Plus de deux heures d’attente aux urgences de l’hôpital intercommunal de Créteil ce jeudi 12 septembre, pas pire qu’un autre jour. A deux cent mètres, à l’entrée du CHIC, le centre de téléconsultation Livi ouvert en janvier dernier pour tenter d’alléger les urgences est en revanche vide.
Depuis le début de la semaine, Stéphanie, l’infirmière présente sur place, n’a vu personne. “Environ 4 personnes se présentent en moyenne chaque jour”, chiffre Maxime Cauterman, directeur médical France de Livi, par ailleurs praticien au CHIC.
Société suédoise créée en 2015 et installée en France depuis 2017, Livi propose des consultations par téléphone avec des médecins généralistes inscrits à l’Ordre des médecins. A l’instar de Qare ou Doctolib, ce nouvel opérateur s’est positionné sur le marché français alors que la téléconsultation est remboursée par l’Assurance maladie depuis le 15 septembre 2018 – sous conditions.
A la base du partenariat entre le CHIC et Livi : l’espoir pour le premier de contribuer à désengorger les urgences, l’opportunité pour le second de se développer en complétant le tout-en-ligne par une présence physique, visible. “La fréquentation des urgences continue d’augmenter, nous sommes désormais à 230 000 sur les deux sites de Créteil et de Villeneuve-Saint-Georges (le CHIV). Heureusement que nous avons anticipé les recrutements. Le CHIC devrait avoir la totalité de ses postes d’urgentistes pourvus d’ici novembre. Nous avons aussi ouvert 11 lits supplémentaires dans l’hôpital pour suivre les patients arrivés aux urgences”, indique Jean-Bernard Castet, directeur général par intérim du groupe hospitalier Confluence Val de Marne Essonne qui regroupe CHIC et CHIV.
Sur le papier, l’offre de téléconsultation Livi, installée au CHIC dans un local dédié avec une infirmière, a tout son sens pour éviter des heures d’attente à des patients venus pour l’une des pathologies prises en charge en téléconsultation. D’autant que l’infirmière peut prendre le pouls, la tension, la température, et dispose de bandelettes urinaires pour détecter une infection urinaire ainsi que de streptotests pour identifier l’origine bactérienne ou virale d’une angine et savoir s’il faut ou non prescrire des antibiotiques. Sans vider la salle d’attente, cette offre est susceptible de répondre à quelque 10% de ces patients estime-t-on chez Livi, soit entre 25 et 30 patients par jour.
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Conflit avec l’Etat sur les remboursements
En réalité, les choses sont plus complexes, et cette première expérimentation est riche d’enseignement sur tous les détails qui ont grippé le système.
Première complication : les modalités de remboursement. Dès le mois de janvier, au moment même du lancement de l’initiative, le directeur général de l’Assurance maladie décide de suspendre les remboursements issus de ce centre de téléconsultation, considérant que les modalités de cette expérimentation ne correspondent pas à l’avenant n°6 de la convention médicale signé en juin 2018 par l’Union des caisses d’assurance maladie et les syndicats de médecins, encadrant cette pratique. Cet avenant insiste sur la nécessité d’inscrire les téléconsultations dans le cadre de l’organisation territoriale de santé, dans le cadre du parcours de soin avec son médecin traitant sauf exceptions, si le patient n’a pas de médecin traitant ou que ce dernier n’est pas disponible. Pour la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), le centre de téléconsultation du CHIC ne répondait pas à ces critères. Du côté de Livi, on estime le contraire, alors que les patients aux urgences sont déjà dans une situation hors de leur parcours de soins local. L’association Digisanté, créée pour gérer ces centres de téléconsultations, attaque la décision en référé au Conseil d’Etat. Ce conflit, il n’en est nullement question lors de l’inauguration du centre en février, mais il est dans tous les esprits des professionnels, y compris des médecins généralistes qui veulent concilier la téléconsultation et l’ancrage territorial de l’organisation des soins.
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En mai 2019, le Conseil d’Etat rejette le référé (voir la décision). Il faudra donc attendre encore quelques mois pour connaître la décision sur le fond. En attendant, Livi a installé un médecin en présentiel dans le centre de téléconsultation, pour que le centre puisse être considéré comme un vrai centre médical. Sinon, seuls les patients qui sont domiciliés dans le Val-de-Marne peuvent être remboursés. La présence du médecin contribue par ailleurs à créer la confiance sur place.
Au-delà du litige sur le remboursement, le fait même de sortir sa carte bleue tout de suite pour payer 25 euros pour la téléconsultation fait une différence avec les urgences où les patients n’ont rien à débourser.
Qui est responsable? où ?
D’autres questions se posent, en termes de responsabilité. Par exemple : entre l’accueil des urgences et le centre de téléconsultations, qui est responsable en cas de malaise d’un patient ayant décidé d’aller de l’un à l’autre? “Cette expérimentation nous a permis de réaliser tous les points qui restent à préciser. C’est enthousiasmant”, commente Maxime Cauterman, affichant une motivation intacte pour poursuivre, avec des ajustements.
Problème de visibilité
Le médecin estime notamment que pour bien fonctionner, le centre devrait être immédiatement accessible depuis les urgences, et pas à deux cent mètres. D’autant que les hôtes et hôtesses d’accueil des urgences n’ont pas le droit de faire la publicité de ce service, privé, et que seule une affiche installée à côté de la réception signale son existence.
“Les patients qui vont aux urgences sont prêts à attendre”
Maxime Cauterman a tiré un autre enseignement de cette expérience, c’est que “les patients qui vont aux urgences sont prêts à attendre le temps qu’il faut pour voir un médecin”. A partir du moment où ils se rendent sur place, ils connaissent les règles du jeu et veulent voir un médecin “en vrai”.
Plus de patients en Val-de-Marne
Bien que la fréquentation physique du centre ne soit pas exceptionnelle, le directeur médical France de Livi constate que le nombre de patients du Val-de-Marne est plus important que celui d’autres départements, proportionnellement à la population, et estime qu’une partie de ce différentiel a été indirectement induite par la présence du centre Livi au CHIC. Les patients qui découvrent l’existence de ce service peuvent en effet y faire appel, sans se déplacer du tout, la fois d’après. Pour l’heure donc, pas question d’arrêter l’expérimentation même si les horaires ont été réduits.
Développer les implantations physiques et s’ancrer dans les territoires
Le directeur médical indique même être convaincu de l’intérêt de compléter le développement des téléconsultations par des points de présence. Des projets sont en cours de réflexion. En parallèle, l’opérateur suédois souhaite s’ancrer dans les projets territoriaux de santé. “Nous essayons de développer des partenariats dans le cadre des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) même s’il y a une certaine réticence des médecins”, indique Maxime Cauterman. Localement, un certain nombre de médecins s’inquiètent d’une forme “d’ubérisation.”
De septembre 2018 à septembre 2019, 33 418 patients français ont consulté un médecin via la plate-forme Livi, dont les deux-tiers ont vu leur remboursement retoqué par l’Assurance maladie. 30% se seraient rendus dans un service d’urgence s’ils n’avaient pas consulté et 59% habitent dans des déserts médicaux, motive l’opérateur Livi dans son rapport d’activité.
Les autres pistes pour limiter l’affluence aux urgences
De son côté, le groupe hospitalier Confluence Val de Marne Essonne poursuit les initiatives pour éviter que tout le monde n’atterrisse aux urgences. A Villeneuve-Saint-Georges, l’hôpital a ouvert des consultations non programmées depuis janvier et d’autres projets sont en réflexion à l’extérieur de l’hôpital, notamment en Essonne.
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