Société | Val-de-Marne | 10/05/2019
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Violences conjugales: le quotidien du TGI de Créteil

Violences conjugales: le quotidien du TGI de Créteil © asiandelight

Au tribunal de Créteil, les affaires de violences conjugales se suivent à un rythme soutenu, nourrissant presque chaque semaine une partie des audiences en correctionnelle, des petits aux grands tabassages. Plus rarement, l’affaire relève des assises. C’est le cas cette semaine de T, ceinture noire de judo mais aussi expert en Jiu Jitsu, un art martial dont il a fait usage sans modération ce soir de mai 2017.  

Cette nuit là dans le bois de Vincennes où il avait entraîné son ex-compagne après l’avoir déjà étranglée à deux reprises en pratiquant le mata-leão, une technique d’étranglement, c’est sans doute l’arrivée inopinée d’un passant qui a sauvé K de la troisième strangulation. Ce mardi, dans le box des accusé, il répond poliment aux questions, les mains derrière le dos. Fonctionnaire à l’Ofpra, père présent, bénévole dans des associations sportives, cet homme de 53 ans est l’archétype de «monsieur tout le monde».

Malgré une séparation d’avec sa femme -dont il n’est pas formellement divorcé- et plusieurs histoires d’amour, il maintient un lien fort avec ses deux filles, nées de ce mariage. L’une d’elle, étudiante en droit, venue témoigner à la barre, décrit un père aimant et présent. «J’ai du mal à cr.. J’ai du mal à imaginer cette situation» souffle-t-elle. «Ce n’est pas un criminel. Ce n’est pas un meurtrier» insiste la jeune femme, désemparée.

Des sanglots dans la voix, l’accusé demande pardon à plusieurs reprises, à la victime, à sa famille et à ses proches.

Une histoire d’amour houleuse et « nocive »

Passionné de sport depuis l’enfance, Thierry maîtrise à haut niveau le Jiu Jitsu brésilien, un art martial dérivé du Judo. Lorsqu’il rencontre K en 2007, il donne des cours de Jiu Jitsu dans un club de Fontenay-sous-Bois. Ils entretiennent une relation pendant quelques mois avant de se séparer. Il partage ensuite sa vie avec une autre femme puis renoue avec K en 2013. Il s’installe alors chez elle mais la relation est houleuse. «Elle m’a mis à la porte à deux reprises» explique-il. Ils se séparent en mars 2017, une situation que l’accusé peine à supporter, persuadé que leur histoire a de l’avenir. Leur couple était «nocif», selon leurs entourages respectifs. Ce jour de mai 2017, les deux ex boivent un verre dans le petit studio où vient d’emménager T, à Fontenay. Lui refuse de rompre et considère qu’elle a eu des mots blessants. La situation dégénère et le prof d’art martial étrangle une première fois son ex-compagne, puis la ranime lorsqu’elle perd connaissance. Elle cherche alors à fuir, sort de l’appartement, et monte dans son véhicule. Alors qu’elle tente de démarrer, toutes portières ouvertes, il l’en empêche en l’étranglant à nouveau. Elle perd à nouveau connaissance et se réveille allongée par terre, dans le bois de Vincennes, alors qu’il l’étrangle pour la troisième fois. L’accusé nie cette troisième strangulation. L’arrivée inopinée d’un promeneur met fin au calvaire de la victime.

T, lui, explique avoir emmené son ex-compagne dans le bois de Vincennes pour qu’elle puisse «prendre l’air». Une explication qui ne tient pas selon l’un des policiers responsables de l’enquête, car le studio où se trouvaient les anciens amoureux borde le bois. «Il est déjà à côté du bois. Il cherche en fait à déplacer le véhicule de la victime, qui était devant chez lui» estime-t-il. «Je n’ai jamais voulu tuer. Jamais je n’aurais fait ça. Jamais» répète T. La fédération française de Jiu Jitsu rappelle pourtant que le mata-leão peut entraîner des blessures graves, voire provoquer la mort. Il est formellement interdit de maintenir la pression sur une personne ayant perdu connaissance. Des risques parfaitement connus d’un instructeur comme T. Le procès doit s’achever ce vendredi. L’accusé encourt jusqu’à 30 ans de prison.

Estelle, poignardée à mort

En septembre dernier, poignardée à 14 reprises par son compagnon dans son appartement de Champigny-sur-Marne, Estelle, elle, ne s’est pas relevée.

Au quotidien, les affaires de violences conjugales qui peuplent le tribunal n’ont pas de fins aussi tragiques, mais témoignent, par leur récurrence, d’un problème de société qui reste prégnant.

«Elle marque beaucoup madame la juge» 

Ce début 2019, au TGI, une jeune femme d’une vingtaine d’années, en jean moulant à paillettes et sweat rose, se tourne et se retourne sans cesse depuis les bancs en bois réservés au public, attendant l’audience dans une tension palpable. Dès le début du récit de son affaire, elle fond en larmes. Trois copines la tiennent par l’épaule et lui tendent régulièrement des mouchoirs. Le père de ses deux enfants s’en est violemment pris à elle lorsqu’il a découvert qu’elle reprenait la pilule en cachette. Après avoir trouvé une plaquette dans sa poche de manteau, il l’a frappée à coup de poings et de pieds.

L’accusé comparait libre. Son attitude désinvolte tranche avec celle de sa compagne, qui pleure silencieusement dans le public depuis près d’une demie heure. S’il reconnait s’être emporté, il nie la gravité des coups : «elle est toute mince madame la juge, si j’avais vraiment fait ce qu’elle prétend, je l’aurai cassée!» Quand la juge, agacée, brandit les photos des ecchymoses et des hématomes criblant le corps de la victime, il ne se démonte pas. «Elle a la peau fragile, elle marque beaucoup madame la juge.»

La victime refuse dans un premier temps de prendre la parole. Son avocate insiste, ses amies l’encouragent. Elle finit par se présenter à la barre. S’agrippant au pupitre, elle explique avoir déjà déposé -puis retiré- deux plaintes à l’encontre de son conjoint pour violence. Cette fois elle souhaite aller jusqu’au bout, et divorcer «pour les enfants».

Elle travaille et «fait tout à la maison». Lui est au chômage. Son salaire ne lui aurait pas permis d’élever un troisième enfant. Quand la juge lui demande pourquoi elle n’a pas averti son compagnon qu’elle souhaitait reprendre une contraception, elle s’effondre à nouveau, expliquant qu’il ne l’aurait pas laissée faire.

Dans cette affaire, les juges suivront les réquisitions du procureur, condamnant le conjoint à 15 mois de prison, dont 8 fermes. Le tribunal a assorti sa peine d’une obligation de soin, et lui a interdit d’entrer en contact avec la victime.

«Quand il ne boit pas c’est un autre homme»

Un peu plus tard, c’est un couple d’une quarantaine d’années dont il est question. L’homme comparait devant le Tribunal pour avoir étranglé son ex-conjointe devant leur fils, après avoir déjà été jugé -et condamné- pour des faits similaires en juillet 2017. Le couple est séparé. Ce soir-là, il a emmené les enfants et un de leurs cousins au restaurant. Ne les voyant pas revenir la mère, inquiète, vient les chercher, mais il est ivre. Il raccompagne les enfants, entre dans la maison sous prétexte de récupérer une couverture puis la frappe et l’étrangle. Son fils de 8 ans déclarera aux policiers : «J’ai vu papa prendre maman par le cou. Il a pris un couteau. Il voulait faire du mal à maman.» L’accusé exprime des regrets, mais minimise la violence des coups. L’ex-compagne, elle, explique s’être résolue à porter plainte contre lui pour le bien de ses enfants. Mais elle ne demande pas de dommages-intérêts, «pour ne pas lui causer de problèmes». A la barre, elle affirme que c’est un bon père. «Quand il ne boit pas, c’est un autre homme», répète-elle à plusieurs reprises. L’homme sera finalement condamné à 12 mois de prison puis six mois de mise à l’épreuve.

219 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année

En France, environ 219 000 femmes de 18 à 75 ans sont victimes de violences conjugales chaque année selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, soit 1% de la population. Seulement 19% d’entre elles portent plainte.  En 2017, 130 femmes et 21 hommes ont été tués par leur partenaire ou ex-partenaire, et 25 enfants mineurs sont décédés, tués par un de leurs parents dans un contexte de violences au sein du couple. «Sur les 109 femmes tuées par leur conjoint officiel, au moins 51, soit 47%, étaient victimes de violences antérieures de la part de ce compagnon. Sur les 16 femmes ayant tué leur conjoint, au moins 11, soit 69%, étaient victimes de violences au sein du couple», indique une étude du ministère de l’Intérieur. Voir l’ensemble des chiffres sur la page dédiée aux violences envers les femmes du ministère de l’Intérieur.

Un protocole pour faciliter la prise en charge des victimes en Val-de-Marne

En 2016, la lutte contre les violences faites aux femmes a été désignée grande cause départementale.  Un protocole sur le sujet a été signé en juin 2018 entre le Conseil départemental du Val-de-Marne, la préfecture et le Tribunal de grande instance. L’objectif est d’améliorer la formation des personnels pour les aider à recueillir la parole des victimes dans les meilleures conditions. Il s’agit notamment de favoriser les contacts entre réseaux d’entraide aux victimes et forces de police.

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