Solidarité | | 28/02/2018
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Maraudes auprès des sans abri: proposer sans imposer

Maraudes auprès des sans abri: proposer sans imposer

Avec son chapeau, Gheorghe est reconnaissable de loin, assis dans un recoin de l’immeuble de La Poste, à deux pas du McDonald’s de Vincennes. Dans le quartier, il est connu comme le loup blanc et, le temps que la maraude de la Croix Rouge passe le voir, ce mardi 27 février en début de soirée,

une passante lui a déjà déposé un hamburger, une autre un dessert, tandis qu’un jeune homme lui a glissé furtivement une pièce. Dans la famille de ceux qui n’ont plus rien, Gheorghe a pris le parti de garder le sourire à tout prix. Engoncé dans son manteau au point de se mouvoir difficilement, il regarde la vie passer, son petit gobelet de carton posé à ses pieds, et s’anime dès que quelqu’un s’arrête pour lui. Remerciements enthousiastes, baise-main pour les dames, c’est étonnamment sa grande paluche qui réchauffe la nôtre lorsque nous le saluons. D’origine roumaine, Gheorghe parle aussi l’Italien et le Portugais mais peine en Français. La nuit, il ne dort pas dans la rue commerçante de Vincennes mais prend le dernier métro pour rejoindre le parking en sous-sol d’un hôtel du côté de Bercy. Il y a ses habitudes et y laisse quelques affaires, même s’il se les fait parfois voler. C’est arrivé il y a quelques jours après une hospitalisation l’obligeant à laisser son coin en jachère. Pour Gheorghe, pas question d’aller en hébergement d’urgence pour la nuit. Il préfère son précaire chez-lui. Un café, un kit hygiène, quelques paires de chaussette, un manteau bien chaud pour améliorer l’ordinaire, l’assurance qu’une autre équipe viendra vérifier que tout va bien un autre soir et il faut s’en aller car un signalement a été envoyé à l’équipe. Direction le RER A de Fontenay-sous-Bois. Pour les maraudeurs, l’objectif n’est pas d’embarquer les personnes contre leur gré mais de leur proposer un hébergement par cette nuit de grand froid, et de s’assurer, s’ils refusent, qu’ils sont suffisamment équipés, abrités et en état physique pour résister. Il s’agit aussi de commencer ou d’entretenir un lien. Dans un grand classeur, des fiches de suivi sont établies pour chaque “requérant”, le nouveau nom à utiliser plutôt que “SDF”. Grâce à cette bible soigneusement entretenue à chaque visite, les nouveaux sur le secteur n’arrivent pas en terre inconnue et un minimum de suivi peut s’organiser.

150 bénévoles de la Croix Rouge participent à des maraudes dans le Val-de-Marne

Alors que deux équipes professionnelles de la Croix Rouge sillonnent chaque soir les rues du Val-de-Marne, dans le cadre de la gestion du 115 par l’association dans le département, des bénévoles interviennent chaque vendredi. Mais en période de grand froid, comme c’est le cas depuis plusieurs jours, c’est tous les soir. Ainsi ce mardi, pas moins de quatre équipes de bénévoles sont venues prêter main forte, encouragées avant leur départ par le préfet Laurent Prévost venu au SIAO de Créteil (service intégré d’accueil et d’orientation) avant de se rendre dans un centre d’hébergement d’urgence à Villiers. Au total, quelque 150 bénévoles sont mobilisés tour à tour pour les maraudes dans le département, dont une cinquantaine de chefs d’équipe, indique Xavier, qui coordonne les opérations. Parmi les quatre patrouilles de bénévoles ce soir : la 94 33, issue de la délégation de Fresnes-Rungis. A bord du Transit de cette antenne locale : Patricia, la cheffe d’équipe, Georges, le chauffeur, Cyril, le spécialiste radio et Cécilia, la plus jeune de l’équipe, 19 ans tout juste et déjà engagée depuis deux ans. Quatre passionnés chacun venu avec des motivations différentes.

Des maraudes au Bataclan…

Patricia, âgée de 53 ans, est tombée dedans à 18 ans. “Au départ, j’étais attirée par le secourisme. Une fois que j’ai mis les pieds dans l’association, j’ai eu envie d’en faire toujours davantage. Aider les autres, c’est magique. Et si je peux manger et que je sais que d’autres ne le peuvent pas, cela me perturbe“, résume la cheffe d’équipe, qui habite Rungis.  A raison de 5 heures de présence associative par semaine, sans compter tous les temps de coordination et paperasserie diverse, Patricia n’entend pas décrocher de si tôt. Habitante de Rungis et fonctionnaire à la mairie de la ville, elle est impliquée autant sur l’activité sociale que secourisme de l’association qui intervient lors des manifestations festives ou en renfort lors du déclenchement du plan rouge par le préfet, en cas de catastrophe. Le soir du Bataclan par exemple, Patricia y était. “Lorsqu’on m’a demandé si nous avions des sacs à bord, je n’ai pas compris tout de suite, jusqu’à ce que l’on me précise que c’était pour mettre les cadavres. C’est là que j’ai découvert que nous avions effectivement le stock réglementaire. Mais nous n’avions jamais eu à nous en servir“, se souvient-elle.

Envie d’action

Cyril aussi a été réquisitionné ce vendredi noir du 13 novembre 2015, mais à Saint-Denis. Agé de 27 ans, cet habitant de Choisy-le-Roi, passionné de Cibi depuis son plus jeune âge autant que fasciné par les camions à gyrophare, est déjà au service des autres toute la journée, en tant qu’agent régulateur “gilet rouge” à la gare du Nord. Lui aussi est arrivé là par le secourisme, après avoir été à la Protection civile. “Ce qui me motive est l’urgence, le fait d’être en action permanente”, témoigne le jeune homme. Secourisme, maraude, Cyril veut être sur le pont, prêt à agir. “Ce mois-ci, j’en suis à ma sixième maraude, j’en fais dès que je peux”, confie le spécialiste radio. La communication entre les équipes de maraude et le centre de régulation s’effectue en effet par radio, en épelant les noms en langage  international : Tango, Charlie, Mike…

Secourisme, social, ou les deux

Chauffeur habilité, Georges, 52 ans, habitant de Villejuif et agent EDF dans sa vie professionnelle, est le seul de l’équipe qui n’a pas rejoint la Croix rouge pour le secourisme mais le social, il y a quelques années. “J’avais déjà fait du bénévolat, notamment du soutien scolaire, et je voulais faire des maraudes pour échanger, apporter un peu de chaleur humaine, de compagnie“, motive-t-il. Benjamine du groupe, Cécilia, elle, travaille dans un magasin de sport mais uniquement le weekend, elle voulait donc donner de son temps libre et c’est d’abord sur Internet qu’elle a candidaté à la Croix Rouge. “J’étais attirée par le côté organisation internationale et le fait que ce soit une association connue m’inspirait confiance“. Finalement, c’est en rencontrant Maxime, l’autre chef d’équipe de la délégation Fresnes-Rungis, en allant donner son sang, que la jeune Fresnoise a rejoint l’équipe. “Il m’a proposé de venir à une réunion un premier mercredi du mois et j’ai sauté sur l’occasion. Ensuite, j’ai commencé par une formation PSC1. Désormais, je dois passer mon Solidar 1 pour poursuivre les maraudes et mon PSE1 pour faire du secourisme“, explique Cécilia qui compte bien faire les deux.

Cécilia, Patricia, Cyril, Georges

Tente tout confort ?

A la station de RER A de Fontenay-sous-Bois, le “requérant” a disparu le temps que la maraude arrive et semble jouer à cache-cache. “Il a déjà fait cela tout à l’heure, avec une maraude de jour”, indique l’agente RATP qui a appelé le 115. Coup d’oeil aux abords, personne. La demande est parfois ambiguë, partagée entre besoin d’aide et crainte de cette relation à engager. Direction Saint-Mandé cette fois. Métro Tourelle, un trentenaire roumain est assis devant les portillons. Il ne dort pas ici mais sous une tente avec sa femme et son bébé, à Paris. “Tout va bien”, s’empresse-t-il de dire, insistant sur l’aspect tout confort de sa tente, bien chauffée avec le réchaud… Surtout pas question d’aller dans un centre où la famille serait séparée. “Ici, je fais 10-15 euros par jour. De quoi acheter des couches pour mon bébé“, témoigne-t-il. Au fur-et-à mesure de la conversation, un café chaud dans la main, il avoue avoir aussi très mal à la tête à cause de sa sinusite. Il aimerait bien un “Doliprane”, mais ce n’est pas possible, l’association n’est pas habilitée à délivrer des médicaments. il repart en revanche avec des pulls pour lui et sa femme.

Des échanges parfois compliqués

Juste en face de la station, un jeune Soudanais est allongé dans un duvet devant Monceau Fleurs. De la soirée, c’est le seul que nous verrons alcoolisé. Une flasque d’alcool vide traîne à ses côtés. Patricia commence à prendre son identité et lui demande s’il souhaite être hébergé pour la nuit. “1990? C’est l’âge de mon fils!“, réalise la bénévole. L’échange s’avère compliqué. Un café ? Une soupe ? Un hochement de tête laisse entendre qu’il serait partant pour une soupe mais lorsque Cécilia lui apporte le bol brûlant, il l’envoie voltiger à l’autre bout de la placette et commence à l’insulter. “C’est la première fois que cela m’arrive“, réagit la jeune femme.  Le jeune homme a bu mais n’est pas totalement ivre et semble bien couvert. Rapport de la visite est transmis au central et la maraude repart vers la gare routière du Château de Vincennes après un stop au Kebab.

Il préfère rester assis dans le terminal des bus

Personne n’a appelé le 115 pour signaler une présence à la gare routière mais c’est un endroit susceptible d’abriter des personnes sans domicile. Les bénévoles cherchent donc des signes : un carton, un amas de couvertures… Là-bas, dans l’une des cahutes d’attente, on distingue une silhouette massive, totalement emmitouflée. C’est Kamel, un Algérien d’une cinquantaine d’années. Comme Gheorghe, Kamel donne le change par une extrême amabilité. A chaque question posée par l’un des bénévoles pour s’enquérir de sa situation, il répond que tout va bien avant de demander à son tour comment va son interlocuteur. “Ici, je suis tranquille, c’est mieux que du côté de la gare du Nord. Je suis tout seul, je préfère. Je connais tous les chauffeurs de bus, ils sont sympas avec moi, m’apportent du café“, explique-t-il. Emballé dans un duvet de pied en cap par dessus son manteau et sa capuche, il bouge à peine. Une toute petite partie de son visage est à l’air libre pour voir respirer. Le bas du duvet, par terre, est lui -même dans un sac plastique pour ajouter une maigre couche d’isolant. A côté de l’extrémité du banc où il se tient assis, une grande valise est posée par terre, bien fermée et attachée à son propriétaire “pour être averti si quelqu’un essayait de lui voler“. Il est installé pour la nuit et va dormir comme cela, assis. Est-ce toujours ainsi ? “Quand j’ai un peu  d’argent, je vais à l’hôtel”, indique-t-il. “Et ce soir, il fait froid, voulez-vous aller dans un centre d’hébergement d’urgence?“, propose Georges.  “Non, j’ai un rendez-vous demain matin à l’hôpital près de la gare du Nord, je préfère ne pas trop m’éloigner. Et puis, j’ai testé une fois le centre d’hébergement, je n’ai pas pu dormir. Dans la chambre de six, un des types était complètement bourré et a uriné à l’intérieur !” se souvient Kamel. “Je comprends mais vous pourriez peut-être essayer à nouveau. Tous les centres ne sont pas pareils”, suggère Georges. “Non, c’est gentil, je suis bien”, sourit Kamel sur son banc. Un café chaud, des gâteaux à la fraise et une paire de gants le contenteront donc pour ce soir. “Mais il va faire encore froid les jours prochains. N’hésitez pas à appeler le 115. Vous avez un téléphone?”, propose Cécilia. “Oui, d’accord, je le ferai“.

Au terminus du bus, un Kosovar d’une quarantaine d’années, Soni, s’est approché du camion de la Croix Rouge. Lui n’est pas contre un hébergement. Patricia appelle le centre de régulation. En attendant, il se raconte un peu. Il parle Albanais, Français, Anglais, Kosovar et Allemand, mais n’a pas de papiers et ne peut pas travailler en France où il vit pourtant depuis 2009. Pour les douches et le petit-déjeuner, il va dans des associations du côté de République. C’est aussi dans ce coin qu’il dort en général, dans une bouche de métro. Son sac en plastique sous le bras, il a pris le bus un peu pour passer le temps. Renseignement pris par la cheffe d’équipe, il est déjà répertorié à Paris et c’est donc Paris qui peut le prendre en charge. Pas de problème, accueille-t-il, philosophe, après avoir bu son café.

Il est temps de repartir vers Fontenay, dans le parking du centre commercial Auchan cette fois. Un vigile a signalé un sans abri. “Une fois, un SDF a été retrouvé mort, la direction a donc bien donné la consigne de prévenir le 115″, indique ce dernier, en conduisant les bénévoles dans le renfoncement de parking où un homme au visage assez marqué par la vie, d’environ une cinquantaine d’années, a élu domicile pour la nuit. Recouvert de plusieurs couvertures et un bonnet sur la tête, il ronfle bruyamment. Dans ce cas, on ne réveille pas, c’est la consigne, sauf si l’on estime que la personne est en danger. Il est en effet suffisamment difficile de trouver le sommeil dans ces conditions pour ne pas réveiller la personne au milieu de sa nuit. Remerciements au vigile. Retour au camion. Retour au SIAO de Créteil. Il est près d’une heure du matin mais la soirée n’est pas complètement finie pour les bénévoles qui se croisent sur place le temps de vider les thermos et ranger les bacs de provisions. La dernière étape avant d’aller se coucher : ramener le camion au local de sa délégation et le nettoyer. Mais le moral est intact. Il fait froid certes, mais chacun sait qu’il va retrouver son lit.

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