Alors que l’AP-HP (Assistance publique des hôpitaux de Paris) est en pleine reconfiguration de son organisation, les unités soins de longue durée (USLD), essentiellement occupées par des personnes très âgées, sont sur la sellette. La direction prévoit de transformer la moitié des lits SLD en places d’Ehpad (Etablissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes). Une évolution controversée. Enjeux et mobilisation.
Ce jeudi 11 avril, l’intersyndicale CFDT – CGT – SUD santé et la Coordination de vigilance du GHU Mondor – Chenevier – Roux, organisaient une opération escargot partie de l’hôpital Emile Roux à 8h30 pour arriver à l’hôpital Albert Chennevier de Créteil vers 10 heures, après un passage par Bonneuil-sur-Marne. Le cortège devait achever la manifestation à pied depuis Chennevier vers Henri Mondor, à partir de 10h30.
Les raisons de la colère : une diminution du nombre de lits dédiés aux soins de longue durée qui accueillent essentiellement des patients très âgés. Concrètement, il est ainsi prévu de fermer 150 lits à Emile Roux, hôpital gériatrique situé à Limeil-Brévannes, mais aussi à Paul Brousse, Charles Foix, Vaugirard, La Rochefoucauld, Fernand Widal ou René Muret. Au total, la moitié des lits de soins longue durée de l’AP-HP sont concernés.
L’AP-HP motive sa décision par la baisse de la demande
Pour la direction de l’AP-HP, il ne s’agit pas de fermetures mais de conversions en places d’Ehpad. Le groupe hospitalier motive cette évolution par le déficit des USLD. De 2016 à 2017, fait ainsi valoir le groupe hospitalier dans un document présenté en CME en septembre 2018, les charges sont ainsi passées de 205,7 millions d’euros à 212 millions d’euros, soit une progression de 6,3 millions d’euros, alors que dans le même temps, les recettes sont passées de 202,3 millions d’euros à 198,8 millions d’euros, en diminution de 3,5 millions d’euros. De quoi faire passer le déficit de cette activité de 3,4 millions d’euros à 13,2 millions d’euros, démontrait le document de l’AP-HP, expliquant ce déficit par une baisse de la fréquentation. Le nombre de journées est ainsi passé de 905 407 à 865 337, soit 40 070 de moins. «Aujourd’hui concurrencées par des ÉHPAD plus médicalisées dont le confort hôtelier s’est amélioré, les USLD de l’AP-HP sont devenues moins attractives pour les résidents et leurs familles. L’activité est en baisse de 4,4 % en 2017. De nouveaux besoins émergent par ailleurs pour des prises en charge au long cours complexes et non gériatriques. L’USLD n’est plus l’étape ultime de la filière gériatrique, une part non négligeable de patients – 38% sortent de l’USLD pour un retour à domicile ou en ÉHPAD et les durées moyennes de séjour sont à la baisse», détaillait l’AP-HP. Voir la présentation de l’AP-HP. Le groupe souhaite diminuer le nombre de lits SLD mais mieux les valoriser, avec un meilleur forfait soins, et propose de travailler en ce sens avec l’Agence régionale de santé (ARS).
La coordination dément la baisse de la demande et dénonce une baisse de l’offre
Un argument qui ne convainc par la coordination Mondor, un collectif de syndicats et élus locaux réunis à chaque remise en question d’un service du groupe hospitalier, laquelle oppose l’explosion du quatrième âge qui ne peut que mécaniquement conduire à une augmentation des besoins. Selon le cadrage du Projet régional de santé 2018-2022, «les projections démographiques montrent une croissance de près de 30% pour les personnes âgées de 75 ans et plus à l’horizon 2030, dans des proportions différenciées selon les départements (+40% en grande couronne, contre +22% en petite couronne).» Le PRS note aussi que «le nombre de personnes âgées dépendantes en Île-de-France augmente de 3 000 personnes supplémentaires par an. À ce jour, plus de 41% des personnes âgées dépendantes vivent en institution (EHPAD et USLD), contre 59% qui vivent encore à domicile.» Télécharger le PRS.
Pour la coordination, c’est la baisse déjà amorcée du lits SLD, qui conduit à cette diminution du nombre de journées, ainsi qu’une non incitation à rester à l’hôpital. «De 2007 à 2014, sur 73 000 lits en USLD, plus de 42 000 ont été convertis en lits d’EHPAD, avec pourtant des patients qui ont besoin de soins lourds, mais qui de ce fait ne bénéficient plus ni de la même prise en charge médicale, ni des mêmes moyens humains, chiffre la Coordination. Il n’y a rien de commun entre une USLD et un EHPAD. Une Unité de Soins de Longue Durée (USLD) est une structure d’hébergement médicalisée pour personnes âgées fortement dépendantes. Appelées autrefois « hospices » puis « centres de long séjour», les USLD sont rattachées à un établissement hospitalier et mettent en oeuvre des moyens médicaux plus importants que dans les EHPAD», insiste la coordination, rappelant que les patients sont «souvent atteints de troubles comportementaux sévères, cancers évolutifs, pathologies cardiaques ou respiratoires non stabilisées» ou de la maladie d’Alzheimer. «90% des résidents sont confinés au lit ou au fauteuil, contre seulement 50 % en EHPAD, et nécessitent une aide totale pour les gestes de la vie quotidienne.» Voir le document. Pour la coordination, les besoins de lits à l’hôpital restent donc légitimes.
Ehpad : le département mis devant le fait accompli
De son côté, le Conseil départemental, en charge des Ehpad publics, dénonce la politique du fait accompli. «J’ai eu l’information fin janvier et nous avons reçu par mail hier le courrier officiel de la part de l’AP-HP. Nous aurions aimé être prévenus avant afin d’anticiper et de co-construire une solution. Un Ehpad ne se construit pas comme cela. Il faut un budget, un appel à projets… Nous sommes mis devant le fait accompli et constatons qu’encore une fois, on se décharge sur le département», déplore Brigitte Jeanvoine, vice-présidente du Conseil départemental, en charge notamment des personnes âgées. Dans son courrier parti le 3 avril et adressé au président du département, le directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch, rappelle les projections de croissance des personnes très âgées et insiste sur la nécessité «de tendre vers une individualisation des prises en charges» et «de repenser la structuration du système de santé en favorisant le maintien à domicile et la coopération entre l’hôpital, le secteur médico-social et les acteurs de ville.» Le directeur confirme que les travaux engagés entre l’AP-HP et l’ARS impliquent une réduction de près de 50% des lits SLD de l’AP-HP dans le cadre d’un «basculement» vers les Ehpad ou d’autres réponses médico-sociales. Le patron de l’AP-HP souhaite valider d’ici la fin juin la réduction de l’offre hospitalière dans le Val-de-Marne et fixer un calendrier de travail pour arrêter «un schéma cible départemental dans le cadre du plan USLD 2019- 2024.» Le directeur assure par ailleurs que «la totalité des places issues des conversions de lits d’USLD resteront éligibles à l’aide sociale à l’hébergement, ceci afin de garantir une accessibilité financière aux Val de Marnais.»
Du côté des syndicats, on s’inquiète du boulevard que va constituer cette diminution du nombre de lits pour les opérateurs d’Ehpad privés. «Pendant ce temps, des groupes de maisons de retraite comme Korian distribuent de plus en plus de dividendes aux actionnaires. On transforme les vieux un marché», s’agace Fabien Cohen, délégué de la coordination.
Mobilisation et demande d’audience à l’ARS
Après plusieurs réunions de mobilisation, dont une ce mardi 9 avril, la coordination des hôpitaux du groupe Mondor a décidé de lancer l’offensive ce jeudi 11 avril avec une première opération escargot, de Limeil à Créteil. Suivra, jeudi 18 avril à midi, un pique-nique dans les jardins de l’hôpital Emile Roux. «Nous allons aussi demander aux conseils municipaux et au Conseil départemental de se positionner sur le sujet», indique Fabien Cohen qui souhaite également qu’une délégation soit reçue par l’ARS (Agence régionale de santé) alors que le schéma régional de santé en cours ne prévoit pas de diminution des USLD dans le département, notant simplement que l’offre en la matière y est proche de la médiane régionale et que le département concentre un nombre important de lits d’USLD par rapport aux lits d’EHPAD (rapport de 1 à 6). «Une implantation est envisagée sur ce territoire dans la mesure où deux sites actuels accueillent des personnes de moins de 60 ans pour des prises en charge spécifiques (psychiatrie et neurologie), et que les mises aux normes architecturales peuvent nécessiter des redéploiements de capacités», détaille même le PRS (pages 213 et 214). Un nouveau débat est également prévu à Emile Roux le 14 mai.
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