Le parquet de Créteil a requis ce jeudi six mois de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende contre l’entrepreneur qui avait ouvert un coffee-shop à Saint-Maur-des-Fossés pendant une dizaine de jours en juin. A l’époque, une vague d’échoppes promettant de vendre du cannabis light avait déferlé en France, en s’appuyant sur la législation qui autorise la commercialisation d’un cannabinoïde, le cannabidiol (CBD), sous certaines conditions, et que l’on trouve du reste aujourd’hui dans de nombreuses boutiques de e-cigarettes, comme une niche marketing supplémentaire.
Plusieurs coffee-shop avaient toutefois interprété la loi de manière erronée en vendant un autre cannabinoïde, le THC, qui reste lui strictement interdit.
“Nous savions que c’était borderline, mais à cette époque, tout est allé très vite, nous n’avons pas fait les choses comme il fallait”, reconnaît le jeune homme de 26 ans. Voulant surfer sur une vague qu’il espère lucrative, Benjamin prend conseil auprès de connaissances lui assurant qu’il ne risque rien. Et en quelques semaines, il décide de transformer son garage où il vend des véhicules qu’il répare, en coffee shop. La boutique ouvre le 18 juin. A cette date, des coffee-shop ont ouvert un peu partout en France, dont certains interprètent à leur manière la loi qui autorise l’exploitation et commercialisation de cannabidiol (CBD), un cannabinoïde végétal. Celui-ci est autorisé à la triple condition qu’il provienne d’une variété de chanvre autorisée, qu’il ne vienne pas de la fleur mais uniquement de la graine ou de la fibre, et que la plante dont il est issu présente un taux de THC inférieur à 0,2%. Le produit commercialisé ne doit en revanche pas contenir du tout de THC (delta-9-tétrahydrocannabinol, autre cannabinoïde présent dans le chanvre qui reste interdit quelque soit sa quantité). Une autorisation tout en nuances, dont le détail de l’interprétation échappe à certains vendeurs qui confondent les 0,2% maximum de THC de la plante et celle du produit commercialisé lui-même. De leur côté, les autorités ne réagissent pas non plus immédiatement, ce qui pour certains est interprété comme un feu vert. La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la Mildca, publie du reste une note pour mettre les points sur les i, le 11 juin 2018.
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Pour démontrer sa bonne foi, le vendeur de Saint-Maur évoque sa campagne de communication à grand renfort de feuilles de cannabis sur des affiches disposées rue du Pont à Saint-Maur-des-Fossés, devant son commerce, et sur des flyers distribués aux abords des stations de RER. “Des policiers sont même venus faire des contrôles et n’ont rien trouvé à dire, si ce n’est de nous faire quelques remarques pour mieux sécuriser les accès du magasin et éviter d’être volé”, poursuit-il. Des indices auraient auraient pourtant pu mettre le gérant sur ses gardes comme lorsque le colis de cannabidiol qu’il se fait expédier d’une entreprise suisse, où ces produits sont légaux, est intercepté par la douane. Mais pour contourner l’obstacle, l’entrepreneur se rend alors lui-même en Suisse, en voiture, pour acheter la marchandise. “La-bas, le commercial nous a assuré que le produit respectait le taux de 0,2% de THC et nous avons reçu des certificats d’authenticité qui l’attestaient”, justifie-t-il. Problème, lorsque la police débarque et perquisitionne la boutique, le domicile du gérant et celui de l’un de ses vendeurs, plusieurs centaines de gramme de cannabis sont retrouvées et les produits dépassent les 0,2% de THC (au-delà donc du taux déjà interdit officiellement). A cela s’ajoute l’absence d’autorisation administrative et la vente de sommités florales (partie aérienne d’une plante verte), strictement interdites. Benjamin, le gérant, et Thomas, l’un des vendeurs, se retrouvent poursuivis pour détention non autorisée, transport non autorisé, offre, acquisition, usage illicite de stupéfiant et provocation à l’usage de stupéfiants.
“Il faut tordre le cou à cette légende du flou juridique”
“Il faut que nous tordions le cou à cette légende du flou juridique. Il ne doit plus y avoir d’équivoque et ce cas va permettre à la Justice de faire entendre sa position. Ils nous ont expliqué qu’ils avaient surfé sur un effet de mode mais ils ont surtout voulu faire de l’argent en exploitant les addictions, la détresse, la faiblesse”, a insisté le procureur requérant la condamnation de Benjamin à 6 mois de prison avec sursis et 30000 euros d’amende. Deux mois de prison avec sursis ont été requis contre son vendeur.
La législation contraignante sur la vente de CBD est-elle compatible avec le droit européen ?
Les avocats des deux prévenus ont plaidé la relaxe de leurs clients affirmant qu’ils n’avaient pas eu l’intention de commettre une activité illégale. “Des juges de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le mois dernier ne sont pas parvenus à apprécier la nature illégale du CBD dans une affaire similaire. Ils ont fait appel à la Cour de Justice de l’Union Européenne. Comment deux citoyens arriveraient-ils à apprécier la législation quand des magistrats n’y arrivent pas ? Je rappelle également que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn avait également parlé de zone grise du droit autour de cette activité”, a motivé Me Cohen. En octobre en effet, dans une affaire similaire, la Cour d’appel a estimé que la loi française pourrait être incompatible avec le droit européen, en entravant la libre circulation des produits du chanvre alors que l’Organisation mondiale de la santé a recommandé de retirer le CBD de la liste des produits dopants. Voir article sur ce sujet dans Le Monde. Voir aussi la mise au point de l’OMS sur le sujet.
Au palais de justice de Créteil, la décision a été mise en délibéré au 24 janvier 2019.
Une nouvelle niche marketing affriolante
En attendant, le CBD aromatisé à l’ananas ou autre fruit continue de tracer sa route dans les magasins de e-cigarette, constituant une nouvelle niche marketing un peu émoustillante avec des noms parfois très évocateurs, comme Marie-Jeanne, ou de jolies feuilles de cannabis sur le packaging, même si en réalité, la quantité de CBD est très faible et que le principal ingrédient reste le propylène glycol. “C’est surtout un effet placebo mais il y a des fumeurs de cannabis pour qui cela marche très bien“, confie un vendeur.
Pas sûr toutefois que Benjamin ne se relance sur le filon. “Au final j’ai plus perdu de sous dans cette histoire que je n’en n’ai gagné”, témoigne-t-il. Depuis l’affaire, il a repris son activité d’achat-revente de véhicules mais son garage n’est pas complètement utilisable à cause des scellés posés lors de l’enquête de police.
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