Nouveau jour J à l’université de Créteil (Upec) ce vendredi 19 janvier. Après quatre tours de vote sans aboutir à une majorité avant les vacances de Noël, le Conseil d’administration de l’Upec, dont le président a démissionné pour raisons de santé, a reprogrammé une élection. Interviews des trois candidats à la présidence autour des grands enjeux de cette université est-parisienne.
Pour rappel du contexte, des élections générales (étudiants, enseignants, personnels) ont eu lieu il y a deux ans et ont élu un nouveau Conseil d’administration, dans un contexte à l’époque très marqué par un projet controversé de fusion avec l’université de Paris Marne-la-Vallée (Upem). Une majorité, hostile au regroupement impulsé par l’ancien président Luc Hittinger, a remporté le scrutin en s’engageant à mettre fin au processus de fusion. Le Conseil d’administration a alors élu Olivier Montagne. A l’automne 2017, ce dernier a démissionné pour raisons de santé. Le Conseil d’administration ayant été élu pour quatre ans, des élections générales n’ont pas été reprogrammées mais simplement une élection de nouveau président par le Conseil d’administration, composé de 32 électeurs.
Cette élection, en milieu de mandat du Conseil d’administration, intervient dans un moment de crise de gouvernance, avec notamment un refus massif de voter le budget 2018 en décembre dernier. Si la polémique sur les finances ne devrait plus être un sujet car l’Etat a confirmé depuis la reconduction de sa dotation supplémentaire, la question du cap à tenir pour cette grande université de 30 000 élèves constitue en revanche un point majeur sur lequel devra se positionner la future présidence. Depuis l’abandon de la fusion, l’Upem, qui accueille environ 10 000 étudiants, a convolé de son côté avec d’autres établissements pour constituer une nouvelle université qui sera officiellement portée sur les fonds baptismaux le 1er janvier 2019, s’appuyant pour cela sur le succès d’un appel à projets Isites (un des volets universitaires des appels à projets liés aux plan d’investissements d’avenir, PIA), initialement déposé avec l’Upec (dans le cadre de la Comue Paris Est), mais dont cette dernière s’est retrouvée simple partenaire extérieur après plusieurs rebondissements et moult tensions. Voir article détaillé sur cette future université.
Dans le paysage en pleine recomposition des universités françaises, autonomes depuis 2007, et incitées à se regrouper pour constituer des ensembles de compétition internationale, l’Université de Créteil doit tracer sa route de manière lisible, et si possible tirer financièrement son épingle du jeu des appels à projets PIA qui ont d’ores et déjà nourri le regroupement et repositionnement de pas mal d’universités en France, et dont le dernier en date (PIA 3) se joue en ce moment. Des carottes à plusieurs centaines de millions d’euros pour inciter les établissements à se marier, mais qui ne sont pas toujours croquées complètement car ce trésor de guerre n’est versé que lorsque le projet est considéré comme suffisamment abouti (les universités ne percevant en attendant que les intérêts de ce capital) et que les projets peuvent être arrêtés en cours si la mayonnaise ne prend pas. Ce fut le cas par exemple du projet de grande université parisienne Sorbonne Paris Cité portée par Paris 3,5,7 et 13, labellisée Idex en 2012 et éconduite en 2016. Car entre l’écriture d’un projet qui coche toutes les cases et sa réalisation avec des milliers de personnes issues de plusieurs entités différentes, on passe de la théorie à la pratique et c’est toujours beaucoup plus compliqué.
Université généraliste bien implantée en Val-de-Marne et au sud de la Seine-et-Marne, reconnue à la pointe de l’excellence et de la recherche sur certains sujets, et dans des disciplines variées, l’Upec doit composer avec cette complexité pour fixer son cap, avec en plus la difficulté d’un mandat présidentiel court, de seulement deux ans. C’est dans ce contexte à multiples équations, que les trois candidats se présentent ce vendredi aux suffrages de leur Conseil d’administration.
Après le désistement de l’actuel président par intérim, Frédéric Gervais, restent en lice le doyen de fac de médecine, Jean-Luc Dubois-Randé, qui soutenait la liste de l’ancien président Olivier Montagne lors des élections générales, Caroline Ollivier-Yaniv, professeure en sciences de l’information et de la communication et co-directrice du Ceditec (colistière de l’ancien président Luc Hittinger lors des élections générales), et Vérène Chevalier, sociologue, maîtresse de conférences en STAPS et responsable du M2 Management du sport, qui était tête de la liste Stoppons la fusion lors des élections générales. Trois candidats qui connaissent tous très bien l’Upec et défendent chacun leur chemin pour faire évoluer leur université. Les trois sont conscients de la courte durée de leur mandat. “J’ai conscience qu’il ne faut pas se tromper d’élection et que le mandat ne sera pas forcément de deux ans plus quatre ans“, souligne Caroline Ollivier-Yaniv tandis que Vérène Chevalier insiste sur la nécessité de parer aux urgences, comme par exemple la réponse à l’appel à projets PIA 3 mais d’attendre les élections générales pour décider des grandes orientations stratégiques. “On peut faire beaucoup de choses en deux ans. Les indicateurs de l’université ne sont pas au rouge, ni en termes financiers, ni en termes de résultats, mais nous manquons d’affichage politique“, lance de son côté Jean-Luc Dubois Randé.
Ne pas passer à côté des investissements d’avenir (PIA 3)
Parmi les défis à court terme, la réponse aux appels à projet du PIA 3 constitue pour les trois candidats un incontournable. “Il s’agit d’un enjeu stratégique. Les projets de structure fâchent. L’approche en mode projet est plus pragmatique et les liens qui se créent entre disciplines sont structurants en eux-mêmes. Nous devons être présent avec des équipes collectives et transdisciplinaires. Je connais particulièrement bien la réponse aux appels d’offre pour avoir travaillé en cabinet ministériel (ndlr, conseiller santé de Geneviève Fioraso, alors ministre de l’Enseignement supérieur). Je suis confiant pour mener ces projets dans des temps courts“, promet Jean-Luc Dubois-Randé. Tout en rappelant que les montants annoncés dans les PIA en capital ne sont versés à qu’à l’issue des projets qui ont été au bout, et que seuls les intérêts du capital sont mis à disposition en attendant, et qu’il ne faut donc pas en attendre une manne, Vérène Chevalier reconnaît également la nécessité de ne pas passer à côté. “Cela constitue un effet de levier pour faire bouger la politique scientifique et universitaire. Au-delà de l’aspect financier, il y aussi un effet labellisation, reconnaissance. Le plus important est de rester dans la course, obtenir des médailles, des projets. Cela se décline ensuite sur le niveau des établissements, les programmes de recherche, jusqu’aux CV des collègues”, explique la candidate. “Le dernier appel à projets porte sur le cursus licence avec les nouveaux cursus universitaires, avec des moyens complémentaires pour accompagner le plan licence. Je considère que doit l’Upec doit y répondre. Cela va être compliqué car les réponses doivent être fournies pour le 28 mars mais si je suis élue, cette réponse sera une priorité. Il y a un autre appel sur les Espe (Ecoles supérieures du professorat) auquel nous avons intérêt à répondre si nous avons des idées intéressantes et des partenaires pour le porter”, détaille Caroline Ollivier-Yaniv.
Santé société environnement : un triptyque qui fait consensus
Comment positionner l’université dans cette compétition. Un triptyque thématique santé, société, environnement semble faire consensus, avec des implications différentes. “La pluridisciplinarité de l’Upec constitue à la fois sa force et sa faiblesse mais la thématique de la transformation sociétale et environnementale transversale peut constituer une bannière commune. Nous disposons de tous les ingrédients avec des juristes hors pairs, des stars de l’éthique, des économistes de la santé, des chimistes qui travaillent sur l’eau, l’air, le sol avec notamment un laboratoire qui a attiré l’un des chercheurs américains lauréats de l’appel à projet Make our planet great again, nous avons une école d’urbanisme… Sur le plan sociétal, nous avons aussi des gros projets de recherche universitaires. Je proposerai un séminaire de travail au mois de mars pour décliner une feuille de route à partir de cette bannière commune“, pose Jean-Luc Dubois Randé. “Il y a des synergies à mettre en place pour développer la recherche pluridisciplinaire autour de l’axe santé environnement société tout en répondant à la mission de formation des jeunes du territoire. L’Upec a des points forts en sciences humaines et sociales, sur les humanités médicales, les sciences de gestion, le droit, l’économie de la santé… Je veux miser sur ces points saillants pour entraîner l’ensemble. Ce que l’Upec peut gagner en répondant à des appels à projets bien ciblés lui permettra de consacrer une autre partie de son budget aux autres disciplines. Il ne faut pas confondre la politique d’université qui met en avant certains de ses points forts nationaux et internationaux qui sont ceux qui ont beaucoup de besoin, et le fait que d’autres domaines aussi importants mais requérant moins de moyens, viennent irriguer la recherche et la formation”, insiste de son côté Caroline Ollivier-Yaniv. Pour Vérène Chevalier, cette thématique est utile pour répondre aux appels à projets, mais ne doit pas se développer aux dépens de la pluridisciplinarité. “Je n’ai rien contre les axes prioritaires et la fac de médecine doit être visible. La question est : est-ce qu’il faut éteindre complètement les autres disciplines. Ce choix ne peut se faire sans débat dans le cadre d’élections générales”, insiste la candidate.
Quel lien avec l’Upem et la nouvelle université de l’Est francilien ?
Concernant les partenariats et leurs modalités, l’un des points qui font débat est le positionnement de l’Upec vis-à-vis de l’Upem, alors que les relations entre les deux universités se sont fortement distendues, et que l’Upec n’est plus que partenaire extérieure du projet Isite remporté par la Comue Paris Est dont l’Upec est pourtant membre fondateur. C’est l’Upem qui est désormais au centre du projet de nouvelle université avec des écoles partenaires. Pour Jean-Luc Dubois-Randé et Caroline Ollivier-Yaniv, il est urgent de reprendre les discussions avec l’Upem dans le cadre de l’Isite en cours, pour retrouver une place dans le projet, sans aller jusqu’à proposer une fusion qui n’est plus à l’ordre du jour. “L’Upec est la plus grande université du site et j’aspire à ce que nous retrouvions une capacité de discussion, pas à n’importe quel prix bien-sûr, avec les responsables de l’Isite et la future université cible. Nous devons nous positionner avec ce qui est en train de devenir un nouvel acteur de l’enseignement majeur de l’enseignement et de la recherche sur le territoire de l’Est francilien“, défend Caroline Ollivier-Yanniv. “Nous pourrions être davantage que des partenaires extérieurs en venant renforcer le projet par la santé et l’environnement. Cela doit se faire dans les deux ans mais cela reste accessible“, estime Jean-Luc Dubois-Randé. Vérène Chevalier, sans renier les partenariats déjà en cours entre les deux unités est-franciliennes, développe une vision plus multilatérale des échanges. “Je souhaite garder une université forte et intègre pour discuter avec les autres dans le cadre d’un Grand paris universitaire. Avec le métro Grand Paris Express, Créteil va devenir place stratégique et il n’y a pas lieu d’avoir les yeux rivés uniquement sur Marne-la-Vallée”, considère la candidate qui craint un “dépeçage” de Créteil, avec le départ de l’Institut d’urbanisme ainsi que certaines composantes scientifiques de l’université, pour consolider l’Isite.
Ecoles, instituts de recherches, universités parisiennes… quels autres partenaires ?
Au-delà du partenaire “naturel” que représente l’Upem, avec qui plusieurs formations sont déjà proposées en commun, les candidats insistent tous trois sur les ponts à renforcer avec les autres universités car l’Upec, généraliste, a déjà noué des relations avec de nombreuses écoles et universités en fonction de ses thématiques. “Je ne crois pas aux montages institutionnels qui consomment beaucoup d’argent pour préfigurer les organisations, organiser les compatibilités entre les systèmes d’information etc, sans apporter de plus-value sur notre métier qui est de produire de la connaissance et de former des étudiants qui pensent par eux-mêmes. Que les gens qui travaillent déjà ensemble avec Paris 1, Paris 7, Paris 10… ou encore avec l’Upem continuent à le faire, et voyons ce qui a suffisamment de surface scientifique et pédagogique pour que ce soit le plus lisible possible. Mais il ne faut pas que le fait de faire partie de telle ou telle université soit bloquant pour répondre à un appel à projet“, insiste Vérène Chevalier. “Nous devons développer nos partenariats au-delà du territoire Est francilien avec nos partenaires de recherche (CNRS, Inserm, Inra, Inria..) ou universitaires comme Paris 7, Nanterre, Paris 6, Paris 5… pour en faire des leviers d’enrichissement et se renforcer dans des domaines sociétaux et environnementaux. En particulier, on ne peut pas se développer autour de l’exposome sans Paris 5 ni réfléchir à la transformation sociétale sans associer le campus Condorcet“, cite Jean-Luc Dubois-Randé. “Dans ses grands domaines de développement, l’Upec a déjà des partenariats très forts. Nous travaillons depuis longtemps avec l’Ecole vétérinaire de Maisons Alfort, et sur les questions d’environnement, nous travaillons avec Paris 7 avec des accords très structurants. si d’autres perspectives d’accords partenariaux avec des établissements en France ou à l’étranger se font jour, il faut les soutenir s’ils sont au service de projets importants”, enjoint Caroline Ollivier-Yaniv.
Quel lien avec les territoires ?
Comment accompagner le déploiement de l’université sur le territoire est-francilien, avec quelles priorités ? “L’université a une mission de service public d’ascension sociale et d’insertion professionnelle auprès des jeunes du territoire. C’est une mission fondamentale qu’il faut continuer à développer, en étant également un acteur actif de la formation tout à au long de la vie et en dialoguant avec les partenaires économiques pour comprendre leurs besoins et continuer à développer des formations qui ne sont pas le décalque des universités parisiennes. C’est une mission à développer en discutant avec les élus locaux du Val-de-Marne et de la Seine-et-Marne car les paramètres sont pas les mêmes dans les deux départements. L’Upec est aussi désormais un acteur important en Seine-et-Marne avec un pole universitaire complet autour de Sénart avec des lieux de formation, une vie de campus, des ressources documentaires… L’enjeu est important car le taux d’accès des bacheliers à l’éducation supérieure des habitants de Seine-et-Marne est le plus faible d’Ile-de-France”, développe Caroline Ollivier-Yaniv, qui indique souhaiter s’appuyer sur le schéma directeur du patrimoine et son état des lieux pour développer les campus. “Nous sommes sur deux départements en mutation sociétale et démographique, avec des approches urbaines, des problématiques d’inégalité d’accès au logement, à la santé, aux études. Il faut donc mettre en place des antennes, des pôles universitaires. Nous l’avons fait en Seine-et-Marne avec notamment un gros pôle santé, et pouvons également développer un campus sciences à Vitry-sur-Seine, en partenariat avec les collectivités locales, où nous sommes déjà présents avec l’IUT et des unités de recherche proches, notamment à Thiais. Ceci dans la perspective du réseau de transport Grand Paris Express qui permettra de relier facilement ces sites. Créteil peut devenir une ville plus universitaire”, pose pour sa part Jean-Luc Dubois-Randé. Le développement en Seine-et-Marne, avec ses campus de Fontainebleau et Sénart, et en Val-de-Marne, sont également au programme de Vérène Chevalier, qui s’accorde aussi sur les échanges avec les élus locaux tout en soulignant que ces derniers ne sont pas toujours réceptifs aux enjeux. “Il y a quelques années, nous avions essayé d’alerter sur les risques de départ de l’Institut d’urbanisme de Créteil vers Marne-la-Vallée“, rappelle-t-elle.
Plan étudiant
Comment appliquer le plan étudiant ? “Pour l’instant, nous fonctionnons avec des circulaires administratives évasives alors que le parlement ne s’est pas exprimé!” constate Vérène Chevalier, pour qui les nouvelles modalités de Parcoursup ne règlent pas le problème de l’afflux des candidatures. “Même en abandonnant APB, on ne peut pas pour autant traiter manuellement des milliers de candidatures, lorsque l’on a par exemple 14 000 demandes pour 150 places. Je crains le pire pour la mise en oeuvre car les éléments ne sont pas clairs, les moyens n’y sont pas et cela ne règle rien pour les filières en tension“, poursuit la candidate qui indique qu’elle ne fera “pas de zèle sur la sélection” et fera en sorte que “les étudiants du territoire ne soient pas les laissés pour compte”. “Cette élection n’est pas le lieu pour combattre une loi en cours d’élaboration. On se trompe d’arène. Je respecte les positions des syndicats mais je ne vois pas en quoi cela servira leur action de faire de cette élection un terrain de ce combat. Notre université a déjà fait remonter les cursus en tension et nous espérons être appuyés”, pose pour sa part Caroline Ollivier-Yaniv. “Nous ne pouvons pas aller contre la loi mais nous travaillerons au cas par cas en essayant de garder au maximum nos étudiants qui postulent à l’Upec“, s’engage Jean-Luc Dubois-Randé.
Le candidat élu devra remporter 17 voix. Quatre tours de vote sont prévus. Si aucune majorité ne se dégage. Un nouveau CA devra être convoqué pour de nouvelles élections.
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