Vendredi 31 mai, la panne électrique de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine n’a duré que quelques minutes mais s’est illustrée par des fumées noires qui ont suscité l’émoi. De quoi relancer le débat sur l’urgence de reconstruire le centre ou de le supprimer. Explications techniques et conclusions opposées.
Pour faire tourner l’usine d’incinération d’Ivry-sur-Seine, qui représente 38% des capacités de traitement du Syctom, le syndicat intercommunal en charge des déchets ménagers de 84 communes de l’agglomération parisienne, l’électricité est générée par une turbine à vapeur. A l’occasion d’un test de sécurité annuel de cette turbine, ce vendredi matin, le système a planté, occasionnant une panne générale d’électricité qui a conduit, par principe de précaution pour éviter une intoxication à l’intérieur du centre, à relâcher dans l’atmosphère des fumées non traitées. Pendant quelques minutes, une fumée noire est sortie des cheminées, au lieu des habituelles volutes blanches. Pour relancer l’approvisionnement électrique, l’ensemble des installations a été rebranché sur le réseau électrique externe, mais cela a pris quelques minutes. «L’usine étant assez âgée, elle n’est pas dotée de tous les automatismes comme les centres d’incinération les pus récents et il y a encore beaucoup de manivelles à actionner», explique Pierre Hirtzberger, directeur général des services techniques du syndicat intercommunal. Au total, 7 minutes se sont ainsi écoulées avant que les fumées blanches ne reprennent leurs droits au-dessus d’un centre. Un incident rarissime, qui s’était produit la dernière fois en octobre 2011.
Le test n’ayant pas fonctionné, une seconde tentative a été opérée à 12h10, pour reconnecter la turbine à vapeur au centre et lui permettre de fournir à nouveau l’électricité. En vain, il a fallu à nouveau rebrancher le centre au secteur, ce qui a à nouveau pris quelques minutes. Depuis, l’usine a repris un fonctionnement normal mais avec l’électricité du réseau externe et non celle générée par sa turbine. Un manque à gagner qui se chiffre à près d’une centaine de milliers d’euros sur un mois. D’où la recherche active de dysfonctionnement pour rebrancher au plus vite la turbine.
Concernant le surplus de rejets de fumées toxiques lié à cet incident, on assure au Syctom que, lissé sur l’année, le delta sera invisible. Alors que la reconstruction du centre d’incinération d’Ivry Paris 13, fait l’objet d’une controverse depuis des années entre les écologistes et associations de riverains d’un côté, élus locaux en charge du Syctom de l’autre, cet incident n’a pas manqué de relancer le débat. Pour rappel, la reconstruction de ce centre, dans les cartons depuis 2004, prévoit une réduction de moitié de la capacité de traitement par incinération (de 730 000 à 350 000 tonnes par an) en parallèle de la valorisation d’une partie des déchets en séparant la matière organique pour traiter séparément les bio-déchets. Après avoir l’objet de concertations et enquêtes publiques, le projet a obtenu son autorisation d’exploiter et son permis de construire mais ces derniers ont été attaqués au Tribunal administratif par Zéro Waste France et le Collectif 3 R qui remettent en question l’impact annoncé de l’activité sur la pollution au dioxyde d’azote (NO2) et dénoncent un non respect de l’article 70 de la Loi de Transition énergétique pour la croissance verte de 2015 qui a fixé comme objectif d’orienter 55 % des déchets non dangereux non inertes vers des filières de valorisation d’ici à 2020 et 65 % d’ici à 2025. Le sujet fait partie des principaux dossiers clivants au sein de la majorité locale et devrait s’inviter largement dans la campagne des municipales. Le scrutin des élections européennes a déjà annoncé la couleur, faisant d’Ivry-sur-Seine l’une des trois villes du département où EELV est arrivé en tête, avec 20,39% des voix.
D’un côté, les écologistes plaident pour une non reconstruction encourageant une réduction drastique de la production de déchets. De l’autre, le maire, Philippe Bouyssou (PCF) défend la responsabilité de continuer à assurer la gestion des déchets sans prendre le risque d’envoyer les surplus ailleurs, dans des décharges à ciel ouvert. Au cabinet de la présidence du Syctom, on s’inquiète par ailleurs de la capacité de l’agglomération à atteindre les objectifs de réduction des déchets pour s’adapter à la réduction de capacité future du centre.
Lire le dernier article relatif au débat sur ce sujet :
Incinérateur d’Ivry-sur-Seine: Zero Waste France et le Collectif 3R attaquent en justice
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Au lendemain de l’incident électrique survenu au centre, les écologistes ont immédiatement réagi. «Pour nous c’est l’incident de trop ! Alors que le Syctom veut nous imposer la reconstruction du «superincinérateur» à 2 milliards d’euros, il est incapable de nous donner la teneur précise des rejets atmosphériques que nous observons. Nous rappelons que l’incinération rejette en permanence des milliers de polluants même lorsque les fumées sont blanches. Pourtant seules quelques dizaines sont réglementées et contrôlées. Nous avons obtenu à l’unanimité du conseil municipal d’Ivry la mesure, par le Syctom, des polluants dits émergents comme les dioxines et les furanes. Nous attendons sa mise en place effective. Nous avons aussi approuvé la demande de création d’un institut Eco-citoyen de contrôle des pollutions (sur le modèle de celui de Fos-sur-Mer) par la Mission d’Information et d’Evaluation Municipale, le mois dernier», rappellent les responsables EELV d’Ivry-sur-Seine, Romain Zavallone, et d’EELV 94, Sabrina Sebaihi.
Une nouvelle consultation municipale sur le projet
Ces derniers entendent largement mobiliser alors qu’une consultation citoyenne sur le projet de reconstruction de l’usine organisée par la ville le 29 juin, qui sera relayée sur Internet du 17 au 24 juin. «L’incident d’aujourd’hui est une alerte. L’incinération est une technologie polluante, instable et dangereuse. A
ce projet nous préférons un centre de tri, de recyclage et de compostage qui pourrait traiter plus de 75 % du contenu actuel de nos ordures ménagères. La reconstruction de l’incinérateur d’Ivry est devenu inutile avec les avancées technologiques et les objectifs de recyclage des réglementations française et européenne», reprennent les responsables écologistes. Le maire, lui, a fait savoir qu’il était favorable à la réalisation rapide de la première tranche de la reconstruction de l’usine, concernant l’incinération à la moitié de sa capacité actuelle, mais pas, en l’état actuel, à la seconde tranche, qui concerne l’unité de valorisation organique liée à la méthanisation, dont le procédé est controversé (voir débat sur la question dans articles précédents de ce dossier). A noter que cette ultime consultation intervient alors que le projet a déjà obtenu toutes les autorisations et que les recours au Tribunal administratif ne sont pas suspensifs.
Le Syctom insiste sur l’urgence du projet
Au cabinet de la présidence du Syctom, on insiste en revanche sur le risque de voir se multiplier des incidents de ce type alors que l’usine, mise en service en 1969, est désormais «à bout de souffle et maintenue vaille que vaille à coup de millions d’euros pendant que s’éternise le débat sans fin sur sa reconstruction.»
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