Gouvernance | | 05/07/2018
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Grand Paris de Castro : quelles attentes au-delà d’un rêve d’été?

Grand Paris de Castro : quelles attentes au-delà d’un rêve d’été?

Manoeuvre dilatoire pour reculer les annonces institutionnelles tant attendues sur le Grand Paris, nouvelle tentative pour rêver la métropole et la rendre populaire ? Parmi les élus, la mission confiée par le président de la République à Roland Castro, architecte urbaniste impliqué dans la politique de la ville depuis les années 1980, est diversement appréciée. Peu en attendent le grand soir mais certains sont prêts à jouer le jeu. Tous ou presque voient déjà rangé le rapport à côté de celui de Jean-Louis Borloo. 

Contexte

Ensemble de quartiers, d’arrondissements, de villes, de départements et d’une région qui ont chacun leur identité et partagent des projets dans le cadre de partenariats aux périmètres variés, l’agglomération parisienne forme un écheveau complexe et indiscipliné malgré les différents plans qui tentent de la structurer. Problèmes de pollution de l’air, de transports congestionnés, d’inégalités territoriales entre quartiers pauvres et riches, d’inégalités d’activités économiques, de coupures urbaines,  de devenir des grands ensembles… La liste des défis est bien identifiée depuis trente ans et chacun, des élus aux associations locales en passant par l’Etat, s’y attelle à son niveau. Création de quartiers prioritaires, schémas directeurs et plans en tout genre, loi SRU, contrats entre les collectivités et l’Etat, coopération intercommunale… la liste des outils est longue et la pile de projets haute, des plus visibles dans le paysage comme la construction du nouveau métro et les grandes Zac promises à des tours paysagères, aux plus discrètes comme le désenclavement par petites touches d’un quartier, la lutte de terrain contre les problèmes de sécurité, l’émergence de pistes cyclables, la valorisation d’espaces naturels… Reste que certaines inégalités territoriales ne prennent pas le chemin de décroître, c’est le cas notamment du développement des entreprises et des emplois, toujours bien campés à l’ouest (voir notre article sur le sujet). Reste aussi que ce fourmillement d’initiatives qui ne font pas toujours consensus entre les territoires (comme la fermeture des voies sur berge décidée par Paris et mal vécue par la banlieue) ne confère pas une identité Grand Paris perçue par les habitants, chaque composante étant soucieuse de défendre d’abord la sienne. C’est dans ce contexte qu’est née la Métropole du Grand Paris (MGP) en 2016,  nouvel échelon de gouvernance sensé résoudre les problèmes d’inégalités territoriales grâce à un pilotage plus intégré et donner une visibilité internationale à la métropole. Une nouvelle assemblée composée de représentants des conseils municipaux de Paris et sa proche couronne, doublée de 12 territoires qui ont remplacé les anciennes communautés d’agglomération des trois départements de petite couronne (à ceci près qu’il leur manque des modalités de financement pérenne à courte échéance, ces derniers ayant vocation à être plus intégrés à la MGP). Initialement, il était prévu de supprimer les départements de petite couronne en parallèle de la création de cette métropole mais l’idée a été abandonnée par l’ancien président de la République. C’est de ce paysage qu’a hérité Emmanuel Macron lors de son élection en mai 2017.

Arbitrage institutionnel annoncé à l’automne 2018

Ce dernier, après avoir annoncé dans sa campagne qu’il supprimerait les départements 92, 93, 94, a plongé dans le dossier et constaté les difficultés face à l’hostilité des collectivités concernées d’une part, à la complexité de l’opération d’autre part, se hâtant de renvoyer la décision à plus tard lors de sa première conférence des territoires en juillet 2017. Depuis, les annonces définitives de l’Elysée se font attendre comme l’Arlésienne et tous les échelons de gouvernance ont mis ce temps à profit pour défendre leur raison d’être. En deux ans d’existence, la métropole et les territoires ont commencé à travailler et le casse-tête du “mille-feuille” est devenu encore plus délicat. En attendant de rendre son arbitrage institutionnel (quels échelons garder avec quel financement et quels élus : suffrage direct, indirect…), le président a confié à Roland Castro le soin de se pencher sur le Grand Paris de 2018. L’architecte urbaniste, aujourd’hui âgé de 77 ans,  a réfléchi aux banlieues aux côtés des présidents de la République successifs, de François Mitterrand en 1981 avec sa mission Banlieue 89 (travail sur les grands ensembles et la politique de la ville) à Nicolas Sarkozy en 2008 dans le cadre d’une vision prospective plus architecturale. La lettre de mission, telle que signée par Emmanuel Macron, l’invite à proposer “une synthèse des principaux enjeux métropolitains du Grand Paris” et “les modalités de la fabrique métropolitaine du Grand Paris, notamment l’articulation entre la réflexion urbaine et la construction des grands projets d’aménagements”.  Au-delà de l’aspect purement urbain, le président demande également à l’architecte de participer au travail de concertation engagé avec le préfet à propos des institutions et précise que les propositions devront “nourrir la réflexion en cours sur l’évolution institutionnelle du Grand Paris qui sera présentée à l’automne 2018“. Le fidèle Castro a peu de temps devant lui. Missionné mi-juin, il doit rendre son rapport le 31 juillet.

Une consultation à géométrie variable

Impossible dans un tel timing de s’offrir un tête à tête avec les centaines d’élus de la métropole, il a fallu prioriser.  Pour l’heure, une réunion de groupe avec les 11 territoires de banlieue a été organisée vendredi 28 juin à Saint-Maur-des-Fossés, en présence du préfet du Val-de-Marne (photo de une). Concernant les villes, certaines ont été invitées à des réunions. Dans le Val-de-Marne par exemple, plusieurs ont été conviées à une réunion concernant 56 communes limitrophes de l’A86 ce vendredi 6 juillet, quelques autres la semaine prochaine. Les départements, eux, n’ont pas encore été invités formellement même si des échanges ont eu lieu entre l’urbaniste et les présidents des Hauts -de-Seine et du Val-de-Marne. “Nous allons demander à être reçus”, indique-t-on  également au Conseil départemental de Seine-Saint-Denis.

Rêver de la Seine oui, mais boucler le budget d’abord

Ce vendredi 28 juin, le déjeuner avec les présidents des territoire s’est en tout cas déroulé dans une ambiance clémente, et du côté du territoire Paris Est Marne et Bois (T10) comme de Grand Orly Seine Bièvre (T12), la proposition de l’urbaniste d’investir davantage l’axe Seine, en envisageant tous ses aspects, y compris de loisirs avec notamment la baignade, a fait mouche. “Roland Castro est un électron libre, il apporte de la fraîcheur dans un débat enkysté par l’institutionnel”, apprécie-t-on au sein du T10, tout en rappelant qu’il ne s’agit pas de lui donner un chèque en blanc, tandis que du côté du T12, on rappelle surtout les intérêts bien compris des 11 territoires pour participer à cet échange. “Les présidents des territoires partagent depuis un an une ligne commune sur l’évolution institutionnelle, en prônant un statut d’EPCI (Etablissement public de coopération intercommunale) avec des moyens financiers propres et des ambitions, et y allaient pour porter cette demande, mais ce n’est pas le sujet de Roland Castro”, indique-t-on au cabinet du T12. De fait, la lettre de mission reste ambiguë, qui demande à l’urbaniste de plancher sur les sujets métropolitains et urbains tout en indiquant que cela éclairera sa prise de décision sur le plan institutionnel. Pour l’heure, l’architecte est plutôt resté sur le terrain qu’il connaît et est légitimement reconnu, travaillant au consensus sur les visions plutôt que sur la dimension gouvernance. Pour les territoires, la question concrète qui se pose en cet été 2018 reste néanmoins comment préparer le budget 2019 alors que le transfert de la  la dotation qui leur revenait, via la métropole, ne sera plus automatique dès l’année prochaine. “Ce-sont près de 13 millions qui pourraient disparaître d’un trait de plume”, signale-t-on au T12, s’inquiétant de comment faire tourner tous les équipements, piscines et autres, hérités des anciennes communautés d’agglomération.

Paris est-il déjà sa banlieue ?

Absente du déjeuner des territoires le vendredi 28 juin, la ville de Paris qui constitue à elle seule un des douze territoires avec ses plus de 2 millions d’habitants, a déjà planché sur le sujet avec la production d’une contribution d’une quarantaine de pages sur l’avenir métropolitain dans le cadre de l’élaboration du SCOT (Schéma de cohérence territoriale) par la MGP, mettant l’accent sur le droit à la ville pour tous et la transition écologique. La ville a également eu des échanges directs avec Roland Castro, notamment par l’intermédiaire de Pierre Mansat, ancien élu de la ville toujours au coeur des questions métropolitaines. Pour ce dernier, l’urbaniste des années 1980 doit permettre d’“extraire la substantifique moelle de la masse colossale de connaissances accumulées depuis des années par les équipes des agences d’architecture et d’urbanisme qui ont travaillé sur le Grand Paris.” Quelques idées fortes et mobilisatrices pour composer “un récit métropolitain” et savoir le raconter pour susciter un sentiment commun d’appartenance. Un souffle d’enthousiasme à même de catalyser l’existant car le Grand Paris est déjà une réalité. “Un tiers des actifs de Paris exercent aujourd’hui en dehors de la ville et fréquent les commerces de la commune où ils travaillent le midi. Les habitants d’Aubervilliers sont les deuxièmes utilisateurs du parc de la Villette, le bois de Vincennes est essentiellement fréquenté par les habitants des villes limitrophes, entre 25 et 30% des usagers de Paris Plage n’habitent pas Paris… Les choses bougent et le Grand Paris existe au-delà de la conscience que l’on peut en avoir, avec 600 milliards d’euros de PIB par an. Ce qu’il faut améliorer aujourd’hui est la qualité de vie, la réduction des inégalités”, expose Pierre Mansat, invitant à “poursuivre ce qui a été commencé en respectant le temps long” sans changer tous les deux ans. “Aucune métropole n’a de solution miracle. Toutes doivent composer avec la complexité et un nombre infini d’acteurs aux périmètres différents.”

Des maires dubitatifs

Du côté des maires, les attentes et réactions à cette mission varient de l’indifférence polie à l’agacement en passant par le “on joue le jeu”, à l’instar de Didier Gonzales, maire LR de Villeneuve-le-Roi. “J’ai envoyé un courrier pour demander un RDV. Je veux évoquer la question de ‘comment optimiser les territoires servants’. Je pense aux trois usines de recyclage et au dépôt pétrolier dans notre commune mais aussi à l’emprise ferroviaire de Villeneuve-Saint-Georges triage, au cimetière de Thiais… Comment associer les bénéficiaires et les territoires servants avec toutes les parties prenantes”, suggère l’élu sans pour autant se faire trop d’illusions sur l’impact d’une mission réalisée en deux mois.  A Villejuif, le maire LR Franck Le Bohellec fait savoir qu’il partage l’objectif d’une métropole inclusive et verte et remercie de la concertation engagée avec les élus, étant convié à une réunion prochaine, mais s’interroge sur le choix de Roland Castro, se demandant quand on préparera l’avenir avec des hommes d’aujourd’hui et non d’hier… “On va chercher le vieux monde pour construire du nouveau“, tacle également Jean-Philippe Gautrais, maire FG de Fontenay-sous-Bois qui indique ne rien attendre de ce “story telling du château” mais simplement espérer que cela ne l’empêche pas de poursuivre les projets en cours en ville. A Champigny-sur-Marne, le maire PCF Christian Fautré, ne cache pas son agacement sur la méthode. “J’ai reçu un courrier ce matin pour une réunion ce vendredi (ndlr, la réunion des 56 maires autour de l’A86) mais je n’ai pas attendu Roland Castro pour remplir mon agenda. La précipitation de l’Etat pour aboutir à des propositions le 31 juillet relève du grand n’importe quoi. On ne règle pas une question aussi importante en plein mois de vacances!“, lâche l’élu qui apprécie par ailleurs moyennement le ton de la lettre du président qui donne l’impression que la réflexion sur la métropole va seulement commencer avec la mission Castro. “Nous portons déjà des projets depuis des décennies, en associant les habitants, et avons mis en places des outils comme les PLU (plan local d’urbanisme), les PLH (Plan local habitat), les CDT (Contrats de développement territoriaux)… Nous avons des projets en cours autour du développement économique, de l’emploi et des logements et ce que j’aimerais est que les maires bâtisseurs soient aidés, que l’Etat soit au rendez-vous pour les hôpitaux, l’éducation...” De son côté, le maire LR de Villiers-sur-Marne, Jacques-Alain Bénisti, considère que l’urbaniste peut enrichir de son expérience la réflexion sur les nouveaux quartiers autour des gares, rappelant que le projet de Marne Europe va complètement dans le sens de la vision Castro avec des tours végétalisées, un travail sur le cadre de vile, les quartiers mixtes… mais ne voit pas ce qu’il peut apporter sur la partie institutionnelle. “C’est un grand point d’interrogation“, résume-t-il poliment.

Tout le monde pense au rapport Borloo

Qu’ils soient un peu, beaucoup ou passionnément intéressés par la mission, quasi-tous les élus, de droite comme de gauche, ne peuvent s’empêcher de repenser immédiatement au plan Borloo, fruit d’un travail charpenté mais presque intégralement classé à la verticale par le patron de l’Elysée, avec en prime la petite phrase conçue pour le buzz à l’adresse de l’ancien ministre à propos des “mâles blancs”. Un précédent qui contribue à prendre de la distance et à attendre peu, non seulement du rapport mais aussi de sa lecture. “Si cela doit finir comme le rapport Borloo, tout cela est ridicule“, prévient Daniel Breuiller, conseiller métropolitain EELV d’Arcueil.

De l’urgence de trancher

“Nous avons pourtant besoin d’une pensée métropolitaine, reprend l’élu écologiste. Roland Castro travaille depuis longtemps sur l’urbain, avec une pensée parfois intéressante, parfois moins.  Mais à quoi cela sert aujourd’hui ? Le problème actuel est l’indécision qui pèse sur tous les échelons territoriaux, lesquels, au lieu de jouer commun avec l’envie de construire ensemble comme au début de Paris Métropole, défendent chacun leur existence et se replient sur eux-mêmes. En résulte un mal être des agents territoriaux, une métropole dotée d’une très faible capacité à agir,  des territoires nains sans visibilité qui ne pourront plus rendre les services que rendaient les communautés d’agglomération une fois retirée la DSIT (Dotation de soutien à l’investissement territorial)…  Si la décision doit venir de Jupiter, qu’elle vienne mais vite!”

 

 

 

 

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