Transports | | 08/02/2019
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Rabotage du Grand Paris Express : les économies du plan Dallard

Rabotage du Grand Paris Express : les économies du plan Dallard

Comment réduire de 10% la facture du Grand Paris Express ? C’est le casse-tête que doit résoudre le président de la Société du Grand Paris , Thierry Dallard, depuis sa nomination en avril 2018, sur demande du Premier ministre. Zélé, le patron de la SGP a déposé sa copie sous le sapin de Matignon quelques jour avant Noël, détaillant ses suggestions pour économiser 2,6 milliards d’euros.

Des pistes tous azimuts allant de la réduction du nombre de sorties dans les gares à la suppression de l’interopérabilité 15 Est-15 Sud ou la remise en question du tracé de la ligne 18. Détails des économies de ce plan Dallard, réactions de colère des élus et explications de la SGP.

Contexte En janvier 2018, un rapport de la Cour des comptes a fait état d’un dérapage des dépenses du projet Grand Paris Express par rapport au budget initial, résultant en partie d’un défaut d’évaluation en amont, de complications techniques, de surenchère des quelques prestataires à même de porter ce gigantesque chantier de génie civil, d’un personnel insuffisant pour porter le projet et encore de provisions initialement sous-évaluées. Voir article détaillé. En février, le Premier ministre a arbitré un nouveau calendrier de réalisation,  assurant que le projet serait conservé dans son intégrité tout en réclamant à la Société du Grand Paris (SGP, maître d’ouvrage de ce futur métro périphérique) d’identifier des économies à hauteur de 10%.  Voir article. En parallèle, le député LR du Val-de-Marne Gilles Carrez a bûché sur les compléments de financement de la SGP, établissement public qui ne dépend que de financements propres, s’appuyant à la fois sur des taxes locales et des grands emprunts, sans peser sur le budget de l’Etat. Voir article. En novembre 2018, 140 millions de recettes annuelles complémentaires ont ainsi été votées. Voir article. Pendant ce temps, les pistes d’économie ont été passées au tamis, passant de 1200 à 770. Des coups de rabot dont certains, ébruités, ont suscité une forte polémique comme la proposition de supprimer l’interopérabilité entre les lignes 15 Est et 15 Sud qui doit permettre de créer une boucle et sans laquelle beaucoup de temps de parcours devront être revus à la hausse. Dans le Val-de-Marne, l’interopérabilité permet par exemple d’aller de Créteil à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Fontenay) sans changement à Champigny. Sa remise en question a d’autant plus exaspéré que l’ouvrage d’entonnement nécessaire à sa réalisation a déjà été commencé, et les dépenses et nuisances avec. Le 21 décembre, ce-sont ces pistes d’économie que Thierry Dallard a officiellement communiquées à Edouard Philippe.

2,6 milliards d’euros d’économie mode d’emploi

Les principales pistes d’économie précisées dans le courrier du 21 décembre.

Gares low-cost : 320 millions € Au programme : «optimisation du concept architectural», suppression d’accès secondaires, c’est à dire de sorties autres que la sortie principale, ou encore restriction du traitement des parvis. Exit notamment les consignes à vélo, sauf si elles sont prises en charge par les promoteurs, «optimisation» également du nombre d’escaliers mécaniques et d’ascenseurs, et encore «standardisation et réduction» du nombre de postes d’accueil, des sanitaires et des espaces commerciaux. Des points qui ont fait l’objet de «fortes réserves» de la part d’Ile-de-France Mobilités, admet la SGP dans sa note.

Moins de tunneliers  : 310 millions € En particulier sur les lignes 15 Est, 17 Nord et 18. Un point «déjà acté» mentionne le document de la SGP.

Modification des tracés : 530 millions € Cette proposition concerne principalement la ligne 18.

Suppression de l’interopérabilité 15 Est- 15 Sud : jusqu’à 127 millions €  Cette suppression entraînera également une modification du tracé de la ligne 15 Est.
Deux enquêtes publiques à recommencer. Si les pistes ne remettent pas en cause le schéma d’ensemble, certaines devraient conduire à des enquêtes publiques modificatives, prévient Thierry Dallard dans son courrier. Tel est notamment le cas de l’interopérabilité 15 Est-15 Sud et du tracé de la ligne 18.  «Les décisions pourront être prises en 2019», suggère le président de la SGP. Il y a effectivement urgence à arbitrer car une enquête publique est un processus de longs mois entre la préparation du dossier, l’enquête, les conclusions et la déclaration d’utilité publique.

Gestion des déblais : jusqu’à 160 millions € Optimisation de l’évacuation et valorisation des déblais dans les projets d’aménagement.  Concrètement, la SGP demande un appui politique pour valoriser ses quelque 45 millions de tonnes de déblais dans les grandes opérations urbaines de la région.
Une loi à modifier La valorisation des déblais passe aussi par un amendement à l’article L.541-32-1 du code de l’environnement qui stipule que «toute personne recevant sur un terrain lui appartenant des déchets à des fins de réalisation de travaux d’aménagement, de réhabilitation ou de construction ne peut recevoir de contrepartie financière pour l’utilisation de ces déchets. Ces dispositions ne s’appliquent ni aux utilisations des déchets dans des ouvrages supportant un trafic routier, ni aux carrières en activité

Réduction des centres de remisage, exploitation, maintenance… 140 millions €  

Optimisation du schéma de sûreté «sans dégradation de l’ambition», insiste Thierry Dallard dans son courrier.

Exonération de la taxe générale sur les activités polluantes Pour alléger les coûts, il est également demandé une dérogation à la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes) qui pèse plusieurs centaines de millions d’euros.

Arbitrage de l’Etat sur les travaux mis à la charge de la SGP par d’autres maîtres d’ouvrage. La SGP réclame une révision du principe de participation d’office à 30% des dépenses engagées par d’autres opérateurs sur des ouvrages existants qui doivent s’adapter au Grand Paris Express, notamment les gares.

Faire payer les opérations qui dépendent directement de l’arrivée du Grand Paris Express : la SGP suggère par exemple de faire participer Europacity à la gare du Triangle du Gonesse comme cela est déjà prévu pour la gare du terminal 4 de Roissy par ADP.

La ligne 15 Est prend le plus cher

En détaillant les économies par ligne, la 15 Est arrive en tête, avec 800 millions € d’économie à elle seule, soit près d’un tiers de l’objectif. Suivent les lignes 18 (500 millions €), 16 (300 millions €), 17 (200 millions €), 15 Ouest et 15 Sud (100 millions € chacune) et 700 millions € d’économies transverses. La 15 Sud est d’autant plus épargnée que les travaux et appels d’offre ont déjà été largement engagés.

Des économies qui dépendent des partenaires

60% du potentiel d’optimisation dépend des concertations avec les partenaires, détaille le plan d’économies. Sur les 2,6 milliards € d’économies potentielles, 1 milliard € dépend de la seule SGP mais 720 millions € dépendent de négociations avec IDFM (Ile de France Mobilités, l’autorité des transports de la région), 80 millions € de la RATP, 90 millions € de la RATP et IDFM et 730 millions € d’autres opérateurs.

Et de la concertation

«Cette concertation , notamment avec les communes, est indispensable au rétablissement de la confiance entre la SGP et ses partenaires», pose Thierry Dallard dans son courrier. Sur ce point, il semble que l’objectif ne soit pas encore atteint. A la lecture de la lettre au Premier ministre, les élus ont vu rouge, et la rencontre entre la SGP et les élus de l’association de promotion de la ligne 15 Est (APPL15) lancée par les élus de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne en juillet 2018, a tourné vinaigre ce mercredi après-midi, quoi qu’en dise le lisse communiqué publié par la SGP à l’issue de la réunion«Il ne risque pas d’avoir l’adhésion des partenaires!» commente Pierre Garzon (PCF), vice-président du Conseil départemental du Val-de-Marne, qui était à la réunion ce mercredi.

Surprise et colère des élus

«Supprimer les sorties secondaires dans les gares, les toilettes alors qu’IDFM est en train d’en installer, les consignes à vélo alors que l’on essaie de développer les mobilités douces… Ce-sont des économies de bout de chandelle aujourd’hui qui coûteront dix fois plus cher plus tard, lorsque l’on envisagera des travaux pour les ajouter faute de les avoir anticipés! reprend Pierre Garzon. Quant à la suppression de l’interopérabilité, cela va supprimer l’effet rocade qui faisait partie intégrante du projet. La suppression de l’interopérabilité aura en outre des coûts qui n’ont pas été évalués. Il y a aujourd’hui une véritable crise de confiance entre les élus et la SGP qui ne tient pas compte de l’ADN du Grand Paris Express. Celui-ci repose sur le consensus  des élus, celui qui a permis au projet d’exister et d’avancer vite. La création d’un établissement public autonome, la SGP, devait pourtant éviter que l’Etat ne détricote le projet à la faveur d’une alternance», s’alarme l’élu.

Une position partagée par Jacques J-P Martin (LR), maire de Nogent-sur-Marne et président du territoire Paris Est Marne et Bois, toujours secrétaire général de l’association d’élus Orbival qui planche depuis des années sur un projet de métro val-de-marnais dont le tracé a été repris à la fois par la ligne 15 Sud et 15 Est.  «Ce projet a été décidé et voté par des élus, on ne peut pas le remettre en question de cette manière. L’interopérabilité 15 Est-15 Sud est d’autant plus importante qu’il y a plus d’usagers attendus sur cette boucle, environ 70 000 à 80 000 usagers par jour, que sur la grande boucle, qui prévoit environ 20 000 usagers par jour. Il faut arrêter de chercher à tout prix 10% d’économie que nous regretterons ensuite comme usagers. Je propose plutôt que nous recherchions des ressources nouvelles en taxant par exemple les aménageurs sur les plus-values foncières qu’ils vont réaliser grâce à l’arrivée du métro. Cela s’est fait à Singapour», enjoint l’élu.

La première réunion du comité d’audit, le matin même de ce 6 février, n’a pas non plus contribué à tisser des liens de confiance, même si les mots ont volé moins haut. Et les présidents des sept départements de la banlieue parisienne ont réagi à l’unisson pour dénoncer un double jeu de la présidence, ulcérés par le courrier envoyé au Premier ministre. «Alors que dans les discours la Société du Grand Paris ne cesse de réaffirmer le besoin de concertation avec les collectivités, nous découvrons que la Société du Grand Paris a transmis au Premier Ministre un plan “d’optimisations” le 21 décembre 2018, sans avoir consulté les membres du Conseil de surveillance, ni les élus concernés. C’est d’autant plus malvenu que le contenu de ce plan pose de très gros problèmes. Il propose par exemple de relancer des enquêtes publiques sur des aspects fondamentaux des lignes 15 Est et 18 qui ne manqueront pas d’induire des retards très importants. La remise en cause de l’interopérabilité entre les lignes 15 Sud et 15 Est aurait impact très lourd sur la qualité de l’exploitation de toute la ligne 15. Ce renoncement ne peut être opéré sans concertation avec les élus des territoires impactés. Il est nécessaire de mesurer les conséquences d’un tel recul pour les riverains, pour les deniers publics, pour l’ensemble des futurs usagers et de l’exploitation globale de la ligne. Le Conseil d’administration d’IDFM s’est d’ailleurs prononcé à l’unanimité contre cette remise en cause ce que la Société du Grand Paris semble ignorer.  Par ailleurs, il est proposé la suppression de tunneliers sur les lignes 15 Est, 17 et 18 avec un impact évident sur les calendriers. Des informations très inquiétantes sont également mentionnées sur la ligne 15 Ouest, avec de potentielles relances d’enquêtes publiques. Lignes 15 Est, 15 Ouest, 17, 18 : toutes les lignes dont les chantiers ne sont pas encore engagés mais sont, de fait, menacées. Nous sommes inquiets des délais qui ne cessent de s’allonger et des coûts que l’on arrive pas à maîtriser, faute d’ingénierie suffisante au sein de la Société du Grand Paris.  Plusieurs des pistes d’optimisation proposées par la Société du Grand Paris, sans concertation avec les collectivités, sont totalement inacceptables. Nous demandons à être reçus en urgence par le Premier Ministre. Nous n’accepterons pas un Grand Paris Express au rabais !», lâchent les sept présidents de départements dans leur communiqué commun.

La SGP indique que des pistes d’économie avaient déjà été présentées aux élus

Au-delà des pistes d’économie proposées, les élus ont ainsi exprimé leur colère de ne pas avoir été informés de ces propositions. Un point que conteste la SGP, laquelle rappelle que le document annexé à la lettre de Thierry Dallard, intitulé «Démarche d’optimisation des coûts», était à l’ordre du jour Conseil de surveillance du 24 octobre 2018,  transmis par mail, en PDF, avant la séance, et déposé sur table. A cette date pourtant, les élus étaient sortis satisfaits. Ils venaient d’obtenir la création d’un comité d’audit pour gagner en transparence dans la conduite des affaires de la SGP. «Cela va permettre aux élus de sortir du brouillard pour que le Conseil de surveillance ne soit pas une chambre d’enregistrement», glissait à ce sujet il y a quelques jours Christian Favier (PCF), président du Conseil départemental et de ce comité qui s’est réuni pour la première fois mercredi 6 février. Lors de cette séance du 24 octobre, le calendrier de la ligne 15 Est, à savoir 2030 avec passage des marchés en 2022, avait aussi été confirmé. A noter également que, avant la séance, une délégation du Val-de-Marne avait été reçue par le président de la SGP à propos de l’interopérabilité 15 EST-15 Sud. «L’interopérabilité résulte de décisions prises à l’été 2012 qui se sont imposées à la Société du Grand Paris. En 2018, alors que je prends mes fonctions et qu’il est encore temps d’étudier toutes les alternatives techniques, je souhaite à la fois partager mes interrogations sur les conséquences de ce choix, en discuter avec tous les acteurs concernés et aboutir à une décision collective dans le plus large consensus possible», avait résumé Thierry Dallard, dans un communiqué de l’époque, indiquant avoir «accueilli favorablement les demandes de la délégation d’organiser des réunions publiques et de poursuivre les travaux dans un groupe de travail.» En séance, le sujet des pistes d’économie fut certes abordé, évoquant des ajustements de tracé, des modification de caractéristiques des gares, un travail sur les correspondances et interconnexions, une valorisation des déblais, la recherche de financement par d’autres parties prenantes de certaines infrastructures, et encore des possibles enquêtes modificatives. Rétrospectivement, quelques sujets auraient pu susciter l’inquiétude des élus mais le climat général de la séance n’était pas à la suspicion. Au département du Val-de-Marne, on indique également que le power point «Démarche d’optimisation des coûts» ne détaillait pas les pistes d’économie de manière détaillée, ligne par ligne, comme la lettre envoyée par Thierry Dallard le 21 décembre, dont les élus viennent de prendre connaissance et qui a mis le feu aux poudres. La SGP précise par ailleurs que la recherche d’économie vise à sécuriser le projet en dégageant de la marge de manœuvre en cas d’aléas.

La mobilisation se poursuit

Le prochain Conseil de surveillance, prévu le 20 février, risque de chauffer. D’ici là, la mobilisation devrait s’amplifier avec dès ce samedi 9 février la tenue du Conseil municipal extraordinaire de Champigny-sur-Marne (10h Gymnase Tabanelli), déjà prévu depuis plusieurs semaines pour mobiliser à propos de l’interopérabilité 15 Est-15 Sud, avec des élus et associations de Champigny mais aussi au-delà.

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