Entreprendre | | 08/03/2019
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Micmac sur l’appellation Laguiole : la justice met le holà

Micmac sur l’appellation Laguiole : la justice met le holà

Pas moins de 172 marques reconnues par l’Inpi, l’Institut national de la propriété intellectuelle, concernent l’appellation Laguiole, du nom du petit village de l’Aveyron célèbre pour le fromage et les couteaux qui portent son nom. Ce mardi 5 mars, la Cour d’appel de Paris en a annulé 8, toutes déposées par un entrepreneur de Saint-Maur-des-Fossés, Gilbert Szasjner, exploitées en licence par un certain nombre de sociétés dont une de Sucy-en-Brie, Polyflame. Explications sur le nouveau rebondissement de cette épopée judiciaire qui dure depuis 25 ans.

Le cas d’école Laguiole, la justice l’a en effet vu arriver dès 1995. A l’époque, l’entrepreneur du Val-de-Marne, en pleine reconversion professionnelle, vient de déposer la marque Laguiole et plusieurs variantes, Laguiole la légende, Laguiole international… dans 16 classes de produits. Y figurent non seulement les couteaux et couverts mais aussi les vêtements, les produits d’imprimerie, les appareils de chauffage, les jouets, les articles pour fumeurs… L’ancien cadre de Péchiney a coché toutes les cases. Une association, Le couteau de Laguiole, a toutefois déjà déposé une marque collective (qui peut être exploitée par toute personne respectant un règlement d’usage établi par le titulaire de l’enregistrement) dans la classe 8, celle qui englobe les couteaux. La commune de Laguiole et l’association attaquent alors en justice une première fois dès 1995, considérant que les marques déposées par l’entrepreneur du 94 sont des contrefaçons. Un premier jugement, en avril 1997, leur donne raison. La société de Gilbert Szajner fait appel et en novembre 1999, la Cour d’appel infirme l’annulation des marques, faisant valoir que le terme Laguiole est devenu générique pour les couteaux disposant du caractéristique manche recourbé orné d’une abeille, les quels sont du reste fabriqués le plus souvent autour de Thiers. En bref, tout le monde a le droit de créer des couteaux et couverts Laguiole.  Le fromage, lui, bénéficie d’une AOC, appellation d’origine contrôlée.

Dans la bataille, l’entrepreneur a gagné le gros lot, celui d’exploiter la kyrielle d’autres classes de produits auxquelles n’ont pas pensé le village et l’association locale. Les tentatives de ces derniers pour faire annuler les marques déposées en 1993 et 1994 sont vaines, d’autant que la société val-de-marnaise a pris soin de retirer la classe 8, dont le Tribunal a statué qu’elle n’avait pas lieu d’être car le couteau Laguiole est devenu générique. Après diverses procédures, les marques déposées en 1993 et 1994 par l’entrepreneur du 94 sont définitivement validées en 2009, lui permettant de faire fabriquer sous licence toutes sortes de produits, jusqu’aux pantoufles.

Le village fait valoir la dépossession de son nom

Depuis le premier procès toutefois, les dépôts de marques autour de Laguiole se poursuivent et l’entreprise saint-maurienne en dépose à elle seule des dizaines et des dizaines, multipliant les noms dérivés, les slogans, les associations de visuels ou de logos et les classes de produits et services, allant jusqu’à 37 classes sur les 45 que compte la classification de Nice qui sert de référentiel en matière de marques. De quoi susciter une nouvelle procédure en justice de la part de la commune qui dénonce une dépossession de son nom par des entreprises qui vantent le terroir dans leur communication alors que rien n’est produit à Laguiole. C’est cette prolifération de marques tous azimuts que la Cour d’appel de Paris a décidé de stopper dans son arrêt rendu ce mercredi 9 mars, considérant notamment que «si le fait de déposer des marques dans plusieurs classes n’est pas en soi illicite et s’explique notamment par la grande diversité de produits exploités par les licenciés, il n’en est pas de même au cas d’espèce où la multiplicité de ces dépôts, couvrant 37 classes de la classification de Nice, conduit en fait à priver la commune de Laguiole et ses administrés de l’usage de ce nom.»

La Cour d’appel a donc annulé 8 de la trentaine de marques actuellement exploitées par l’entrepreneur et sa famille, refusant l’exploitation de la marque Laguiole dans certaines classes nouvellement déposées ou des slogans comme par exemple «Laguiole innove la tradition.» Au total, la Cour a même annulé 20 marques mais 12 étaient déjà radiées car non reconduites. La famille Szajner et leur entreprise vont aussi devoir payer chacune 50 000 euros à la commune de Laguiole en réparation de son préjudice moral et 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour l’avocate de Gilbert Szajner, maître Anne Lakits, l’important reste que les marques historiquement déposées par l’entrepreneur dans les années 1993 et 1994, dans un nombre déjà conséquent de classes, ont été à nouveau validées par le tribunal, permettant de poursuivre la commercialisation de nombreux produits sous licence Laguiole.

Le maire de Laguiole, Vincent Alazard, lui, s’est réjoui de pouvoir enfin retrouver l’usage du nom de la ville, dont il ne pouvait même pas changer le logo. Quant à Gilbert Szajner, il s’indigne que la ville se soit fait financer ses centaines de milliers d’euros de frais de justice par l’Elysée, rappelant une interview dans Centre Presse de janvier 2018 dans laquelle son maire se réjouissait de ce coup de pouce. La commune s’était en effet mise dans des difficultés financières importantes en raison de ses procédures judiciaires successives.

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