Alors que la crise du logement n’est toujours pas résolue en Île-de-France, une stimulante table ronde autour de la mutation du modèle français du logement social se tenait ce mercredi lors du forum Logement pour tous organisé par le Conseil départemental du Val-de-Marne et son OPH Valophis Habitat à l’université Paris-Est Créteil (Upec).
«Entre 2006 et 2013, nous sommes passés de 400 000 demandeurs de logements à 718 000 en Île-de-France soit une augmentation de 47% quand le parc social n’a progressé que de 7%. Le taux d’effort (rapport entre la somme des dépenses liées à l’habitation principale et les revenus des ménages) sur le parc privé pour les ménage du premier décile est passé de 29% à 40%. La loi du Grand Paris en 2010 fixait comme objectif pour sortir du mal logement une production de 70 000 logements par an, le Sdrif évoque quand à lui 37 000 logements sociaux par an. En 2016, année faste en terme de production, 36000 agréments ont été accordés, puis 30 000 en 2017, et 28 000 cette année», chiffre, implacable, Eric Constantin, directeur de l’agence régionale IDF de la Fondation Abbé Pierre. De quoi objectiver le débat.
Marie-Noëlle Lienemann et Gilles Carrez confrontent leurs visions
«Nous avons aujourd’hui un problème quantitatif de logements et les obstacles s’accumulent pour tenter d’enrayer cette crise. Les procédures se complexifient, le système se paralyse et au-delà de la question financière, il y a une réticence croissante de nos habitants à la densification. Ils sont très attachés à leurs pavillons et vivent comme une nuisance à leur cadre de vie les opérations immobilières. En conséquence, les personnes qui obtiennent un logement social ont tendance à vouloir y rester. Lorsque j’étais maire du Perreux, j’ai eu le courage politique d’accompagner une politique de surloyer pour faire en sorte que les ménages qui pouvaient se permettre de se loger dans le privé libèrent les logements pour des personnes davantage en difficulté. Dans d’autres villes de ma circonscription, comme à Champigny, une telle mesure serait considérée comme une hérésie», attaque le député LR Gilles Carrez. Marie-Noëlle Lienemann (GRS) riposte vigoureusement. «Le ciblage hyper social se heurte à des convictions profondes de vivre ensemble et de refus de la ségrégation sociale et spatiale qui sont constitutifs de notre modèle républicain. S’il y a un manque de mobilité des locataires sur le parc social c’est parce que les loyers sont trop élevés dans le privé. Nous avons laissé la spéculation foncière immobilière se développer de façon anarchique et grave. Il est désormais très coûteux de construire des logements. Le foncier ne devrait plus être spéculatif dans ce pays», insiste l’ancienne ministre du Logement. «Partout en Europe, des pays ont vendu leurs parcs sociaux à des opérateurs privés. La France a résisté un peu plus longtemps parce que nos concitoyens ont toujours été réticents à céder leur patrimoine public commun et la mobilisation actuelle contre la privatisation des Aéroports de Paris témoigne encore de cet état d’esprit. Depuis, les pays qui avaient dérégulé le secteur commencent à en revenir. Et il faudrait que l’on essaye ce qui n’a pas fonctionné ailleurs ? C’est absurde», poursuit-elle.
Le modèle français du logement social est-il remis en question ? C’est ce qu’estime Dominique Hoorens, directeur des études économiques et financières de l’USH (Union sociale pour l’habitat) qui craint que l’on s’oriente vers une privatisation de ce secteur. «Les répercussions sur la politique du logement toute entière seraient considérables. Est-ce qu’il y a une main invisible qui va permettre à tout un système de s’équilibrer ?»
Au-delà du Grand Paris : repenser l’aménagement du territoire
«La question du foncier appelle des réponses plus énergiques ! Avant d’être député, j’ai dirigé les Villes nouvelles et nous avons constitué à la fin des années 60 des réserves foncières colossales. Lorsque j’ai quitté mes fonctions en 1993, nous cédions l’hectare à 30 euros aux établissements publics d’aménagement. Aujourd’hui, les gares du Grand Paris Express pourraient être un nouveau réservoir de foncier en zone dense. Cela dit, je crois que nous arrivons aujourd’hui aux limites de la métropolisation et de la densification de notre région. Nous devons relancer une politique d’aménagement du territoire parce que nous ne pourrons jamais construire les 70 000 logements annuels»,pose Gilles Carrez. Sur ce constat, Marie-Noëlle Lienemann abonde : «Je suis d’accord. Il est temps de se remettre à faire de l’aménagement du territoire. La métropolisation de la France est dangereuse parce que nous n’arrivons plus a faire vivre le territoire et apparaissent des mécanismes de relégation. Il y a des limites à l’étalement urbain. Certes il faut poursuivre la production de logement social en zone dense mais il faut redonner sens à la planification.»
Le coup de gueule de Christian Favier
«Au lieu de considérer le logement comme un droit fondamental qui nécessite pour sa mise en oeuvre des moyens particuliers et une intervention publique forte, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de croire au mirage du marché. Les lois Borloo, Cellier, Duflot ont donné la priorité à des systèmes d’incitation à l’investissement privé par la défiscalisation. Cela conduit l’État à consacrer plus d’argent à rémunérer des avantages fiscaux qu’à aider les bailleurs sociaux et les collectivités à réaliser du logement social. La dernière loi, dite Elan, touche à la restructuration même du tissu HLM et n’inverse pas ces tendances, elles les amplifient et les accélèrent. Ce n’est pas un choc de l’offre, mais un choc pour le modèle du logement social à la française qui était pourtant souvent envié à l’échelle européenne», tonne pour sa part le président du Conseil départemental, Christian Favier (PCF).
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