“La construction de la cité des 4000 à La Courneuve en 1956 s’est déroulée à 8 km du Café de Flore, et Sartre n’a rien dit”, voilà quelques unes des punchlines de Roland Castro, l’architecte urbaniste missionné cet été par le président de la République pour réveiller la pensée sur le Grand Paris.
“Jean-Paul Sartre a refusé le Prix Nobel en 1964 pour dénoncer l’Apartheid en Afrique du Sud et n’a par ailleurs rien vu de ce que par un excès de langage on appellera en France « l’apartheid urbain ». Le silence de l’auteur des Mots et d’autres intellectuels comme Albert Camus, c’est le silence de la pensée sur le visible“, poursuit l’urbaniste qui a réfléchi à la banlieue aux côtés de tous les présidents depuis Mitterrand en 1981.
Alors que l’un des enjeux de cette mission concerne l’arbitrage institutionnel entre les différents échelons de gouvernance de la métropole, celui qui se définit comme un “artiste égaré en politique urbaine“, s’est bien gardé de tomber dans le panneau, invitant à s’extraire de “l’obsession de la gouvernance” et préférant se nourrir de ses échanges avec les élus, acteurs de la ville, et contributions d’artistes pour rêver ce qu’il a rebaptisé le “Paris en grand“.
“Le beau respecte. Le beau pacifie. Le beau rapporte. Plus c’est moche, moins on vote. Plus c’est moche, moins on étudie. Plus c’est moche, moins on bosse“, envoie le missionné en préambule. Nostalgique du plan Prost des années 1930, jamais mis en oeuvre, l’enquête publique s’étant achevée à la veille de la seconde guerre mondiale, Roland Castro estime qu’aucun plan n’a depuis su penser Paris dans son agglomération, avec ses mobilités, sa densité et ses liens entre ville et nature, et qualifie de “catastrophe urbaine” les réalisations des années 1960, notamment les grands ensembles, mettant en cause le principe du zonage urbain (habiter/travailler/récréer/circuler) cher à Le Corbusier, la disparition du département de la Seine (qui correspondait grosso modo à l’actuelle Métropole du Grand Paris) qui a “divisé la solidarité existante entre Paris et sa banlieue” et encore les villes nouvelles, surgies sans suffisamment de réflexion. “Évry est posé dos à la Seine sur une parcelle d’un seul tenant appartenant à M. Pastré (pratique !). Aucun auteur de ville ne participe à la réflexion qui est seulement technocratique et administrative“, cite ainsi l’architecte. Pour en finir avec les grands ensembles, Roland Castro préconise en revanche sur réflexion sur le remodelage plutôt que la démolition-reconstruction, insistant sur la nécessité de travailler les passages pour éviter les quartiers impasses, et de penser les nouveaux projets urbains et les reconversions de l’existant en quartiers de ville complets avec commerces, logements et bureaux. Des propositions qui correspondent à de nombreux projets en cours et à la pensée urbaine d’aujourd’hui et que l’urbaniste veut accélérer en supprimant un certain nombre de contraintes.
Construire en zone inondable, au bord des autoroutes, à côté des aéroports…
Ainsi enjoint-il à “libérer les rez-de-chaussée” et légiférer pour pouvoir y installer commerces et artisanat, sans “trop” de réglementation. De même estime-t-il obsolète les règles d’écartement des bistrots par rapport aux établissements scolaires, pointant que les meilleurs lycées parisiens sont situés dans des quartiers remplis de cafés. Hostile au zonage, l’architecte s’inquiète également des conséquences des plans d’exposition au bruit (PEB) qui figent certains secteurs proches des aéroports, considérant que “le dispositif de PEB qui unit la taxe aux constructions existantes est complètement pervers”. Idem pour les constructions dans les zones inondables en bord de la Seine, pour lesquelles il indique que “des manières innovantes de construire permettent de gérer les débordements sans y faire obstacle.” Toujours dans le même esprit, l’urbaniste veut pouvoir construire en bordure d’autoroute, considérant que cela accélérera leur mutation en boulevards urbains. Invitant Etat, villes et société civile à chacun prendre leur part (voir schéma ci-dessous), l’urbaniste conclut par une balade en sept mouvements dans les méandres de la métropole.
Des ministères en banlieue
Pour donner à voir son Paris en grand, Roland Castro imagine aussi des lieux emblématiques, comme des “cathédrales modernes” et laïques qui accueilleront des cérémonies de naturalisation, des Champs Elysées au Bourget, un MIN de Rungis transformé en quartier mixte et ouvert… et aussi l’installation de ministères en dehors du périphérique, plaçant par exemple le ministère de l’Intérieur à Bobigny et celui de la Culture à Vitry-sur-Seine. Où précisément ? L’urbaniste ne le suggère pas, mais il y a encore de la place le long de la Seine…
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Quand on voit que les ministères des armées et de la transition écologique et solidaire ne lâchent même pas leurs hôtels de ministre situés dans les arrondissements centraux pour se réunir avec leurs services à Balard ou la Défense, il n’y a malheureusement aucune chance, dans un futur prévisible, de voir un ministère en banlieue, et qui plus est en banlieue populaire.
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