Connue des spécialistes et moins du grand public, la marque automobile Brasier, qui prospéra au début du 20ème siècle, a marqué l’histoire industrielle d’Ivry-sur-Seine, contribuant à y implanter une partie de la filière, des roulements à bille aux roues amovibles. Cette marque, dont l’histoire singulière reflète l’aventure automobile française, fait l’objet d’une rétrospective dans le cabinet de curiosités de la mairie d’Ivry, l’ancien abri anti-aérien construit durant la seconde guerre mondiale.
Si la France peut encore revendiquer deux puissants constructeurs automobiles, Renault et Peugeot, il fut un temps où elle était leader mondial du marché, en 1900, devançant l’Amérique jusqu’à ce que Ford standardise les processus de fabrication une décennie plus tard pour produire en masse et réduire les prix. En ce tout début du 20ème siècle, l’heure est encore aux pionniers. On fabrique les exemplaires un par un, en ne proposant sur catalogue que le châssis et le moteur. “Ce-sont ensuite les tapissiers, bourreliers et autres ouvriers spécialisés qui équipent chaque véhicule et en font une pièce unique“, détaille Michèle Rault, conservatrice en chef du patrimoine aux Archives d’Ivry. Les startups françaises de l’automobile se chiffrent alors en dizaines et à Ivry-sur-Seine, l’usine de Brasier comptera jusqu’à 600 ouvriers en 1904 dans la rue Galilée (Ivry Confluences). Une industrie qui génère sa propre filière avec des fabricants de pneus, de ressorts, de roues amovibles ou encore de roulements à bille comme l’usine SKF à l’emplacement duquel tournèrent un temps les rotatives du journal Le Monde.
A l’origine de cette usine d’Ivry Port, entre d’abord en scène Georges Richard qui tient une fabrique de cycles puis d’automobiles avec son frère et y construit la voiturette Poney dès 1897. A cette époque Charles-Henri Brasier, originaire, non pas d’Ivry-sur-Seine mais d’Ivry-la-Bataille (dans l’Eure), et diplômé de l’École des arts et métiers de Chalons, travaille pour le constructeur Mors. En 1896, il conçoit le premier moteur quatre cylindres en V et l’entreprise se lance dans les compétitions. Les courses constituent à cette époque la meilleure vitrine des constructeurs pour vendre leurs bolides, alors réservés aux plus fortunés. Paris-Trouville, Paris-Amsterdam ou encore Paris-Berlin en 1901, lors de laquelle le pilote Henri Fournier aligne 1105 km en 15h33… Mors enchaîne les victoires grâce aux moteurs de plus en plus perfectionnés de Brasier. Mais les relations entre l’ingénieur et le reste de l’équipe, et les coûts générés par sa quête permanente de vitesse, entraînent la rupture. En 1902 Brasier rejoint Georges Richard pour créer la marque Richard-Brasier, qui reprend le logo en trèfle à quatre feuilles de la société Richard. Le succès est au rendez-vous avec plusieurs innovations comme le carburateur à réglage automatique. L’entreprise se positionne bien sûr dans la course automobile et c’est Georges Richard lui-même qui prendra le volant dans l’une des voitures Richard-Brasier, lors de la course Paris-Madrid de 1903. Une course tellement meurtrière (4 pilotes perdent la vie ainsi que 6 spectateurs et mécaniciens) qu’elle sera stoppée dès la première étape, à Bordeaux. Marcel Renault, l’un des frères créateurs de la marque éponyme, y perd la vie au niveau de Poitiers tandis que Georges Richard se blesse à la jambe en percutant un arbre pour éviter un spectateur, au niveau d’Angoulême. Un accident qui l’oblige à se mettre un temps en retrait de la gestion de l’entreprise.
Charles-Henri Brasier, lui, continue de miser sur la compétition en orientant la construction vers les grosses cylindrées. En 1904, c’est la consécration lorsqu’une voiture Richard-Brasier gagne la coupe Gordon Bennett, propriétaire du New York Herald, organisée cette année-là en Allemagne. Au volant, le pilote Léon Théry s’offre 11 minutes d’avance sur la Mercedes, avec une vitesse de 87,24 km/h. C’est ainsi en héros qu’il est accueilli à son retour dans la fabrique ivryenne. La marque remporte également le prix l’année suivante, avec le même pilote, alors que la coupe se déroule cette fois en France, en Auvergne.
Une heure de gloire que l’exposition met en valeur, non seulement avec des photographies et cartes postales, comme celles qui représentent Théry et Brasier acclamés à leur arrivée à l’usine d’Ivry ou les temps forts des courses elles -mêmes, mais aussi des produits dérivés de l’époque. A ne manquer notamment, la pièce de céramique qui représente Théry au volant lors de la coupe Gordon Bennett de 1904. Voir image de une. “Il s’agit d’une reproduction miniature d’une pièce réalisée par le céramiste Gilardoni pour la maison Michelin de Londres”, explique Michèle Rault. Sur les murs de la Michelin House ouverte dans le quartier de Chelsea en 1911, les murs de côté arborent en effet des représentations des courses gagnées par des voitures équipées de pneus Michelin. L’exposition montre également une médaille commémorative de la Gordon Bennett 1905.
Mais la gloire n’empêche pas les dissensions. En 1905, Charles-Henri Brasier se sépare de son associé, en désaccord sur la stratégie. Brasier mise sur la compétition et les grosses cylindrées tandis que Richard veut construire des voitures qui ont une chance de se vendre. La séparation ne se fait pas à l’amiable. Brasier garde les usines d’Ivry, le nom Richard-Brasier et le logo et la marque, empêchant même son ex-associé d’utiliser son propre nom jusqu’à ce dernier ne gagne en justice. Par la suite, c’est à Puteaux que Georges Richard fonde, toujours avec son frère Max, une nouvelle entreprise automobile, Unic, qui connaîtra le succès en s’orientant progressivement vers les véhicules utilitaires. A nouveau victime d’un accident automobile en 1922, Georges Richard décédera des suites de l’opération. L’entreprise, elle, perdurera, aujourd’hui dans le giron de Fiat sous la marque Iveco.
A Ivry-sur-Seine, Charles-Henri Brasier connaît pour sa part un trou d’air après une période florissante. L’ingénieur n’a en effet pas vraiment le sens des affaires. Ainsi, pour continuer à investir après ses victoires, double-t-il les prix, ce qui a pour effet de faire chuter ses ventes. Sa production passe de 600 exemplaires dans les années 1904 – 1905, à moins de 400 en 1908. Il faut pourtant faire tourner l’usine qui compte jusqu’à 600 ouvriers. Revoyant sa politique commerciale, la société renoue avec le succès avant de connaître de nouvelles difficultés qui précèdent la première guerre mondiale. Durant le conflit, elle fonctionne en revanche à plein régime, pour construire… des obus, et aussi des camions. Au lendemain de la guerre, Brasier reprend son positionnement haut-de-gamme, installant son siège sur les Champs Elysées. Mais le succès n’est pas au rendez-vous. Sa société en liquidation judiciaire en 1924, l’entrepreneur s’associe avec Camille Chaigneau, des cycles Chaigneau, pour constituer la société Chaigneau-Brasier. Mais l’entreprise ne réussira pas à survivre à la crise économique de 1929. Après qu’une partie des bâtiments d’Ivry aient été revenus au fabricant Hobart, le reste est alors cédé au constructeur automobile Delahaye en 1933. Brasier mourra en 1941, à 77 ans.
Dans l’usine de la rue Galilée, l’aventure automobile ne se termine pas pour autant. Après la guerre, c’est ici que Delahaye assemblera la première jeep française, la VLR, en 1948. Mais la jeep made in France ne convaincra pas et Delahaye, en faillite, sera repris par son concurrent Hotchkiss qui fabrique les jeeps américaines sous licence. A la fin des années 1950, Hotchkiss rapatrie toute la production dans le nord de Paris. Le clap de fin pour l’aventure automobile de la rue Galilée.
Non loin de là, à la porte d’Ivry, une autre épopée automobile a aussi marqué les lieux, avec son siège de briques rouge, celle de Panhard et Levassor, de 1891 à la fin des années 1960.
Le vernissage de l’exposition se tient ce mercredi 12 septembre à 18 heures. Des visites commentées seront par ailleurs proposées ce dimanche 16 septembre de 14h à 18h, dans le cadre des journées du patrimoine.
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Voir le programme complet des Journées du patrimoine à Ivry
Et ailleurs dans le Val-de-Marne
De Dietrch-Alstom-Siemens Yuro Company, vingt dieux !
vous oubliez aussi Bugatti, qui s’est reconverti dans les hélicoptères
et de Dietrich, qui a cessé de fabriquer des wouatures après le départ de son ingénieur Ettore Bugatti
Il est important que le patrimoine industriel et son passé soit mis en valeur.
“Si la France peut encore revendiquer deux puissants constructeurs automobiles, Renault et Peugeot” ; vous oubliez Panhard (ex Panhars et Levassor), première entreprise à avoir construit des voitures en série dans une usine dédiée à cela, qui existe toujours dans le domaine des véhicules militaires, cent ans après sa création. Le groupe Panhard a été intégré dans le groupe Nexter.
Une partie de l’usine historique a été préservée dans le XIIIème, et l’actuel quartier asiatique est situé à l’emplacement de cette usine.
Mea culpa : vous le signalez tout à la fin de l’article 🙂
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