Société | | 12/02/2018
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Centre de rétention des étrangers de Vincennes : un lieu de transit en débat

Centre de rétention des étrangers de Vincennes : un lieu de transit en débat

La semaine dernière, deux députés LREM du Maine-et-Loire, Denis Masséglia et Nicole Dubré-Chirat, se sont invités sans prévenir au Centre de rétention administrative pour étrangers du bois de Vincennes (le CRA Paris 1) pour se faire leur propre idée des conditions de vie sur place avant l’examen du projet de loi sur l’immigration qui prévoit de tripler la durée maximale de rétention de 45 à 135 jours.

Pour rappel, les CRA, centres de rétention administrative, sont des lieux fermés qui visent à retenir les étrangers sans droit à séjourner sur le territoire français reconnu par l’administration, dans l’attente d’un éventuel renvoi hors de France. Ils sont placés sous l’autorité de la police. Le CRA de Paris Vincennes, situé à la Redoute de la Gravelle non loin de l’hippodrome, compte deux centres, CRA 1 et CRA 2-3, de respectivement 119 places et 116 places.

33 évasions de décembre à janvier

Dans le premier centre toutefois, 59 places -qui avaient ouvert en décembre pour augmenter les capacités d’accueil du CRA – sont actuellement inutilisées suite à l’évasion de 33 personnes entre la fin décembre 2017 et la fin janvier 2018 en raison d’un dysfonctionnement des portes sécurisées. Des travaux sont donc en cours de réfection pour porter à nouveau la capacité d’accueil du CRA à 235 places contre 176 actuellement. Contrairement au CRA de Mesnil-Amelot, le CRA de Paris Vincennes n’a pas été historiquement construit pour sa fonction actuelle. Il a pris place en 1995 sur les terrains de l’école de police avec qui il partage désormais l’espace, et s’est progressivement inséré dans le bâti existant à coup de bâtiments en Algéco ainsi que d’une construction en dur, le CRA 2-3.

L’extension qui a fait l’objet d’évasions

Un observatoire citoyen qui veille au grain

Depuis 2012, des bénévoles ont créé un Observatoire citoyen pour visiter des retenus au parloir et retranscrire leurs parcours de vie, et écrivent régulièrement aux parlementaires pour leur demander de se rendre sur les lieux. “En décembre, nous avons écrit à tous les députés membres de la Commission des lois pour leur demander de venir visiter le CRA, afin qu’ils puissent voir sur place ce que c’est avant de voter la future loi émigration, de la même manière que certains avaient visité des prisons avant la loi justice. Nicole Dubré-Chirat a répondu positivement et nous lui avons conseillé de venir accompagnée d’un autre parlementaire“, témoigne Odile Ghermani, membre de l’Observatoire. “Nous espérons que cette visite les incitera à refuser de voter le prolongement de la durée de rétention de 45 à 135 jours maximum. Cette mesure est totalement inutile alors que 80% des retenus partent avant le 5ème jour!

4085 retenus en 2017 dont 1915 renvoyés hors de France

En vertu du décret de 2016 qui permet désormais aux journalistes d’accompagner les parlementaires dans leurs visites de centres fermés, trois médias accompagnaient les députés dans leur visite dont 94 Citoyens. Rompu à l’exercice, qu’il soit ou non prévenu l’avance, le directeur du centre s’est rendu disponible pour une visite commentée. Désormais à quelques mois de la retraite, le commandant de police officie depuis quatorze ans dans les lieux. En 2017, il a vu passer 4085 retenus dont la moitié environ, 1915, ont été renvoyés. Durée de séjour moyenne : entre 16 et 18 jours calcule-t-il. Nationalités ? Beaucoup de personnes du Maghreb, mais aussi d’Afrique, d’Asie (Pakistan, Inde), des Albanais… “Nous visitons aussi des Afghans, Ethiopiens, Soudanais, Indiens, et, récemment, un peu plus d’Egyptiens“, observe également Odile Ghermani.

CRA 2-3 : rien à dire sur les conditions sanitaires

La visite s’effectuera dans le CRA 2-3, construit dans des bâtiments en dur. Il comprend deux centres d’une soixantaine de places chacun, construits de manière symétrique l’un par rapport à l’autre. En dehors des sanitaires peu avenants où l’odeur acide de l’urine prend à la gorge malgré les deux nettoyages par jour, les locaux sont propres et largement éclairés par la lumière du jour. Les kits hygiène sont proposés individuellement et renouvelés à la demande. Pas de rats qui grouillent dans la cour ni de détritus qui s’amoncellent comme cela a été dénoncé à la Maison d’arrêt de Fresnes. Pas de cellule surpeuplée. Le CRA est un lieu d’enfermement mais pas une prison. On peut entrer et sortir des chambres, mais pas s’y enfermer, circuler dans les espaces communs, sortir dans la cour grillagée pour fumer une cigarette, regarder la TV ou jouer à la Play-Station. Et l’on peut même conserver son téléphone s’il ne prend pas de photos.

Salle de télévision

Rien à faire qu’à attendre

Ici, la peine à tirer ne se compte pas en jours ni en années car on ne sait pas combien de temps on restera là. La peine est d’une autre nature : celle de l’incertitude sur son sort. Certains se retrouvent dans un vol pour leur pays d’origine au petit matin suivant leur arrivée, d’autres un peu plus tard, d’autres encore pourront repartir libres, parfois assignés à résidence. Une incertitude particulièrement insupportable pour ceux qui ont misé leur existence dans la quête d’un ailleurs. En découle une tension palpable qui peut déboucher sur de la violence, parfois tournée contre soi-même, allant jusqu’à l’ingurgitation de petits bouts de lame de rasoir pour éviter un vol. “Un retenu l’a fait devant moi une fois”, témoigne le commandant.

Le désœuvrement et la totale hétérogénéité des personnalités, de leur âge, de leur origine, de leur parcours de vie, ressort aussi fortement de ce huis-clos. Ici, un jeune Algérien qui s’est fait choper dans le 18e arrondissement en train d’acheter du shit. Là, un père de famille déterminé qui a fui le Pakistan et n’y retournerait pour rien au monde. Des jeunes discutent, presque potaches, s’interpellent à voix forte. D’autres restent seuls, livrés à leurs pensées, enfermés dans une langue que les autres ne comprennent pas. Parmi les retenus, certains présentent aussi des troubles psychiques, d’autres arrivent éprouvés par des mois dans la rue. Une diversité de gens qui passent, un jour, une semaine, un mois ou plus, et n’a pas vocation à faire équipe. En principe, il n’y a pas de mineurs. En cas de doute, un examen osseux peut être pratiqué. Cet examen n’est fiable qu’à 18 mois près mais s’il y a litige, les jeunes sont généralement libérés, se fait-on expliquer. L’Observatoire du CRA  témoigne pour sa part du cas d’un jeune Malien qui n’a pu prouver sa minorité et a été renvoyé en Italie où il avait d’abord débarqué. Depuis, il est revenu sur le territoire français…

“Vols cachés”

Les biceps XXL, un gars dans la vingtaine déclare être un champion de judo dans son pays et veut profiter de la visite des parlementaires et journalistes pour dénoncer des “vols cachés”. De quoi s’agit-il ? D’une dérogation au Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) qui permet de ne pas informer un retenu de son vol retour en cas de risque de trouble à l’ordre public ou s’il n’est pas psychologiquement apte, se fait-on expliquer. Environ 20% des vols seraient concernés. Cela ne concerne pas les premiers vols, que les retenus réussissent plus facilement à refuser, mais les suivants. Le retenu dénonce des violences physiques pour emmener de force à l’aéroport. “Je m’inscris en faux”, réagit le commandant. Pas de violence mais de la coercition pour emmener une personne qui refuse de venir, corrige-t-il. Une porte à la poignée défoncée témoigne d’un récent barrage intérieur pour éviter d’être emmené.

De jeunes policiers qui découvrent un autre métier que celui qu’ils ont appris

Pour surveiller ce petit monde 100% masculin, des policiers et policières en début de carrière, qui n’ont pour aucun d’entre eux demandé cette affectation mais s’y sont retrouvés suite à leur classement à l’école. “Il y a beaucoup de turnover. Ils restent environ 12 à 18 mois en moyenne”, estime le commandant. “Le plus difficile est de gérer les situations de conflits entre retenus, nous n’avons jamais été formés pour cela. Ce qui est gratifiant est lorsque l’on arrive à créer de la confiance, de l’apaisement. Heureusement, nous sommes soudés dans l’équipe. On se soutient mutuellement”, témoigne une agente. Une autre s’agace en revanche de l’attitude de certains retenus qui rejettent les plats préparés, et fait valoir la mise à disposition des derniers modèles de playstation, comme elle n’a “même pas à la maison!” Les relations police-retenu ne peuvent être simples, par définition, d’autant que les âges sont parfois proches. Un peu plus loin toutefois, un retenu et une agente partagent un rire, chacun du côté du passe-plat. “Je reconnais qu’il y a des faiblesses car les policiers ne sont pas préparés. J’essaie de leur expliquer le contexte, je leur rappelle les règles, le vouvoiement, etc. Certains comprennent vite. Mais il m’est arrivé d’initier des procédures judiciaires à l’encontre d’agents”, reconnaît le patron des lieux. Au total sur l’ensemble du site et de ces deux CRA, une brigade de 50 agents est sur place durant la journée et de 35 personnes la nuit.

Cour extérieure

Des marrons chauds de Paris, au CRA de Vincennes, sans transition

Sur place, la logistique de la reconduite est organisée avec l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) qui dispose d’une permanence et s’occupe des bagages, de clôturer les comptes, ou encore de procéder à des achats de nécessité avant le départ. Concernant les effets personnels, les retenus laissent ceux qu’ils ont avec eux en arrivant à la consigne pour ce qui est interdit dans le centre (téléphones avec appareil photo…) et peuvent aussi laisser des objets de valeur. Certains viennent par exemple en salle des consignes pour se parfumer et laisser leur eau de toilette dans leur casier. Une fois, un vendeur à la sauvette arrêté en train de faire chauffer ses marrons est arrivé avec sa bonbonne de gaz en consigne…

Consigne

L’Assfam, la lueur d’espoir des retenus

A côté de l’Ofii, se trouve le bureau de l’Assfam (Association service social familial migrants). Une jeune diplômée de Sciences Po y fait tout son possible pour faire sortir les détenus. De tous les employés qui travaillent ici, sans doute est-ce la seule qui a vraiment choisi d’être là. Motivée, elle ne renonce devant aucun recours. Les motifs qui marchent le mieux ? Les enfants, une femme française, une longue présence sur le territoire, une maladie sans traitement dans le pays… cite-t-elle. Le plus dur du métier ? “C’est lorsque l’on renvoie des personnes dont on pense que cela va mal se passer pour elles dans leur pays. Cela a été le cas d’un Russe récemment”, confie-t-elle. Il avait été retenu 45 jours, puis assigné à résidence, puis à nouveau retenu et renvoyé le lendemain. Il y a aussi les Dublinés, ces migrants qui sont renvoyés dans le pays d’Europe dans lequel ils ont laissé leurs empreintes, même si ce n’est pas celui dans lequel ils souhaitent s’établir. “On ne les voit plus beaucoup car ils arrivent le soir et repartent tôt le lendemain matin.” La veille, des Afghans ont été renvoyés le matin même mais ont tous refusé le vol et ont été libérés. Pour obtenir un sursis, les retenus peuvent aussi déposer une demande d’asile, 474 l’ont fait en 2017. Deux ou trois l’ont obtenue.

Les députés Denis Masséglia et Nicole Dubré-Chirat dans le bureau de l’Assfam

7 à 8% de Dublinés

Pour vérifier que des retenus ne sont pas des Dublinés, on les “eurodaque”. C’est à dire qu’ils passent devant une machine de reconnaissance des empreintes qui fait le lien avec la base de données Eurodac mise en place dans l’Union européenne pour déterminer l’État membre dans lequel la personne a laissé en premier ses empreintes et qui est donc responsable de l’examen de sa demande d’asile. Le logiciel signale lorsque les empreintes ont déjà été prises ailleurs, mais ne délivre pas les informations correspondantes (c’est à dire à la date, le pays…). Pour cela, il faut faire une demande au ministère de l’Intérieur. “Parfois, une personne peut avoir plusieurs hits car elle a laissé ses empreintes dans plusieurs pays”, note un agent en charge de cette formalité. Depuis octobre, le nombre de Dublinés a augmenté dans le CRA, évalue une des agentes du service greffe. Ils représentent désormais environ 7-8% de la population de retenus.

La machine à “eurodaquer”

135 jours ?

Est-ce que le prolongement de la durée maximale de rétention inquiète le directeur ? “Un peu car les infrastructures ne sont actuellement pas prévues pour, confie-t-il aux parlementaires. Il faudrait accompagner cela d’une réflexion immobilière et d’accompagnement. En tant que technicien de terrain, je constate aussi que la deuxième prolongation de séjour met un coup au moral et que les séjours prolongés sont plus compliqués”, note le commandant. Actuellement, la première retenue ne peut en effet excéder 5 jours, potentiellement prolongée deux fois 20 jours. Le projet de loi prévoit de prolonger jusqu’à un maximum de 135 jours, soit le triple des 45 jours maximum actuels.

Développer “une vraie politique d’immigration”

“Le problème de la France est qu’elle n’a pas de vraie politique d’immigration contrairement à l’Allemagne qui a une véritable stratégie pour faire venir certains métiers et accueillir leur famille ”, analyse la députée Nicole Dubré-Chirat, qui entend faire de cette question un préalable dans la discussion sur le projet de loi. La parlementaire du Maine-et-Loire a déjà fait entendre sa voix sur le sujet au sein de l’hémicycle fin janvier, à l’occasion d’une séance de questions au gouvernement, demandant au ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, s’il n’existait pas de “discordance” entre le discours “fermeté et humanisme” défendu par le président et la réalité sur le terrain où les associations qui se mobilisent pour aider les migrants et réfugiés voient dans la politique du gouvernement une forme “d’obstruction” à ce qu’ils entreprennent.

En attendant la loi, d’autres députés LREM ont visité les CRA

Ce lundi 12 février, une trentaine de députés LREM ont également visité des CRA un peu partout en France, dans la même optique mais en prévenant de leur visite. Pacôme Rupin, Emilie Chalas, Laëtitia Avia et Paula Forteza se sont ainsi également rendus au CRA de Vincennes. Le projet de loi, mis en ligne sur le site du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), sera présenté officiellement en Conseil des ministres le 21 février avant examen au parlement.

Autres images

Le parloir

 

Sanitaires

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