Temps pluvieux, vent froid, cour austère, corps au garde à vous mais discours incisifs. Ce mercredi, l’installation officielle du nouveau directeur de la maison d’arrêt de Fresnes, Jimmy Delliste, en poste depuis juin, a été l’occasion d’évoquer la singularité de cet établissement historique malgré son état de délabrement paroxystique.
Matelas par terre, cellules sur-occupées en raison de la surpopulation chronique de l’établissement (près de 2500 détenus pour 1320 places), manque d’entretien “flagrant”, architecture “à bout de souffle” nécessitant des “petits miracles quotidiens”, pour continuer à faire fonctionner vaille que vaille la grande maison… Laurent Ridel, directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, hôte de la cérémonie, n’y a pas été par quatre chemins pour rappeler en quelques mots le quasi-abandon dont la prison, parmi les plus importantes du pays, a été l’objet. Alors qu’elle avait de longue date obtenu la promesse d’une réhabilitation, tout comme les Baumettes à Marseille et la Santé à Paris, la maison d’arrêt, qui accueille aussi bien des détenus condamnés que des prévenus en attente de leur jugement, a seule été laissée pour compte. La visite du président de la République en mars 2018, en compagnie de la garde des Sceaux, a toutefois été l’occasion de réaffirmer la décision d’une restructuration complète de l’établissement, a rappelé le directeur, misant ses espoirs dans cette “opération délicate” de modernisation, nécessaire pour rendre leur dignité aux détenus et leur famille et offrir des “conditions de travail décentes” aux personnels, premiers réceptacles de ces conditions qui exacerbent les tensions.
Une prison révolutionnaire
Inaugurée le 19 juillet 1898, la maison d’arrêt de Fresnes a pourtant été un symbole d’innovation, et le demeure par certains aspects. Du point de vue architectural d’abord, la maison d’arrêt de Fresnes constitue le premier exemple de plan dit de pôle téléphonique. Les cellules sont disposées de part et d’autre de hauts couloirs donnant à voir plusieurs étages de cellules desservies par des coursives en balcon. Ces hauts blocs sont eux-même disposés de part et d’autre d’une grande allée centrale. En plein courant hygiéniste, cette structure dessinée par Henri Poussin vise notamment à laisser l’air et la lumière circuler. La construction s’inscrit aussi dans la lignée de la loi du 5 juin 1875 qui prévoit un encellulement individuel des prévenus qui n’ont pas encore été jugés et des condamnés à moins d’un an et un jour de prison. Alors que les prisons parisiennes sont saturées et vieillissantes, il s’agit également de désengorger la capitale en construisant plus grand plus loin, dans la campagne. A l’époque, Fresnes compte moins d’un millier d’habitants et autant dire que l’installation d’une maison d’arrêt géante dans le village suscite autant d’enthousiasme que les projets actuels de nouvel établissement carcéral en Val-de-Marne. A défaut d’échapper à la prison, la commune milite pour faire cimetière séparé et tente même, en vain, de changer de nom au profit de Fochville.
(Sur l’histoire de la prison de Fresnes, lire Fresnes, la prison, de Christian Carlier, Françoise Wasserman et Juliette Spire)
Un siècle d’expérimentations
Dans les années 1950, c’est à Fresnes que sera expérimentée le Centre national d’observation (CNO) de Paul Amor. Objectif : examiner la personnalité des détenus pour les orienter vers des établissements adaptés, selon un principe d’individualisation de la peine destinée à contribuer à la future réinsertion du détenu. En 2003, c’est à la maison d’arrêt de Fresnes que le garde des Sceaux de l’époque, Dominique Perben, inaugure le lancement des Eris (Équipes régionales d’intervention et de sécurité), sorte de GIGN pénitentiaire pour intervenir en cas de mutinerie ou agression violente. Dans son prolongement, c’est Fresnes seule qui expérimente dès 2006 la première équipe cynotechnique (la seconde sera créée à Toulouse en 2011 avant Lyon et Rennes) pour rechercher des explosifs, armes et stupéfiants en prison. En octobre 2014, c’est une cellule de regroupement des détenus radicalisés qui est expérimentée dans la maison d’arrêt, pour créer une étanchéité avec les autres quartiers. Autant d’expérimentations, parfois controversées, rappelées par le directeur des services pénitentiaires de la région, citant encore le partenariat en cours avec le parquet et le Spip (service pénitentiaire d’insertion et de probation) pour travailler à la réduction de la population carcérale grâce à des solutions alternatives comme le bracelet électronique. Un des défis à relever pour le nouveau directeur.
De Fresnes à Fresnes : le parcours de Jimmy Delliste
Natif d’Auchel, dans le Pas-de-Calais, Jimmy Delliste a franchi le portail de la maison d’arrêt pour la première fois le 18 juillet 1988, pour y effectuer son tout premier stage de surveillant de prison, alors âgé de 25 ans. Après dix ans passés au pénitencier de Melun, il devient premier surveillant, est fait officier et devient chef d’établissement, d’abord à Montbéliard en 2002, puis à Evreux. En 2008, il dirige le centre de détention de Loos tout en étant directeur adjoint du centre pénitentiaire de Lille Loos Sequedin. En 2011, il rejoint La Talaudière (Saint Etienne) puis prend la direction de la prison de Nanterre, avant, au printemps 2017, un passage à la sous-direction des métiers de l’administration pénitentiaire. En parallèle, il embrasse un long parcours syndical, secrétaire général de FO direction pénitentiaire jusqu’en 2017. Le 15 juin 2019, un peu plus de trente ans après son premier stage à Fresnes, Jimmy Delliste, aujourd’hui âgé de 56 ans, a franchi à nouveau le portail de la maison d’arrêt, cette fois en tant que dirigeant.
Hommage aux surveillants
Dans son allocution, le 32ème dirigeant de la maison d’arrêt depuis sa création a rendu un hommage particulier aux surveillants qui travaillent dans un lieu “mal connu”, “stigmatisé, citant Jean-Louis, victime d’un coup de poing au visage, Dominique et Joachim, molestés au mois d’août à coup de barres de fer pour “casser du bleu”… “Ces agressions ne constituent pas le quotidien mais jalonnent un parcours”, a témoigné l’ancien gardien.
Alors que le nouveau directeur se voyait remettre la médaille d’honneur des services judiciaires par l’actuel président du tribunal de Créteil, Stéphane Noël, promu au TGI de Paris, deux autres surveillants ont également été médaillés : Thierry Delogeau, un fidèle du pénitencier de Fresnes, et Paul Manijean, passé également par Pointe-à-Pitre, Bourg-en-Bresse, Montluc, Fleury-Mérogis…
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