Aéroports de Paris n’est-il qu’un vaste centre commercial ou un actif stratégique ? L’Etat peut-il avoir la main sur la diversité des lignes accueillies dans les principaux aéroports du pays en se désengageant ? Quel est l’intérêt ou le risque financier d’une privatisation ? Quel impact sur l’emploi ? Quels enjeux environnementaux ? Retour sur le débat pour ou contre la privatisation d’Aéroports de Paris, organisé ce mercredi 2 octobre par le Forum politique nogentais en partenariat avec 94 Citoyens.
Pour rappel du contexte, le débat se tenait dans le cadre du référendum-pétition actuellement en cours pour décider ou non d’étudier une proposition de loi sanctuarisant l’exploitation des aéroports de Paris comme service public national. Ce projet de loi référendaire a été déposé par plus d’un cinquième (seuil nécessaire à la mise en place de ce référendum d’initiative partagée – rip) des parlementaires en réaction au vote d’un article de la loi Pacte, pour la croissance des entreprises, rendant possible la privatisation de la société Aéroports de Paris (ADP), exploitant des aérodromes parisiens, laquelle est aujourd’hui détenue à 50,6% par l’Etat. La règle du Rip est que le projet de loi sera étudié si au moins 10% du corps électoral français le demande d’ici au 12 mars 2020, date de la fin de consultation.
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Premier à prendre la parole, pour exposer les raisons d’une ouverture à la privatisation, le député Laurent Saint-Martin, dont la circonscription s’étend du plateau Briard à Villeneuve-Saint-Georges, sous l’un des principaux couloirs aériens de l’aéroport d’Orly, a principalement défendu la nécessité, selon lui, de repenser l’état actionnaire pour qu’il soit plus présent sur des services publics comme la défense, l’éducation, mais aussi les crèches et les Ehpad (établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes) dont il a indiqué qu’il souhaitait que ces établissements soient publics, et qu’il se désengage dans les actifs non stratégiques, faisant la différence entre l’état actionnaire et l’état régulateur. Pour le député, l’activité d’ADP est essentiellement de gérer des boutiques duty-free et beaucoup de foncier, considérant en revanche que la question du foncier était un vrai problème.
Le député aussi rappelé comment il a fait passer le nombre maximum de créneaux autorisés chaque année pour faire atterrir ou décoller les avions à Orly, ainsi que les horaires du couvre-feu, alors que ces seuils n’étaient pour l’instant régis que par des arrêtés, plus fragiles qu’une loi. L’élu a expliqué qu’ayant eu une fin de non recevoir en première lecture, il avait menacé de voter contre la privatisation, avec deux autres députés.
Pour Gilles Carrez, le groupe Aéroports de Paris ne se résume pas à son activité commerciale et à la “vente de macarons Ladurée”, il doit assurer l’accueil des avions, des compagnies aériennes et des passagers (60% du trafic international passe par ses plates-formes), ce qui lui confère un rôle stratégique et d’aménagement du territoire. Et de rappeler que la plupart des aéroports équivalents dans les grandes capitales ne sont pas privatisés, prenant pour contre-exemple Heathrow, en Angleterre, qui, depuis qu’il a été privatisé, a privilégié les gros porteurs pour maximiser le trafic dans l’aéroport. Résultat : plus de la moitié des lignes intérieures ont été supprimées. Pour le député, la privatisation d’ADP risque de conduire à la disparition de lignes comme Paris Rodez au profit des vols internationaux par gros porteurs. L’élu a aussi pointé la durée de concession de 70 ans accordée à ADP pour exploiter les aéroports, notant qu’il y a 70 ans, Orly n’existait pas et qu’il était difficile de se projeter à 70 ans. Pour le parlementaire, qui ne s’est précédemment opposé qu’à une privatisation, celle des autoroutes, l’Etat doit pouvoir garder la main pour s’adapter aux nouveaux contextes, à commencer par celui de la transition énergétique. L’élu a aussi insisté sur les 600 000 emplois liés aux aéroports parisiens et sur le gigantesque gisement foncier que représente ADP.
Concernant le souhait de l’Etat de se désengager du capital d’ADP, dont il est actionnaire à 50,6%, Gilles Carrez a suggéré la piste de la Caisse des dépôts (groupe public) qui cherche à investir dans des actifs rentables alors que les taux d’intérêt sont aujourd’hui quasi-négatifs, et rappelé l’intérêt que les collectivités locales avaient manifesté pour avoir aussi voix au chapitre.
Evaluation financière, cahier des charges, expertise
Tout en pointant les erreurs commises par l’Etat concernant la privatisation des autoroutes et celle de l’aéroport de Toulouse, Laurent Saint-Martin a expliqué que toutes les mesures avaient été prises cette fois-ci pour éviter de retomber dans les mêmes travers. «Le cas des autoroutes est un vrai scandale. L’erreur a été d’avoir privatisé à un coût en deçà de ce que ça valait et avec une absence totale de régulation sur la redevance, qui, on le voit depuis 2008, n’a cessée d’augmenter de façon discontinue et non proportionnée. (…) C’est justement pour ne pas répéter les mêmes erreurs que nous voulons faire d’ADP une entreprise privée à haut niveau de régulation. L’État certes se désengage mais son rôle de régulateur va s’en retrouver renforcé. Il existait déjà un mécanisme de contrôle de la redevance mais il va être renforcé avec la création d’une autorité administrative indépendante qui veillera à son contrôle, et qui pourra sanctionner l’opérateur en cas de non-respect».
Pour Gilles Carrez, ces nouvelles garanties ne résisteront pas à la pression des investisseurs privés. «Je ne crois pas du tout à ces mesures de régulation. Tout est dans les cahiers de charges et le diable se cache souvent dans les détails. A l’Assemblée, nous n’avons pu consulter que les têtes de chapitre de ce cahier des charges. Cela m’a ramené à ce que j’ai vécu sur la privatisation des autoroutes. L’État est de plus en plus fragile. Nos meilleurs ingénieurs sont partis dans ces grands groupes. Nous avons de moins en moins d’expertise. Il faut que nous gardions un minimum de contrôle pour s’assurer contre les risques qui se multiplient dans la société d’aujourd’hui». L’élu a notamment rappelé comment l’estimation initiale des autoroutes avait été biaisée et comment à l’époque il avait proposé une contre-estimation.
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