Un carnet de santé numérique où retrouver les comptes-rendus de ses médecins, ses résultats d’analyse ou encore le détail de ses remboursements, telle est la promesse du Dossier Médical Partagé (DMP) pour le patient. Testé depuis près de deux ans dans 9 départements dont le Val-de-Marne, il est opérationnel partout en France depuis septembre. Petit bilan de cette période pilote dans le 94.
Dans le département, les quelque 1,2 million d’assurés sociaux peuvent créer leur propre dossier depuis février 2017. Il fait suite à une première génération de DMP (qui voulait à l’époque dire Dossier médical personnel), abandonné faute de succès. La première tentative, laborieusement lancée en 2011, n’avait enregistré que 500 000 demandes contre 20 millions de comptes Ameli (l’interface personnelle de l’Assurance maladie). Pour éviter un deuxième fiasco, le développement de la nouvelle version a donc été confié directement à l’Assurance maladie plutôt qu’à une agence ad hoc comme pour la première mouture. Pour réussir son pari, le nouveau maître d’ouvrage a aussi décidé de miser davantage sur le patient en lui permettant de créer directement son DMP au lieu d’être obligé de demander à son médecin de le faire. Les assurés ont même été encouragés à cliquer. Dans le Val-de-Marne, 500 000 mails ont ainsi été envoyés pour présenter le dispositif pendant la période de test.
Les assurés ont joué le jeu
Côté patients, le bilan quantitatif a été au rendez-vous. Au niveau national, 701 795 DMP ont été créés dans les 9 départements pilotes, soit davantage que le premier DMP déployé sur l’ensemble du pays pendant quatre ans. Un chiffre qui a progressé après l’ouverture sur le plan national et l’incitation des pharmaciens, rémunérés 1€ par DMP ouvert depuis juillet. Au 30 octobre, 1,8 millions d’assurés disposent d’un DMP en France. Dans le Val-de-Marne, seul département d’Ile-de-France à avoir testé le DMP dès le début 2017, 153 528 DMP ont été ouverts pendant la période de test, représentant 13% des assurés. Un bilan plutôt encourageant.
Qualitativement, le résultat reste en revanche un peu décevant, car dans la plupart des DMP, ce-sont surtout des données de remboursement que l’on trouve, ce qui à première vue ne présente guère d’intérêt, lorsque l’on dispose déjà d’un compte Ameli. “Contrairement aux éléments disponibles sur le compte ameli, les informations disponibles sur le DMP n’ont pas vocation à faciliter le suivi des données de remboursement, leur finalité est de permettre le bon suivi médical du patient“, réagit-on sur ce point à l’Assurance maladie du Val-de-Marne. De fait, les montants de remboursement ne sont pas indiqués mais le détail des actes ou la composition des médicaments prescrits. Une première étape donc, qui gagnerait à être enrichie par les comptes-rendus des soignants et les résultats d’analyse ou d’imagerie médicale. C’est là que le bât blesse.
Encore peu de praticiens connectés
Dans son dossier de presse, l’Assurance maladie met en avant des praticiens du Val-de-Marne enthousiastes, à l’instar du directeur du Samu 94 et du Smur Mondor AP-HP, Eric Lecarpentier, qui se réjouit d’un gain de temps et d’un meilleur aiguillage. “Récemment, nous avons ainsi orienté plus facilement une patiente qui avait autorisé la consultation de son Dossier
Médical Partagé en cas d’urgence. Elle était traitée pour une pathologie cancéreuse, nous l’avons donc adressée vers l’établissement dans lequel elle était suivie pour qu’il y ait une continuité dans sa prise en charge”, pointe l’urgentiste. Même enthousiasme de la part de Frédéric Hurson, cardiologue à Saint-Maur-des-Fossés, qui souligne l’intérêt d’éviter les redondances thérapeutiques ou les interactions médicamenteuses aux patients qui arrivent sans leurs prescriptions en cours. Et le praticien de vanter la simplicité du dispositif : “L’accès au DMP est simple, il se fait à travers le logiciel de gestion de patientèle. Il est par ailleurs sécurisé par la carte CPS (ndlr, carte professionnelle de santé) que tout praticien a à sa disposition“. Lorsque l’on interroge un médecin au hasard du département, la réponse est en revanche le plus souvent négative. Déjà ensevelis de formalités, beaucoup de médecins n’ont pas encore pris la peine de vraiment s’intéresser à la question. “C’est quoi?” se fait ainsi expliquer un ophtalmo.
103 professionnels de santé du département ont alimenté au moins une fois un DMP (au total 546 alimentations ont été effectuées, un même DMP ayant pu être alimenté à plusieurs reprises sur cette période) de mars à octobre 2018, détaille-t-on à l’Assurance maladie du Val-de-Marne. Sur un total de 4500 praticiens dans le département, ce chiffre reste faible. Dans la même période, 321 professionnels de santé du département ont consulté au moins 1 fois un DMP (au total 1711 consultations ont été effectuées, un même DMP ayant pu être consulté à plusieurs reprises sur cette période), précise l’Assurance maladie.
Compatibilité des logiciels
Convaincu de l’intérêt du dispositif, le président du Conseil de l’ordre des médecins du Val-de-Marne, Bernard Le Douarin, s’en désole. “Il y a encore beaucoup de réticences de la part des médecins, que j’ai du mal à m’expliquer. Cela doit pourtant permettre de gagner du temps. Beaucoup se plaignent de ne pas avoir de logiciel compatible mais si personne ne joue le jeu, cela n’aura pas d’intérêt”, estime le médecin qui espère que les habitudes vont se mettre en place avec un peu de temps. Dans le département, 44% des logiciels des praticiens sont DMP compatibles, précise-t-on à l’Assurance maladie.
A chacun son interface maison
Pourtant, beaucoup de médecins comme de laboratoires et centres d’imagerie médicale ont mis en place des outils modernes de communication, permettant d’envoyer un compte-rendu par mail au patient, ou de lui délivrer ses résultats d’analyse sur une interface web personnalisée sécurisée. Mais ces interfaces s’additionnent pour l’instant sans se connecter au DMP. Et ceci est vrai dans le privé comme dans le public. L’AP-HP, qui regroupe à elle seule une quarantaine d’hôpitaux publics de la région parisienne et des milliers de médecins, a ainsi développé son propre système maison, Orbis – depuis une dizaine d’années donc avant la naissance du nouveau DMP – et renouvelé ses investissements en la matière en 2016. “C’est extrêmement pratique“, indique à ce sujet le professeur Pierre Wolkenstein, chef de pôle à Mondor et doyen intérimaire de la fac de médecine de Créteil, tout en convenant que le DMP, en revanche, n’est pas utilisé. Re-développé sur le tard après l’échec de la version initiale, le DMP nouvelle génération se retrouve ainsi en doublon par rapport aux outils mis en place en parallèle. Et il n’est pas évident de demander à des professionnels de se connecter à deux interfaces différentes, vu le temps déjà compté de ces derniers.
Le patient peut entrer les données lui-même
En attendant que des passerelles se mettent en place pour résoudre ces doublons, que tous les médecins aient des logiciels compatibles, et qu’ils soient convaincus de l’intérêt d’un dossier partagé, sous l’égide d’un service public national, les patients peuvent entrer les données eux-mêmes. Ils peuvent aussi choisir de masquer les informations des praticiens qu’ils ne souhaitent pas partager. Dans ce cas, elles ne seront visibles que par leur médecin traitant et le professionnel qui a entré les informations.
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Merci aux médecins de s’opposer à tout, comme jadis la carte Vitale et le pré-paiement des actes médicaux : vous comprenez, ils sont surchargés, comme les infirmières.
Par contre, ils ont toujours du temps de libre pour les visiteurs médicaux, et pour des séminaires offerts par les laboratoires.
En France, rien ne fonctionne correctement, car chacun peut faire ce qu’il veut.
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