Vêtus de la longue robe noire et blanche, ils ont plaidé avec toute leur force de conviction. A l’initiative de l’association Justice et Ville, huit élèves de 4e des collèges Karl Marx de Villejuif, Jean Perrin de Vitry-sur-Seine, Pierre Brossolette de Villeneuve-Saint-Georges et Albert Schweitzer de Créteil, participaient à un concours d’éloquence au Tribunal de Grande instance de Créteil le 30 janvier dernier.
Depuis trois ans, Justice et Ville, qui organise des ateliers juridiques dans les collèges et les lycées pour informer les jeunes sur leurs droits et débattre de grands sujets de société, a lancé un concours d’éloquence pour des collégiens d’Essonne. Dans le Val-de-Marne, où 2500 jeunes ont déjà bénéficié des ateliers juridiques de l’association, il s’agit d’une première édition. « Cette année, l’approche est différente », explique Jean-Jacques Porcheron, président de Justice et Ville. « Dans l’Essonne, les élèves travaillaient sur des procès célèbres, les affaires Calas et Dominici. Là, on travaille plus sur le sens », explique-t-il. Les adolescents ont ainsi planché sur la question de la responsabilité en s’attaquant à deux affaires : celle d’une femme ayant volé un pain pour nourrir sa famille, et celle d’une autre, battue par son mari, l’ayant tué alors qu’il s’en prenait à elle. Les orateurs sont répartis en deux groupes. Les uns jouent le rôle de la défense, les autres de l’accusation.
Préparation et “effet de manches”
Pour préparer les élèves, sept avocats ont été mis à disposition par le barreau de Créteil, en plus des juristes de l’association Justice et Ville. Pendant trois mois, ces professionnels sont venus dans les classes pour dispenser leurs conseils.
« Il faut parler avec ses tripes, fort mais sans crier », explique Melissa, 13 ans, qui confie « avoir envie de faire du droit ». Il faut aussi « bien répéter » et « utiliser l’effet de manche ». Pour illustrer, ses camarades se lèvent et font de grands signes avec leurs bras, en éclatant de rire. Vincent et Margot ont retenu l’importance de la posture. « Il faut se pencher en avant et avancer un pied, pour montrer que ce qu’on a à dire est très important » expliquent-ils.
Pendant leur préparation, certaines classes ont pu assister à une audience. Une expérience marquante pour Lily : « On se rend compte qu’il y a de vrais gens qui vont en prison, c’est pas comme à la télé » dit-elle. Kadjaly et Wissam retiennent surtout la prestation d’une avocate: « elle était très énervée, elle a bien plaidé. Elle jouait avec les mots, elle était vraiment éloquente ».
“Des papillons dans le ventre”
Une quinzaine de collégiens attendent dans le hall du tribunal de grande instance de Créteil. Ils sont élèves en 4e au collège Albert Schweitzer. Les délégations des autres établissements ne sont pas encore arrivées.
« Ils se sont beaucoup impliqués, les trois-quarts de la classe étaient volontaires », explique leur professeur de maths. Chaque élève a préparé une plaidoirie, présentée devant la classe, puis ils ont voté pour les meilleures. C’est Sirandou et Youba, 13 ans tous les deux, qui représentent leur collège.
Sirandou, cheveux tressés et discrètes boucles d’oreilles dorées, est visiblement stressée. Youba, particulièrement grand pour son âge, est plus détendu. Il plaisante avec des amis sur les bancs en béton du hall du tribunal. L’adolescent confie néanmoins « avoir des petits papillons dans le ventre ».
Leur professeure de français est fière de ses élèves, et particulièrement de Sirandou, « celle qui a le plus travaillé ». La jeune fille est originaire de Kayes, à l’ouest du Mali. Sa langue maternelle est le soninké. Arrivée en France il y a deux ans avec sa mère, elle suivait jusqu’à récemment des cours dans une classe spéciale pour apprendre le français.
A voix haute
Le concours a lieu dans la bibliothèque des avocats, une salle du sous-sol du tribunal, dont les murs sont couverts du sol au plafonds d’épais volumes juridiques. Une soixantaine de personnes assistent aux débats. Le tribunal est symbolique et éphémère. Mais comme lors d’un vrai procès, une sonnerie retentit et la présidente ordonne au public de se lever avant d’ouvrir la séance. La mise en scène est poussée jusqu’au costume : les huit orateurs ont revêtu des robes d’avocat ou de procureur, prêtées pour l’occasion.
Alors que le français n’est pas sa langue maternelle, Sirandou a décidé de parler sans ses notes. Elle confiait peu avant l’ouverture « ne surtout pas vouloir passer la première », le tirage au sort en décide autrement. La jeune fille s’élance. Elle est procureure dans l’affaire du pain volé. « Je vole un pain parce que j’ai faim ? Donc je tue mon mari parce qu’il m’énerve ? Ce ne sont pas les valeurs de la République ! » martèle-t-elle, en s’accrochant du pupitre.
Les plaidoiries s’enchaînent. Est-ce le costume ? le cadre ? la préparation? Le sérieux des tirades est impressionnant. Citations d’articles du code civil, chiffres précis, exemples historiques ou littéraires, figures de style travaillées, exemples internationaux ou d’actualité… A voix plus ou moins assurée, les élèves évoquent Jean Valjean, interpellent le jury, questionnent le bien fondé des dictons populaires. Tous respirent la fierté lorsqu’ils se rassoient.
“Je ne pensais pas arriver jusque là”
Alors que le jury délibère, les élèves évaluent leurs performances. Sirandou regrette d’avoir buté sur certains mots. Néanmoins, elle est contente du travail accompli : « Je ne pensais pas arriver jusque-là » confie-t-elle. Youba est aussi un peu déçu. Il a abandonné sa feuille pour son deuxième passage, et a eu un trou de mémoire. Mais il garde espoir : « sans notes c’est plus dur, peut être que le jury en tiendra compte ».
L’adolescent, qui jouait le rôle d’un avocat, est en effet désigné vainqueur. Pour l’accusation c’est Adonay, du collège Brossolette de Villeneuve-Saint-Georges, qui l’emporte. Sirandou, elle, reçoit une mention spéciale du jury qui salue les efforts particuliers fournis par l’adolescente.
Très belle initiative qui permettra, espérons-le, de créer des vocations. Merci pour l’article.
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