La vie des studios de Bry est à l’image des histoires qui y sont tournées, pleine de rebondissements, suspense, frayeurs, colères… Encore début mars, les associations de décorateurs et le maire de Bry ont failli s’étouffer
à la lecture de l’entretien accordé au journal Le Moniteur par Alain Dinin, le président de Nexity. Au détour du dernier paragraphe, le promoteur qui a racheté les studios en juillet 2017 au précédent investisseur Nemoa, expliquait avoir acheté ce terrain de Bry-sur-Marne “en accord avec le maire”, y évoquait la présence “d’anciens studios de cinéma” et se projetait dans le développement “d’un projet de 140 000 m²“, précisant qu’il travaillait “actuellement sur de l’aménagement urbain, comprenant des équipements publics”, sans faire mention d’une quelconque activité cinéma. De quoi donner l’impression que les studios étaient déjà désaffectés et qu’il s’agissait là de reconvertir une friche industrielle. Immédiatement, l’association des chefs Décorateurs de Cinéma (ADC) et l’Association des Métiers Associés au Décor (AMD), qui veillent sur les studios comme du lait sur le feu, ont réagi en publiant un communiqué pour “rectifier cette désinformation“, rappelant que ces studios existent toujours bel et bien et que cette “usine à rêves” reste “fort jeune au regard des mythiques studios de Cinecittà (1937), Pinewood (1936), ou Babelsberg (1911)“.
A noter : ce mercredi 14 mars, a été mis en ligne le documentaire de Sabine Chevrier : Main basse sur les Studios de Bry, qui retrace l’histoire des studios et le combat des artistes pour les conserver.
Le maire divers droite de Bry-sur-Marne, Jean-Pierre Spilbauer, a aussi vu rouge et réclamé des explications et un démenti, rappelant n’avoir jamais donné son accord sur ce rachat. “Depuis, j’ai reçu une lettre du promoteur indiquant que ses propos avaient mal été retranscrits“, assure l’élu qui promet de publier le courrier dans les prochains jours. En janvier, l’élu avait en effet annoncé lors de ses voeux que les terrains, désormais propriété de Nexity, verraient la reconstruction complète des studios dans le cadre d’un nouveau projet sur le thème du cinéma. Concrètement, les studios, physiquement situés à Villiers-sur-Marne, seraient reconstruits dans un premier temps à l’identique et même un peu plus grands, sur la partie du terrain située à Bry-sur-Marne, les actuels studios seraient ensuite démolis pour accueillir des entreprises du cinéma. L’édile avait précisé que Nexity avait confié une étude à Éric Garandeau, ancien président du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), pour évaluer les modalités de développement de ce grand pôle de développement économique autour du cinéma. Voir l’article de l’époque.
Depuis, le discours du maire n’a pas changé. “De toutes façons, le PLU de Bry-sur-Marne ne permet pas de construire autre chose que de l’activité économique et celui de Villiers-sur-Marne autorise juste une résidence étudiante ou de tourisme. Il n’est donc pas question de faire du logement sauf à changer le PLU, ce qui appellerait une enquête publique et un processus très lourd. Nexity l’a bien compris“, prévient le maire.
Des studios pollués et qui ne sont plus aux normes
Du côté des artisans qui peuplent ce temple du cinéma, on s’interroge néanmoins sur la nécessité de détruire des studios qui tournent actuellement à plein régime pour les reconstruire à côté. “Il y a énormément de pollution et de présence de produits dangereux comme du plomb, voire de l’amiante“, répond sur ce point le maire de Bry. L’étude en cours pourrait justement déterminer s’il est jouable de conserver l’existant en y effectuant de lourds travaux de réfection ou préférable de le reconstruire complètement laisse entendre l’élu. “Cela fait un moment que les studios ne sont plus aux normes et que les commissions de sécurité qui passent ne donnent pas les agréments pour la continuation d’activité. On s’arrangeait pour que les activités se fassent quand même mais il y a un problème de mise aux normes, confirme Jacques-Alain Bénisti, maire LR de Villiers-sur-Marne. C’est pourquoi Nexity a proposé de reconstruire en premier les studios à côté et de mettre à la place des entreprises qui vont partir de Saint-Denis à l’occasion des Jeux Olympiques. C’est une opportunité importante de développer un pôle économique autour de l’image et des professions sous-traitantes“, motive l’élu.
Un vaste pôle de développement, des deux côtés de l’A4 ?
Depuis le Mipim (salon de l’immobilier international qui se tient en ce moment à Cannes) où il présente son grand projet Marne Europe avec l’EpaMarne, l’édile est confiant dans le devenir de ce pôle de l’Est parisien, qui imagine déjà un bras de ville au-dessus de l’A4 pour relier ce nouveau quartier situé près d’Ikéa au pôle des Studios de Bry et de l’Ina. “Marne Europe est le projet qui suscite aujourd’hui le plus de visites et d’attractivité. J’ai passé la journée à voir défiler les grands investisseurs internationaux, particulièrement les Asiatiques, qui veulent investir dans le projet et nous aimerions créer une liaison entre les deux sites pour les valoriser de manière harmonieuse. Il y a déjà une passerelle de prévue, et si le projet se développe de manière importante, il faudra même envisager une couverture de l’autoroute pour relier les sites de nos deux communes”, se projette l’élu qui ajoute que cela s’est déjà fait tout autour de Paris et encore aujourd’hui au-dessus du périphérique avec le projet 1000 arbres. “Les grands projets Inventons la Métropole qui étaient situés au Nord sont reportés de cinq ans en raison du décalage du Grand Paris Express. Les investisseurs se focalisent donc aujourd’hui particulièrement autour de la ligne 15 Sud”, motive encore Jacques-Alain Bénisti. Quid du logement sur le terrain des Studio ? “S’il reste de la place“, note l’élu.
De l’ORTF à Nexity…
Pour rappel historique, les Studios de Bry (en réalité situés à cheval entre Villiers et Bry), créés par la SFP dans les années 1980 suite à l’éclatement de l’ORTF, et repris par Euro Media Group en 2001 (lire article récapitulant l’historique), avaient été vendus en 2014 à un investisseur immobilier, la société Nemoa, avec une clause de non concurrence empêchant la poursuite d’activités liées à la production cinématographique au-delà de la période d’exploitation prévue dans le bail afin de ne pas faire de concurrence avec d’autres studios d’Euro Media, notamment au sein du pôle cinéma de Saint Denis. A l’époque, les maires des deux communes avaient tenté de préempter le terrain pour éviter qu’il ne fasse l’objet de spéculations immobilières et le dossier avait été presque jusqu’au bout mais le maire de Villiers n’avait finalement pas suivi. “Il faut avoir les fonds pour pouvoir préempter et la ville ne les avait pas. Le potentiel fiscal et financier de Villiers est aujourd’hui l’un des plus faibles du département”, indique le maire de Villiers. La réplique, finalement, viendra des professionnels eux-mêmes car les Studios de Bry ne manquent pas de clients et ils sont particulièrement appréciés des décorateurs en raison des larges espaces à disposition pour construire sur place les décors à côté des plateaux, ainsi que pour leurs espaces de reconstitution en extérieur (les backlots). Dès juin 2014, les associations de décorateurs lancent une pétition, soutenue par des artistes. En parallèle, les élus locaux se battent sur plan des règles d’urbanisme en s’appuyant sur leur PLU (plan local d’urbanisme) pour freiner les ambitions de l’investisseur. Après des mois de négociations avec ce dernier mais aussi avec Euro Media pour mettre fin à la clause de non concurrence, une issue est trouvée en mars 2015 avec la reprise de l’exploitation par le groupe Transpalux, qui connaît déjà les studios. Depuis, l’activité a repris, dans un contexte général propice à l’activité cinéma en raison de la mise en place en France d’un crédit d’impôt comparable aux pays voisins, début 2016, qui a ralenti l’hémorragie des tournages ailleurs, en Belgique notamment. Jusqu’à cet été 2017 où c’est cette fois Nexity, l’un des ténors de la promotion immobilière, qui s’offre le terrain. Cette fois, même pas possible d’envisager une préemption, même au-delà de la question financière, car le promoteur a directement racheté les parts de Nemoa pour mettre la main sur les terrains. Commencent alors de nouvelles discussions jusqu’aux annonces de janvier 2018 et à l’interview un peu contradictoire de mars 2018. Les défenseurs des studios, eux, sont prêts pour la saison 2.
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