Information sur les élections, ateliers autour des européennes et surtout mise à disposition d’urnes pour mettre en place le vote par correspondance, la maison d’arrêt de Fresnes se mobilise pour permettre aux détenus d’exercer l’un des droits civiques fondamentaux, celui de voter. Une initiative permise suite à une évolution récente de la loi.
Dans le magistral amphithéâtre en bois de la maison d’arrêt pour hommes, qui mérite certes un sérieux rafraîchissement comme le reste de l’établissement, une douzaine de détenus de la troisième division participent à ce mercredi après-midi à un atelier sur les élections européennes. Une présentation-débat dispensée par la Maison de l’Europe, une association qui évangélise les populations autour des institutions européennes. Dire que tous raffolent du sujet et sont venus par passion serait exagéré. La plupart ont vu là une occasion parmi d’autres de sortir de leur cellule. Comme ce Polonais qui ne comprend pas un mot de français mais dont le regard concentré et le visage tendu, aux faux airs de Lino Ventura, donne le change. «Je ne manque aucune occasion de sortir voir des gens, que ce soit pour faire du sport, aller à la bibliothèque, à l’infirmerie. Je vais à toutes les activités car j’aime la convivialité», confie pour sa part Max, 60 ans, au frais depuis onze mois et en attente d’un nouveau jugement. La soixantaine également, Abdallah, qui attend son procès, vote, lui, à chaque élection, et participera au prochain scrutin si cela est possible.
Si les détenus ont obtenu (sauf décision expresse du juge) le maintien de leurs droits civiques, dont celui de voter, depuis la la réforme du code pénal en 1994, une infime minorité l’exerce en pratique. En 2017, alors qu’environ 55 000 personnes détenues avaient le droit de voter en France, seuls 2% ont voté au premier tour de l’élection présidentielle : 853 détenus ont voté par procuration et 200 ont obtenu une permission de sortie pour se rendre dans un bureau de vote, détaille ainsi l’exposé des motifs de l’amendement au projet de la loi pour la justice qui a été adopté en octobre 2018, et qui permet, à titre expérimental, de mettre en place le vote par correspondance en prison, comme cela est déjà le cas pour les Français de l’étranger.
«Les obstacles rencontrés sont nombreux : difficulté pour obtenir une permission du juge d’application des peines, absence de permissions pour les personnes placées en détention provisoire, nécessité de faire valider sa procuration par un officier de police judiciaire…», poursuit cet exposé qui rappelle que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a saisi le Gouvernement de cette question dès octobre 2017. Depuis des années, la bataille avait été engagée, menée par des parlementaires et des associations comme Robin des lois ou l’OIP (Observatoire international des prisons). «On a essayé de m’expliquer pourquoi des détenus ne pouvaient pas voter, je n’ai pas compris. Il semblerait que ce soit le seul endroit de la République où on ne sache pas organiser ni le vote par correspondance, ni l’organisation d’un bureau. La réalité, c’est que nous allons le faire et que, pour les prochaines élections européennes, je veux que tous les détenus en France puissent exercer le droit de vote», s’était engagé le président de la République en mars 2018.
La mise en oeuvre du vote par correspondance dans les centres pénitentiaires va donc être testée pour la première fois aux élections européennes de mai 2019, et à la maison d’arrêt de Fresnes, on se prépare dès maintenant à cet exercice logistique d’ampleur. «Il faut emprunter les urnes, organiser le vote, s’assurer que les détenus qui souhaitent voter disposent bien de leur carte d’identité… Beaucoup de détenus n’ont pas de carte nationale d’identité à jour, nous pouvons les aider à remplir le formulaire Cerfa pour l’obtenir mais pas le faire à leur place. Un agent de la préfecture se déplace ensuite au centre», expose Alban Morin, directeur pénitentiaire d’insertion probation (Dpip) de la troisième division. «Aujourd’hui, entre 150 et 200 détenus ont exprimé leur souhait d’aller voter», chiffre-t-il. Sur 2700 détenus, ce n’est pas beaucoup, mais c’est tout de même plus que 2%, et nous ne sommes qu’en février, les élections européennes ne se sont pas encore imposées dans l’actualité.
C’est justement pour sensibiliser et informer les détenus autour de cette élection que la maison d’arrêt a invité la Maison de l’Europe à intervenir. «Il ne s’agit surtout pas d’inciter à voter mais simplement d’informer», précise le DPIP. La maison d’arrêt a un devoir de neutralité, y compris sur le fait de voter ou pas. Dans chaque division hommes, une douzaine de détenus se sont présentés à l’atelier qui était proposé, chaque fois un jour différent. Dans la Maison d’arrêt des femmes en revanche, aucune ne s’est inscrite. «Il y a beaucoup de jeunes femmes étrangères qui ne parlent pas le Français», explique le DPIP.
Face à leur petit auditoire perdu au milieu de l’immense amphi, Cédric et Jérôme se lancent dans la présentation des institutions européennes, projection de diapositives à l’appui. A première vue, le défi semble d’ampleur. Pas évident de capter un public, pas spécialement branché par la question, sur l’organigramme un peu complexe de l’Union européenne, même si les détenus ne disposent pas de smartphone pour affranchir leur attention du cours. «Notre objectif n’est pas de faire un exposé magistral avec des questions à la fin mais d’inciter chacun à intervenir. Nous sommes souvent agréablement surpris par les réactions», pointe l’un des animateurs de la Maison de l’Europe. De fait, le dialogue s’engage assez rapidement, dès le rappel historique. Plusieurs proposent des pays pour deviner les six membres fondateurs, et ne tombent pas loin du but. L’un d’eux, qui a d’emblée cité le nom de Jean-Claude Juncker avant le début d’atelier, pour vérifier qu’il était bien le président de la Commission européenne, sort son cahier et son stylo pour prendre des notes, et multiplie les questions dans un langage tellement soutenu que ses voisins sont morts de rire. Le débat s’engage sur l’obligation fixée par l’union européenne de ne pas dépasser les 3% de dette publique. «De toutes façons, c’est fictif la dette! On n’a qu’à l’annuler pour tout le monde!», s’exclame un jeune homme. Les deux animateurs expliquent que c’est un peu plus complexe. D’autres détenus insistent. Le débat est lancé.
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