Si l’hémicycle était parsemé au moment du vote de l’article autorisant la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), le débat n’en a pas moins été nourri et le scrutin divisé. A en revanche été voté à l’unanimité un amendement permettant aux collectivités territoriales d’entrer dans le capital. Pour ces dernières, l’enjeu est d’avoir son mot à dire. Retour sur le débat et ses enjeux nationaux et locaux.
Précisément, la loi adoptée en première lecture dans la nuit de mercredi à jeudi (qui doit être ensuite votée au Sénat) prévoit de permettre à l’Etat de céder sa participation majoritaire (50,6%) dans ADP, tout en récupérant ses actifs (l’ensemble du foncier et des installations) et en fixant un terme à l’exploitation des aéroports de la région à 70 ans alors que la durée est aujourd’hui illimitée. En contrepartie, l’Etat dédommagera ADP en deux temps, à l’entrée en vigueur de la loi puis dans 70 ans. Au-delà des aéroports de Roissy, Orly et le Bourget, ADP possède 10 aérodromes en Ile-de-France ainsi que l’héliport d’Issy-les-Moulineaux, mais aussi des participations dans des groupes aéroportuaires internationaux, notamment dans Schiphol Group (Amsterdam) lequel détient aussi 8% d’ADP, et dans TAV (Istanbul). Le groupe évolue de ce fait parmi les gros opérateurs mondiaux avec 20% de son CA hors de France. Il compte en outre dans son capital un autre poids-lourd international du secteur, Vinci, également à hauteur de 8%. En croissance constante, ADP a réalisé 0,57 milliard d’euros de résultat net en 2017 pour un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros. Alors que la valorisation d’ADP tourne autour de 18,7 milliards d’euros, les 50,6% de l’Etat représentent une somme non négligeable que le gouvernement prévoit de réinvestir pour contribuer au désendettement de l’Etat et pour financer un fonds d’innovations de rupture pour développer l’économie.
Débat en séance : enjeux stratégiques, économiques et sociaux
Dans l’hémicycle, le débat a porté essentiellement sur les enjeux stratégiques, financiers, économiques et sociaux. Plusieurs députés ont fait un parallèle avec la privatisation des autoroutes qui a surtout bénéficié aux concessionnaires, notant la pleine santé d’ADP et s’interrogeant sur l’intérêt de vendre le capital au lieu de percevoir sur le long terme des dividendes toujours plus généreux. “Cette entreprise est particulièrement prospère économiquement : ces cinq dernières années, le cours de son action est passé de 74 à 193 euros. Elle représente près de 5 % du PIB régional, 1,4 % du PIB national. ADP génère 8 % des emplois régionaux et 2,2 % de l’emploi national. ADP représente donc un actif particulièrement important pour l’État, qui a perçu plus de 1,1 milliard d’euros de dividendes entre 2006 et 2016. De plus, en 2017, ADP a été le point d’entrée sur le territoire de plus de 100 millions d’individus. À horizon 2030, ADP constituera le premier aéroport européen. La litanie s’arrête ici mais nous pourrions la poursuivre sans peine. Voilà ce dont vous voulez vous débarrasser : un groupe en pleine santé économique et dont l’importance stratégique n’échappe à personne”, observe ainsi Stéphane Peu (PCF). “Dans les conclusions de sa réunion de Sydney du 4 juin dernier, l’Association internationale du transport aérien – IATA – évoque la privatisation des aéroports, déclarant qu’il ne faut pas faire passer la perspective d’un gain financier à court terme avant les intérêts de l’économie et du consommateur, et s’opposant ainsi à la privatisation“, renchérit Daniel Fasquelle (LR). “C’est artificiellement que vous réduisez la dette de la France en la privant d’une part de son patrimoine. Comptabilité superficielle et court-termiste !“, lâche encore Dominique Potier (PS).
L’autre grande réserve concerne l’aspect sensible de ces lieux en termes d’accès au territoire national et de sécurité. “L’État conservera bien sûr son pouvoir régalien, notamment son pouvoir de police et son pouvoir douanier – un aéroport est une frontière –, mais Aéroports de Paris n’en est pas moins un actif extrêmement sensible“, insiste Eric Woerth, député LR, notant que beaucoup d’aéroports mondiaux sont majoritairement détenus par les Etats ou collectivités locales.
“Cette cession de parts permet de financer l’innovation de rupture, c’est-à-dire les technologies du futur, comme l’intelligence artificielle, le stockage d’énergie ou la robotique. Nous faisons le choix d’investir dans l’avenir, mais nous ne voulons pas que, dans dix ans, nos entreprises dépendent totalement de technologies chinoises et américaines et de brevets et licences extérieurs à l’Europe, ce qui affaiblirait considérablement notre souveraineté“, répond Guillaume Kasbarian (LREM). Un argument faible pour Charles de Courson (Les Centristes) qui défend pourtant le projet, mais pour des raisons de positionnement stratégique d’ADP. “La privatisation d’ADP est nécessaire, mais pas pour la raison que le gouvernement avance – abonder le fonds pour l’innovation de 10 milliards d’euros. C’est un très mauvais argument parce qu’on pourrait vendre autre chose : un peu d’EDF ou que sais-je encore. Il est nécessaire de privatiser ADP parce qu’il est désormais un groupe international, ce qu’il n’était pas en 2005. Il a racheté la plateforme Atatürk à Istanbul, s’est allié avec Schiphol à Amsterdam. Mes chers collègues, ouvrons les fenêtres : les plateformes aéroportuaires n’ont pas d’avenir dans un cadre national. Il faut créer des réseaux de plateformes, notamment en Europe, et si possible autour des trois grandes compagnies aériennes que sont Air France-KLM, DHL et British Airways puisque tout est en train de se réorganiser autour de ces trois pôles en Europe. L’Etat est-il capable d’apporter des fonds propres à ADP pour permettre ce développement international ? La réponse est non”, lance l’élu.
Bruno Le Maire rappelle de son côté qu’il ne s’agit pas simplement de donner pas les clefs des aéroports mais de créer une concession limitée dans le temps. “Nous ne privatisons pas sèchement ADP. (…) Nous mettons en place un nouveau régime d’exploitation d’ADP, avec un système de type concessionnaire sur soixante-dix ans et un cahier des charges contraignant, comprenant notamment le strict maintien des missions de service public et une régulation des tarifs sous le contrôle de l’État, qui sera décidée tous les cinq ans”, insiste le ministre de l’Economie.
Beaucoup de questions aussi : faut-il vendre tout ou partie de la participation de l’Etat ? quel dédommagement est prévu auprès d’ADP dans le cadre de la limitation de concession ? A qui vendre ? Comment précisément sera mis à profit l’argent récupéré? Quel cahier des charges d’exploitation ? Quelles conséquences pour les 9000 salariés ? Pour les millions d’usagers ? Les centaines de milliers de riverains ?
Finalement, c’est avec 112 députés dans l’hémicycle que l’article est voté à raison de 79 voix pour, 29 contre et 4 abstentions.
Les collectivités unanimement hostiles à la privatisation
Autour d’Orly, la nouvelle est fraîchement accueillie. Autour de l’aéroport, les villes et le département ont déjà fait connaître leurs réserves sur le sujet. “Nous sommes inquiets. L’Etat est garant de la protection des populations et c’est une forme d’abandon du régalien”, réagit Didier Gonzales, maire LR de Villeneuve-le-Roi. Le maire, qui dénonce régulièrement les nuisances de l’aéroport d’Orly, en partie installé sur la commune, avait déjà fait voter un voeu en décembre dernier pour s’opposer à cette privatisation, réclamant au passage que soit gravé “dans le marbre de la loi” la limitation des atterrissages et décollages et une extension du couvre-feu. Même méfiance dans la ville d’Orly même, laquelle a aussi voté un voeu en février, craignant notamment que le retour sur investissement prime sur le développement et l’amélioration des plateformes et s’inquiétant également du respect des limitations de mouvements et du couvre-feu. Voir le voeu. Refus également du département qui a lui aussi voté un voeu à l’unanimité contre la privatisation en février. “La privatisation n’est pas la dérégulation, rappelle de son côté Laurent Saint-Martin (LREM), seul député du Val-de-Marne avec Frédéric Descrozaille à être resté dans l’hémicycle à l’heure très tardive du vote. Si je n’avais pas eu les garanties du maintien des créneaux à 250 000 par an et du couvre-feu de 23h30 à 6h, je n’aurais pas voté l’article 44.”
Impossible d’inscrire couvre-feu et créneaux dans la loi mais garantie du ministre
Le député de la 3ème circonscription -celle d’Orly- indique par ailleurs avoir déposé deux amendements pour inscrire dans la loi le couvre-feu et les créneaux mais ceux-ci n’ont pu être retenus car ces question relèvent du domaine réglementaire. Le ministre de l’Economie, après avoir répondu au député que ce-sont les cris de son futur bébé qui le réveilleront plus que le bruit des avions (ce à quoi à un député a répondu que le bébé pourrait aussi être réveillé par les avions…), s’est engagé à ce que ces règles soient confirmées par voie réglementaire. Actuellement, la limitation des créneaux fait l’objet d’un arrêté ministériel. Le ministre a ajouté que “le nombre de passagers a explosé au cours des dix dernières années, mais le nombre de mouvements est resté stable, précisément parce que les compagnies ont employé davantage d’avions gros-porteurs, et elles ont prêté attention à ces problèmes. La technologie permet de réduire le bruit – Airbus en particulier y travaille beaucoup.”
Voir l’échange en séance
Ouverture du capital aux collectivités locales
Dans ce débat divisé, un amendement a fait l’unanimité, celui déposé par le député Modem Jean-Louis Bourlanges permettant aux collectivités territoriales d’Ile-de-France et de l’Oise et à leurs groupements d’entrer également au capital d’ADP – comme cela est possible en région. Cette possibilité avait été demandée par les sept départements de banlieue de la région au printemps dernier, lesquels avaient été reçus au ministère de l’Economie. Pour les collectivités riveraines, l’enjeu est celui de la gouvernance. Il ne s’agit certes pas d’investir des sommes qu’elles n’ont pas mais d’avoir leur mot à dire pour représenter les intérêts des territoires et des populations. En répondant aux demandes d’amendements de Laurent Saint-Martin, Bruno Le Maire a du reste laissé entendre qu’il comptait sur elles. “Nous n’avons pas eu, c’est vrai, l’occasion de parler beaucoup des riverains. La participation des collectivités locales au capital d’ADP permettra aussi de prendre en considération ces aspects“, a pointé le ministre. Il s’agit aussi de veiller aux conséquences de la privatisation sur la valorisation du foncier, très important dans l’enceinte de l’aéroport et qui bénéficie directement des infrastructures de transport (du Grand Paris Express au tramway T7 en passant le bus à haut niveau de service) en partie financés par les collectivités. Jusqu’à présent, seules les maires de Paris et d’Orly en font partie, à titre consultatif. Voir le détail du CA d’ADP. Les autres communes sur les quelles l’aéroport a ses emprises n’ont pas voix au chapitre. “Nous, nous n’avons le droit qu’aux nuisances”, commente Didier Gonzales, dénonçant un dispositif historiquement injuste. Reste désormais à organiser concrètement cette représentativité des collectivités dans le Conseil d’administration.
Liens utiles
Voir le projet de loi Pacte (la privatisation d’ADP concerne l’article 44)
Voir l’étude d’impact de cette loi Pacte
Voir la discussion sur l’article 44 en séance
Voir la discussion sur l’amendement Bourlanges
Voir le détail du scrutin
A lire aussi :
Les nationalisations et leurs contraires les privatisations sont des décisions purement idéologiques. Les privatisations n’ont qu’une seule finalité : transférer les bénéfices au privé, considéré par les libéraux comme le seul moteur de la société. Se priver de ces bénéfices alors que l’état est surendetté est une décision étrange, et on en a vu l’exemple avec les autoroutes.
Au delà de l’attribution des bénéfices, ce qui compte c’est la définition de la (des) mission(s) de service public imposée par l’état, des moyens de contrôle associés, de la volonté de les faire respecter (sur 70 ans !!! ) et des mesures de rétorsion contractualisées en cas de non respect.
Si la volonté de faire des bénéfices à court terme l’emporte (ce qui est l’objectif de la finance internationale actuelle) alors il y aura moins d’investissements, des conditions d’exploitation qui se dégraderont, et finalement une sécurité moindre. Et au final ? l’appel aux pouvoirs publics pour une aide financière …
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