur du Plessis-Trévise, le bois Marbeau a failli faire l’objet d’un projet immobilier avant un changement du PLU qui a évolué entre le moment de l’enquête publique et son vote début 2017. Un retournement de situation qui a révolté son propriétaire, en grève de la faim depuis 9 jours dans sa voiture. Une histoire d’urbanisme, de maison de retraite, de promoteurs, de préservation de l’environnement et de rêve avorté de faire une belle plus-value.

Stationnée depuis neuf jours face à la mairie, la Peugeot du docteur Delord est l’attraction centrale des passants qui s’arrêtent pour  tenter d’en voir l’occupant après avoir déchiffré malgré le givre les banderoles qui annoncent une “grève de la faim contre la corruption”. Emmitouflé dans son blouson en cuir et blotti dans une couette, le médecin tente de faire bonne figure. “Je fais passer le temps en pensant à ma vie. J’ai même fait des démarches pour m’inscrire sur les listes électorales du Plessis mais cela m’a été refusé. Je reçois le soutien de riverains, de passants. Le Samu est également passé voir si je me portais bien“.

Pour comprendre l’histoire, il faut remonter à 1997. Raymond Delord, médecin de profession habitant et exerçant à Paris, achète une vaste propriété d’1,6 hectares au Plessis-Trévise. Une acquisition réalisée par adjudication pour quelques millions de Francs. “Le prix de départ était intéressant mais il y a eu une surenchère. Mon avocat m’a poussé à acheter mais le prix était déjà assez élevé”, indique le médecin. Son projet : créer une maison de retraite. La maison sur place n’est pas en bon état mais le terrain constitue l’une des plus grosses friches vertes de la ville, occupant la majeure partie du triangle délimité par l’avenue de Chennevières, l’avenue Marbeau et l’avenue du général Leclerc. Rapidement, le médecin annonce ses intentions à la ville, mais le terrain n’est pas constructible partout, faisant l’objet d’un classement Espace Boisé Classé (EBC) sur 1,1 hectare. “Il est venu nous voir à plusieurs reprises en mairie et je lui a tout de suite expliqué qu’il ne pouvait pas construire comme il voulait sur ce terrain, majoritairement classé espace boisé par mon prédécesseur”, se souvient Jean-Jacques Jégou, ancien sénateur-maire Modem de la ville. Lors de la modification du POS (Plan d’occupation des sols) en 2011, la ville ajoute du reste à l’Espace boisé un emplacement réservé pour créer un parc public dans la partie sud de cette entité (soit 8525m²). Le médecin raconte avoir ensuite eu une série de mésaventures avec sa propriété, entraînant des dettes qu’il doit rembourser en s’imposant “des cadences de travail infernales”.”J’ai reçu des patients à mon cabinet tous les jours de 7h du matin jusqu’à minuit”, confie-t-il.

Le médecin poursuit néanmoins son projet de maison de retraite et des discussions s’engagent avec des promoteurs, en particulier avec Nexity, pour créer un projet composé à la fois de logements classiques et une résidence pour personnes âgées non dépendantes. Le promoteur s’investit sur le projet et commande un audit arboricole et des études de sol pour étudier les possibilités. Abandonné depuis plus d’un demi-siècle sans entretien, le domaine, situé à quelques rues du bois Saint-Martin, témoigne par endroits des vestiges d’un temps plus glorieux, avec une démarche paysagère, des mobiliers de pierre taillée… L’audit, réalisée fin 2015, fait des propositions pour préserver un certain nombre d’arbres, en couper d’autres menaçant de s’effondrer et revaloriser cet espace redevenu sauvage dans l’optique de construire en parallèle un projet sur place. “Cette étude révélait que beaucoup d’arbres étaient morts. Notre projet était de donner à la ville la partie la plus verte pour créer un jardin municipal sur environ 1 hectare, et de construire le projet dans la partie restante”, explique le fils de Raymond Delord. “Nous n’avons jamais eu de proposition de la part de cette famille, tout au plus de vagues évocations orales. J’avais du reste répondu en plaisantant que nous appellerions alors ce jardin public le jardin Raymond Delord“, dément le maire Modem, Didier Dousset.

Un projet de PLU favorable à un projet immobilier, en 2016

Avec Nexity, le projet prend tournure. “Nous avions proposé une résidence pour seniors, des logements en accession et des logements sociaux, le tout en minimisant l’emprise au sol, ce qui répondait aux problématiques urbaines de la ville, qui n’a pas son quota de logements sociaux. Comme la ville révisait son PLU, il y avait une fenêtre de tir pour faire évoluer les règles de constructibilité sur ce terrain”, explique Nichanth Appudurai, ancien cadre de Nexity qui était en charge du projet. Mi-2016, la ville, qui a entrepris de modifier son PLU (Plan local d’urbanisme) en 2015, aboutit ainsi à une première mouture qui permet à ce projet de voir le jour. “En juillet 2016, tout allait bien avec la ville et nous avions un projet prêt à être finalisé avec Nexity. Ce projet prévoyait notamment des liaisons entre les avenues Chennevières et Marbeau, un futur jardin public, des logements et une résidence pour personnes âgées”, affirme également le fils Delord. Dans le projet de PLU arrêté en juillet 2016 et soumis à enquête publique, une OAP (opération d’aménagement de programmation) sur le secteur Bony-Tramway-Marbeau prévoit effectivement de faire évoluer l’Espace boisé classé pour permettre de construire davantage. “L’ilot Marbeau est aujourd’hui formé en grande partie d’un EBC dont la qualité se dégrade au fil du temps. Cet ilot nécessite une remise en question notamment pour la mise en place d’un nouvel EBC permettant la réalisation de logements le long des avenues Marbeau et de Chennevières et plus en adéquation avec la réalité des plantations existantes“, est-il indiqué dans l’un des documents de la ville soumis à enquête publique. Et la ville de préciser dans les enjeux, qu’il conviendra de “privilégier une typologie de constructions de type résidentiel sous forme de petits ensembles intermédiaires ou logements collectifs et d’un équipement lié aux personnes âgées“. Télécharger la description été 2016 de l’OAP.

“Course à l’échalote”

A ce moment, le propriétaire, qui discute avec plusieurs promoteurs, indique s’être vu proposer une meilleure offre d’un concurrent, Kaufman et Broad. “Ils m’ont proposé un prix 20% supérieur“, précise le propriétaire. “Nous avions une offre à 10 millions d’euros et mon père était en négociation pour aller à 12 millions d’euros”, précise son fils. Trop gourmand pour Nexity qui lâche l’affaire. “Nous avions fait des propositions mais c’était devenu une véritable course à l’échalote. Ensuite, nous n’avons plus eu de nouvelles du propriétaire”, raconte l’ancien cadre de Nexity.  Le promoteur, qui a étudié le secteur pour faire un projet global, a par ailleurs entrepris de racheter plusieurs parcelles attenantes à la propriété Delord, le long de l’avenue Leclerc. Le propriétaire de plusieurs commerces lui a cédé l’ensemble pour partir prendre sa retraite en Espagne. Un site plus simple à développer puisque entièrement constructible, actuellement commercialisé sous le nom de résidence Caract’Air. Raymond Delord indique avoir alors fait l’objet de pression de la part de la ville pour accepter le projet avec Nexity et accuse la ville de corruption. Des accusations intégralement démenties par le maire. “Les allégations sont graves, peut-être y aura-t-il une riposte judiciaire pour diffamation“, indique-t-on au cabinet. “Il a perdu en voulant trop gagner“, commente pour sa part l’ancien édile Jean-Jacques Jégou qui invite le propriétaire à méditer la morale de la fable de La Fontaine dans laquelle un héron attend tellement longtemps pour pêcher les meilleurs poissons qu’il n’en voit plus au moment où il a faim et doit se contenter d’un limaçon.

Avant un retournement de situation après enquête publique

A force d’attendre pour mener son projet, le propriétaire se retrouve en effet avec un PLU beaucoup moins favorable. Car pendant l’enquête publique, plusieurs personnes déposent des observations sur le secteur bois Marbeau, dont l’association de protection de l’environnement Le Renard, très active sur l’ensemble du PLU. L’association défend le boisement “exceptionnel” du site du fait de son état de friche depuis plus de cinquante ans. Elle recommande de protéger cet espace forestier en se référant au Sdrif (Schéma directeur régional) et défend son rôle de corridor écologique alors que la propriété est située à quelques rues du bois Saint-Martin. “Nous avons été voir sur place et mis en évidence la présence d’une espèce de pipistrelles (chauve-souris) protégées par la loi”, pointe Philippe Roy, président de l’association Le Renard. “L’association s’est introduite frauduleusement dans la propriété“, dénonce le fils Delord qui considère cet argument comme de la “foutaise”. “A Paris aussi des fois, il m’arrive de croiser des chauve-souris!” Le propriétaire, pourtant, ne réagit pas à l’enquête publique et aux remarques effectuées. Voir la position de l’association Le Renard sur le bois Marbeau. Dans ses conclusions, le commissaire enquêteur note que les OAP n’identifient pas de manière précise les opérations envisagées mais considère positivement l’économie générale du projet et donne un avis favorable en décembre 2016. La ville, elle, tient compte des observations de l’association Le Renard et modifie l’OAP du secteur Bony Tramway Marbeau dans le PLU définitif voté par le territoire Grand Paris Sud Est Avenir en février 2017. Un changement que la commune opère d’autant plus volontiers qu’elle n’a plus de nouvelles du projet. Plus question donc de logements et de résidence pour personnes âgées. Dans les enjeux de l’OAP redéfinie, la ville propose désormais de “pérenniser l’Espace Boisé Classé que constitue l’ancien bois Marbeau avec la modification et l’extension de son périmètre existant.” A la place des logements et de l’équipement pour personnes âgées, l’OAP propose de “faire évoluer la construction existante dans le but de créer un équipement public, à destination de la découverte du biotope par exemple (espace réunion, lieu pédagogique…)”. Télécharger la description de l’OAP version 2017. “Nous avons essayé de contacter le propriétaire pour le prévenir que le PLU évoluait, nous ne l’avons pas pris en traître. Mais il ne donnait plus signe de vie”, indique Sabine Patoux, maire-adjointe à l’urbanisme. “A l’époque, mon père était souffrant”, défend son fils.

Voir ci-dessous le projet de l’OAP tel que soumis à l’enquête publique en 2016 puis tel que voté dans le PLU définitif en 2017.

Dans la première mouture, l’espace construit se compose de deux bâtiments dont l’un donne sur l’avenue de Chennevières.

Dans la deuxième mouture, l’espace vert est intégralement conservé,avec seulement un espace public dédié à la découverte du biotope en place de la maison délabrée existante.

 

Pour la famille Delord, ce changement de PLU, qui empêche tout projet immobilier, est mal vécu, créant même des tensions familiales. Dépitée, la famille accuse la ville. Le fils Delord estime ainsi que la municipalité a détourné la valeur de la propriété vers la parcelle voisine, objet du projet Nexity. “Nous n’avons pas le droit de construire mais les habitants de la résidence Caract’Air auront vue sur un immense espace vert et cela renchérit donc la valeur de leur terrain”, calcule-t-il. Pourtant, la famille n’oppose pas de recours contentieux contre le PLU dans les deux mois requis. Il faudra plusieurs mois pour qu’elle réalise le changement de la donne et se décide à aller en justice, mais hors délai, indique le fils Delord.

Après cette déconvenue, de nouveaux motifs de frictions entre ville et propriétaires se font jour, suite à un défrichage du terrain par la famille que la ville fait interrompre, dénonçant un véritable massacre à la tronçonneuse, que confirme l’association Le Renard, mais que la famille dément en expliquant qu’elle a voulu supprimer les arbres dangereux.

C’est dans ce contexte que Raymond Delord décide de se mettre en grève de la faim. “J’écoutais le président Macron à la TV qui disait détester les gens abusant de la faiblesse des autres. J’ai décidé sur un coup de tête, sans prévenir ma famille de prendre ma voiture devant la mairie et d’entamer ma grève de la fin. Je vais acheter des bouteilles d’eau à la supérette d’à côté”, indique-t-il. “Mon père est déterminé, nous ne pouvons pas le raisonner”, justifie son fils quand on l’interroge sur les risques encourus par le médecin pour sa santé. Alors que la température a brusquement chuté, la police nationale passe régulièrement pour vérifier que tout va bien. Les pompiers sont aussi passés, envoyés par un habitant inquiet.

(Mis à jour le 21/11 à 19h après témoignage d’un ancien de Nexity)

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