Société | | 19/11/2019
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Farès, 13 ans, mort d’une appendicite non opérée au CHI de Créteil

Farès, 13 ans, mort d’une appendicite non opérée au CHI de Créteil

C’était il y a bientôt un an, le 24 novembre 2018 en début de matinée. Farès, 13 ans, entré l’après-midi de la veille pour une crise d’appendicite, était déclaré mort, victime d’une crise péritonite faute d’avoir été opéré. Ce dimanche 24 novembre, sa famille organise une marche blanche en sa mémoire et celle d’un autre enfant décédé en janvier 2018. Une enquête de justice est en cours.

Ce vendredi 23 novembre 2018, Farès et sa mère arrivent aux urgences à 15 heures, avec une lettre de leur médecin de ville invitant à pratiquer un bilan sanguin et une exploration pour vérifier s’il n’y avait pas notamment d’intoxication alimentaire ou d’appendicite. Cela fait déjà plusieurs jours que Farès ne va pas bien. Le lundi soir, il s’est déjà présenté aux urgences dans la nuit pour douleurs abdominales et vomissements. On lui a diagnostiqué une gastro-entérite et il est rentré avec un traitement. Les symptômes ayant persisté, il consultera à nouveau un médecin de ville puis son médecin de famille au cours de la semaine.

Arrivé aux urgences, l’interne appelle le chirurgien, qui se trouve être le chef de service, avec le courrier de son confrère. Après examen, il est décidé qu’il doit passer un scanner. Le chef de service décide de faire hospitaliser le jeune ado en chirurgie pédiatrique pour le surveiller. Il est alors 16h30.

A 17h30, la mère demande à l’infirmière de jour quand va se dérouler le scanner. Cette dernière lui indique qu’un médecin va venir voir son fils. A 20 heures, on lui apprend qu’il n’y aura finalement pas de scanner d’ici à la fin de la journée.

A 2 heures du matin, le jeune Farès est pris d’une première crise de vomissement et de sueurs, suivie d’une seconde à 4 heures. Une infirmière lui administre du paracétamol puis de la nalbuphine. «Comment se fait-il qu’ayant constaté l’état de l’enfant, l’infirmière n’ait pas cherché absolument à faire venir un médecin?», questionne Claude Cottet, de l’association des usagers du CHIC.

A 7h45 du matin, soit 15 heures après l’entrée dans le service chirurgie pédiatrique de Farès, un médecin passe le voir et promet que le garçon va être opéré. Vingt minutes plus tard, trois infirmières se présentent avec le vêtement pour aller au bloc et demandent à la mère de lui faire prendre sa douche désinfectante. Mais Farès est pris d’un malaise. Les infirmières le recouchent.

Il faut encore attendre jusqu’à 9h45 pour qu’une externe ne se présente à nouveau. La mère de Farès, qui a veillé son fils toute la nuit et alerté à plusieurs reprises sur la situation, est désespérée et demande si son fils va mourir. Elle s’inquiète d’une cyanose constatée sur les ongles de enfant.

S’en suit alors une série de ratages qui relèveraient de la farce si l’issue n’était aussi tragique. «L’externe m’a proposée de prendre sa saturation en oxygène pour me rassurer mais le premier appareil, qui se trouvait dans le couloir, ne fonctionnait pas», se souvient la mère (interviewée au printemps 2019). Le second révèle une saturation à 60 % alors que l’on considère qu’il y a détresse respiratoire en-dessous de 90%.  «Les infirmières et l’externe m’ont expliquée que c’était impossible, que c’est l’appareil qui dysfonctionnait.» Quelques instants plus tard enfin, Farès est transféré en réanimation. Il est passé dix heures.

Farès ne sera jamais opéré, il passe directement de l’attente dans sa chambre à la salle de réanimation, dans un état critique. A 11h45, le chef de service vient voir les parents. «Il ne nous a pas dit qu’il était mort. Il nous a dit qu’il avait fait un premier arrêt cardiaque qu’ils l’avaient rattrapé mais qu’ils ne pouvaient rattraper le deuxième. Nous avons demandé à voir notre fils. Il nous a accompagné puis a disparu. Farès était encore intubé, avec du sang qui coulait sur ses joues. Pendant que nous étions en train de nous recueillir avec mon mari, le chef de service a été voir ma famille, que j’avais faite venir, leur demandant si nous allions demander une autopsie, rappelant que dans la religion musulmane on enterre les morts dans les 24 heures», témoigne la mère. 

Dès le lundi, la mère se rend au commissariat de Maisons-Alfort pour raconter ce qu’il s’est passé. Le soir même, l’affaire est prise en charge par la Procureure de la République. En parallèle de l’enquête de justice menée par le Parquet de Créteil, dans laquelle tous les protagonistes font l’objet d’auditions, une enquête de l’ARS (Agence régionale de santé) a été menée au printemps.

«C’est un incident dramatique qui n’arrive heureusement que très très rarement. Pour nous, ce n’est pas quelque chose d’anodin, c’est un échec», réagit Stéphane Pardoux, à l’époque directeur du CHIC (interviewé en juin), désormais directeur de l’Institut Gustave Roussy. «Le rapport de l’ARS indique que l’établissement dispose bien d’une organisation structurée et formalisée pour accueillir 50 000 enfants par an aux urgences pédiatriques et confirme que ce jour-là, tous les moyens nécessaires pour assurer cette prise en charge étaient conformes à ce qui est nécessaire. Le scanner fonctionnait, le bloc opératoire était disponible. Des médecins seniors étaient présents en chirurgie comme aux urgences. Malgré cette organisation conforme, les choses ne se sont pas passées pas comme elles auraient dû», reconnaît le directeur qui indique que des mesures ont été prises pour renforcer la perception de l’urgence par les équipes ainsi que pour former à l’annonce des situations dramatiques. Concernant la responsabilité de tel ou tel professionnel du service, le directeur rappelle qu’il reviendra à l’enquête de conclure.

“Une intervention aurait été possible si l’indication opératoire avait été posée”

Dans ses conclusions, l’enquête effectuée par l’ARS a établi plusieurs “pistes d’amélioration”, reconnaissant notamment dans des termes administratifs que l’annonce aux familles avait été faite sans respect des procédures, en l’occurrence sans même annonce formelle. L’enquête dévoile aussi le paradoxe d’une organisation qui aurait pu permettre de sauver l’enfant, avec des scanners qui fonctionnaient et étaient disponibles, et une salle d’opération parfaitement opérationnelle avec le personnel soignant à partir de 15 heures. “Une intervention aurait été possible si l’indication opératoire avait été posée”, pointe l’enquête.

L’enfant a pourtant été vu par un PH sénior de chirurgie pédiatrique à 2 reprises entre 15 h et 18 h 30, note le rapport de l’ARS. Mais “le cas n’a pas été considéré par les chirurgiens pédiatriques le 23/11/2018 comme une
urgence immédiate. De ce fait : il n’y a pas eu de suivi actif de la demande de scanner par le chirurgien pédiatrique qui a examiné l’enfant dans le service des urgences ni par le chirurgien pédiatrique qui l’a vu en contre visite à 18h30 le 23/11. Il n’y a pas eu d’émission par un des chirurgiens pédiatres le 23/11 d’une « fiche d’annonce chirurgicale » qui aurait pu éventuellement enclencher la consultation préopératoire d’un MAR (médecin anesthésiste réanimateur). Sans fiche annonce, le patient n’était pas connu des deux MAR de garde sur place.”
Alors que l’enfant a subi plusieurs crises en pleine nuit, le rapport de l’ARS pointe également que “l’enfant a été vu par le chirurgien pédiatrique de garde à 7 h 45 lors de la visite, sans constats inquiétants nécessitant une intervention urgente et un transport sans délai au bloc opératoire.” La décision opératoire (appendicectomie sous cœlioscopie) a toutefois bien été prise à 7 h 45 par le chirurgien de garde.

Beaucoup de questions en suspens

Le rapport de l’ARS ne répond toutefois pas à toutes les questions, comme le signale Claude Cottet qui a listé les interrogations restées en suspens. “Dans le dossier médical,on trouve que le senior de garde a examiné l’enfant à l’arrivée dans le service vers 15H30 alors que la mère assure ne jamais l’avoir vu et que le dossier médical était resté aux Urgences et qu’il n’y a aucune trace de prescription de sa part tel qu’une ordonnance de scanner. Le rapport d’enquête dit que le senior de garde est passé à 18H30 dans la chambre. Ceci est totalement faux car la mère affirme ne l’avoir jamais vu et que de plus elle avait des témoins car sa famille est venue de 18H à 19H dans la chambre. De plus, s’il est passé à 18H30 comment peut on expliquer qu’une ordonnance avec 4 antalgiques (dont un qui est interdit en cas de suspicion d’appendicite ce qui signifie que le prescripteur n’était pas au courant que le jeune Farès était entré pour appendicite) a été dictée à 18H10?”, questionne notamment Claude Cottet dans une note d’analyse du rapport de l’ARS. “Votre enquête ne répond pas à la question: pourquoi le scanner n’a jamais eu lieu pendant 20H? Par contre vous dites bien que le service d’imagerie était en ordre de marche à condition de le solliciter ! D’autre part vous ne répondez pas à l’interrogation au sujet du samedi matin quand le docteur annonce qu’il va opérer en urgence l’enfant Farès de l’appendicite (alors que dans une conversation téléphonique 2 mois après, il a avoué à la maman que c’était déjà une péritonite) et qu’il a disparu semble-t-il pour aller opérer quelqu’un d’autre? La maman ne l’a revu que 4H après,son fils était mort entre temps.Pourquoi n’a-t-il pas opéré en urgence?” Autant de questions posées par Claude Cottet aux auteurs du rapport de l’ARS. L’enquête de justice permettra, peut-être d’aller plus loin, c’est ce sur quoi compte la famille.

Un autre cas en janvier 2018

D’autant que depuis, la famille et le représentant d’usagers ont mené leur propre enquête pour chercher des cas similaires, et on découvert qu’un jeune garçon de quatre ans était décédé fin janvier 2018 après avoir été opéré au terme d’une longue attente avant d’être emmené dans un état désespéré à l’hôpital Robert Debré. “Pour tout expliquer, votre enquête doit être complétée par une enquête complémentaire sur l’événement suivant qui vous a été soigneusement caché: le décès de l’enfant de quatre ans le 25/1/2018, décès qui a été précédé par une phase d’attente de 24H similaire au parcours de l’enfant décédé le 24/11/2018….qu’elle similitude!”, demande encore Claude Cottet à l’attention de l’ARS, regrettant que l’analyse de décès n’ait pas permis d’éviter le drame de novembre 2018.

Marche blanche dimanche 24 novembre

Ce dimanche 24 novembre, la marche blanche se fera en hommage aux deux enfants. Le départ aura lieu à 13h30 au collège Condorcet, en empruntant l’itinéraire des bords de marne pour aller à l’hôpital intercommunal de Créteil avec un dépôt de gerbe sur place. Une marche “dans le respect et la dignité”, appelle la famille. “La douleur de son absence est toujours aussi vive auprès de tous ceux qui l’ont connu, nul doute que son souvenir vit dans nos cœurs.”

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