Justice | | 09/04/2018
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Jusqu’à 6 ans de prison pour les copains devenus proxénètes

Jusqu’à 6 ans de prison pour les copains devenus proxénètes

Elles faisaient des passes pour arrondir les fins de mois et ont sollicité des copains pour les protéger, mais ces derniers ont pris l’ascendant pour les asservir.  Cinq hommes d’une vingtaine d’année ont été condamnés à des peines de 2 à 6 ans de prison pour proxénétisme aggravé ce vendredi 6 avril, par le tribunal correctionnel de Créteil.

 

En mai 2012, la police procède a plusieurs interpellations dans un hôtel a Charenton-le-Pont. Le coup de filet vient clore deux mois et demi de surveillance qui ont permis de mettre au jour une petite entreprise de proxénètes. Publication d’annonces sur des sites internet, location de chambres d’hôtels, intimidation de clients réfractaires et gestion des comptes sont assurés par cinq copains âgés de 19 et 27 ans s’étant répartis les rôles et amassant plusieurs centaines d’euros par jours générés principalement par trois jeunes femmes.

Quelques années plus tôt, deux sœurs à qui il arrive parfois de se prostituer pour gagner de l’argent, Nina* et Sabrina*, ainsi que leur amie Lola*, une gogo danceuse, reprennent contact avec Rachid*, un ancien camarade de lycée, pour qu’il assure leur protection lorsqu’elles ont des relations sexuelles tarifées avec un client. Mais spontanément, Rachid et Farid* prennent le contrôle de la situation et mettent en place une organisation strictement rodée, tenant les jeunes femmes par la drogue et l’intimidation. Les jeunes femmes reçoivent des hommes de midi a deux heures du matin dans des chambres d’hôtels et doivent se prêter a tous leurs désirs pour 200 euros de l’heure. “Au départ je percevais mes gains, mais petit à petit, je n’ai plus rien reçu. Il m’était physiquement impossible de travailler sans cocaïne. Elle était déduite de mon salaire, tout comme les préservatifs, les produits d’hygiène et ma nourriture”, a expliqué Lola aux enquêteurs, estimant avoir été victime de violences physiques et psychologiques pour continuer à se prostituer. “L’Européenne ne veut pas travailler s’il n y a pas de marchandise, va chercher de la drogue”, commande Rachid à un autre membre du groupe dans une conversation téléphonique interceptée.

 Pendant plusieurs mois, sont organisées des passes dans des chambres d’hôtels aux portes de Paris, notamment à Charenton-le-Pont. L’enquête s’accélère après la plainte d’un client fin février 2012 au commissariat de Charenton. Mécontent de sa passe, il réclame à l’une des jeunes femmes une partie de la somme donnée. Alertés, plusieurs hommes sortent agressivement le client de la chambre et profèrent des menaces. Dans son procès verbal, le client mentionne le tatouage de Lola et les policiers font le rapprochement avec une plainte déposée par sa sœur à l’hôtel de police de Villeneuve-Saint-Georges, un mois plus tôt, dénonçant son recrutement dans un réseau de prostitution. Quelques semaines plus tard, les policiers débarquent dans une chambre d’hôtel de Charenton et prennent sur le fait quatre des cinq proxénètes qui purgeront un an de détention provisoire. Farid, lui, est parvenu à échapper aux policiers et s’est réfugié en Algérie.

Plus de cinq ans après les faits, Tariq, Rachid, Moustapha* et Said* étaient jugés au tribunal correctionnel de Créteil la semaine dernière. Sabrina, Lola et Sandy* ne se sont pas déplacées comme la plupart des victimes dans les procès de proxénétisme, que ce soit par peur des représailles ou par la volonté de tourner la page. L’association contre la prostitution des enfants et l’association EACP se sont portées parties civiles.

Au cours de l’audience, Moustapha, Said et Tariq ont minimisés leur participation. “Je ne faisais que rendre service en faisant des courses à la demande de Farid pour les filles. Je ne gérais rien d’autre“, se défend Tariq. Les écoutes téléphoniques témoignent d’une participation plus importante. “Je ne t’ai pas fait venir ici pour dormir (…). Tu ne fous rien, va voir si elles ont travaillé”, lui intime Farid dans un coup de fil.

Rachid, unique prévenu à comparaître détenu, pour vol avec violence commis entre temps, reconnaît avoir pris pleinement part à des activités de proxénétisme mais explique que, contrairement aux conclusions de l’enquête, les jeunes femmes n’étaient pas contraintes. “Nous n’étions pas rémunérés comme si nous travaillions à Carrefour. C’était irrégulier, nous nous partagions tous la mise. Je devais gagner 800 euros par mois. Nous étions une petite communauté en vase clos. Il n y avait aucune parole, aucun geste pour les pousser à se prostituer”, s’est-il défendu.

“Proxénétisme de proximité”

Tour à tour, les avocats des associations de lutte contre la prostitution ont décrit une affaire symptomatique d’un nouveau phénomène de société. Un proxénétisme de proximité alimenté par de jeunes filles ne se considérant ni comme victimes, ni comme prostituées. “Une génération Nabilla, où la réussite sociale s’acquiert sans travailler dans une société où l’on assiste à une banalisation de la sexualité et à l’écroulement des valeurs. Le proxénétisme est le devenir de la petite délinquance ordinaire avec le même asservissement des victimes que dans les grands réseaux”, indique un avocat.

“C’est le premier dossier de ce type jugé par notre juridiction. Ce sont des délinquants qui s’improvisent proxénètes entre amis et qui se servent de victimes parfois mineures, exploitant des vulnérabilités affectives ou des addictions, baignant dans une société dévalorisant l’image de la femme, de l’intimité et de la sexualité”, a résumé la procureure. “Ces prévenus sont difficilement défendables mais est-ce que les condamner contribuera à régler le problème de société du proxénétisme ?” interroge l’un des avocats de la défense.

Le tribunal a prononcé des peines de deux à six ans de prison ferme contre les cinq hommes. Saïd a profité de la suspension de séance pour le délibéré des juges pour prendre la fuite avant d’entendre sa condamnation. Les trois autres prévenus ont été incarcérés dès la fin de l’audience.

*Les prénoms ont été changés

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