Depuis dix jours maintenant, le Centre hospitalier intercommunal de Créteil (Chic) accueille la plate-forme de consultation Livi dans un petit local accessible directement depuis l’avenue de Verdun. Une infirmière y accueille les patients mais ce-sont des médecins à distance qui consultent, via une tablette. Une révolution digitale qui constitue l’une des réponses apportées par l’hôpital pour désengorger ses urgences et est déjà attendue par les spécialistes d’autres disciplines, mais qui doit aussi trouver sa place et se faire accepter.
Lire aussi le premier article consacré à la présentation du projet : Le Val-de-Marne, pionnier de la téléconsultation aux urgences du Chic.
L’installation de ce centre pilote de téléconsultation à côté des urgences, première initiative de ce type en France, s’inscrit au croisement d’au moins deux enjeux, celui de la crise démographique médicale devenue criante dans un nombre croissant de villes et dont l’afflux aux urgences pour des pathologies relevant de la médecine de ville est l’un des symptômes, et celui du développement des plateformes de télémédecine comme Livi, Doctolib, Qare… en pleine conquête du marché depuis le remboursement sous condition (notamment en cas de non disponibilité de son médecin traitant) des consultations à distance de médecins généralistes, le 15 septembre 2018. La société suédoise Livi, créée en 2015, a rodé ses pratiques durant deux ans avant de lancer ses consultations via application mobile en France, et peaufiné son discours.«Livi se positionne comme un offreur de soins, garant de la qualité médicale aux côtés des autres acteurs de l’écosystème. Le canal de soins digital est nouveau en France ; en Europe, nous comptons d’ores et déjà 750 000 consultations et nous voulons mettre cette expertise au service de la facilitation de l’accès aux soins de tous les patients, sur tous les territoires», motive ainsi Jonathan Ardouin, son directeur général. Les deux ne sont pas incompatibles, bien au contraire, mais le mélange suscite des questions, des réticences, autant que de l’enthousiasme.
Lors de la présentation officielle de cette installation test au Chic, devant le député LREM Jean-François Mbaye, la présidente du Conseil de surveillance Brigitte Jeanvoine, des professeurs de médecine, le Conseil de l’ordre, des directeurs de cliniques… c’est cette ambivalence de réactions qui se sont exprimées. Il y a d’abord la réserve vis-à-vis du principe lui-même de réaliser une consultation à distance, sans ausculter le patient. La symbolique est forte et sur les affiches mêmes de Livi, le médecin arbore son stéthoscope sur les épaules. Sur ce point, Maxime Cauterman, directeur médical France de Livi, par ailleurs praticien au Chic, rappelle le protocole imposé par Livi. Liste de motifs de consultation qui imposent une redirection vers un médecin traitant, interdiction de prescription de substances psychoactives, pas d’arrêt de travail de plus de cinq jours et pas de renouvellement, prescription d’antibiotiques sous condition (que le patient ait effectué une analyse d’urine au moins sur bandelette urinaire en cas d’infection urinaire par exemple), contrôle de la tenue des dossiers, évaluation par les patients qui peuvent distribuer ou non les étoiles, rémunération fixe et non sur objectifs, obligation de pratiquer aussi en présentiel et pas seulement en ligne, possibilité de communiquer, et même chatter en direct, entre médecins pour favoriser le partage d’expertise et travail en équipe, mise à disposition d’aide à la prescription avec un Vidal en ligne… Le directeur médical liste les gardes-fou. «En moyenne, 60% des appelants relèvent de la consultation à distance selon nos critères et seulement 80% des consultations donnent lieu à facturation», chiffre le médecin. Soit un ratio d’environ 48% entre les appelants et les patients facturés pour service rendu.
La qualité relationnelle peut aussi passer par l’écran
Axel Rodhe (photo de une), médecin suédois qui vit à Paris, est le vétéran de l’entreprise. Inscrit à l’ordre des médecins français mais aussi suédois, c’est d’abord des patients suédois qu’il a consulté par Internet, il y a trois ans, content de pouvoir parler sa langue depuis la France. Désormais, il consulte dans les deux pays, et retourne en Suède un mois par an pour consulter physiquement, explique-t-il. A son actif : entre 5 000 et 10 000 téléconsultations, tente-t-il de chiffrer. Lui défend la qualité de relation au patient permise par ce canal. «Dans la téléconsultation, tout passe par la relation. Il n’y a pas de parasitage pour demander la carte vitale, de se déshabiller, de se rhabiller. Lorsque je ne sens pas de confiance dans la relation, je ne consulte pas. Mais ce que je constate est que les patients qui consultent depuis chez eux sont plus à l’aise, les enfants surtout, sont plus en confiance», confie-t-il. Enfilant son corporate polo Livi blanc pour prendre la pose devant son ordinateur, il insiste sur le positionnement de la caméra, bien à hauteur des yeux.
Attention à la territorialité
Du côté du Conseil de l’Ordre des médecins du Val-de-Marne, on regarde l’initiative avec intérêt. Jean-Noël Lépront, généraliste à Champigny-sur-Marne et membre du CDOM 94, s’interroge toutefois sur la territorialité. «Je ne voudrais pas que cela devienne un système commercial», prévient-il, insistant sur la nécessité pour les médecins du département d’investir le sujet, ce qu’il compte bien faire dans le cadre des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé). Dans le département, le Conseil de l’ordre envisage ainsi de créer ses propres plate-formes, avec les médecins locaux, alors qu’une cinquantaine d’entre eux sont déjà motivés pour passer à l’acte.
Lire à ce sujet : L’Ordre des médecins du Val-de-Marne va créer des plates-formes de téléconsultation locale
Enthousiaste, un directeur de cliniques privées remarque pour sa part que l’on est beaucoup plus exigeant vis-à-vis de ces téléconsultations qu’on ne l’est vis-à-vis des consultations traditionnelles. «On ne demande pas aux urgences d’être territorialisées», pointe-t-il, avant de témoigner de la difficulté de gérer l’afflux de patients, aussi dans les cliniques.
A quand la téléconsultation de spécialistes ?
Très enthousiaste également, Bruno Housset, chef du service pneumologie au Chic, qui demande où l’on en est du développement de la téléconsultation de spécialistes, intéressé pour gérer son propre afflux de patients. «Il y a aujourd’hui plusieurs mois d’attente pour obtenir un rendez-vous en pneumologie», témoigne-t-il. «En Suède, nous avons lancé un pilote pour suivre les asthmatiques chroniques en intégrant une connexion à un spiromètre (appareil de mesure de la capacité pulmonaire)», répond Maxime Cauterman.
Aux urgences de Créteil, une greffe qui aura besoin de temps
Pour l’heure, c’est aux urgences du Chic que ce nouveau canal va devoir faire ses preuves. «Le Chic n’hésite jamais à innover, à aller de l’avant pour trouver des solutions, cette expérimentation en est un nouvel exemple», félicite Brigitte Jeanvoine, présidente du Conseil de surveillance et élue PS de la ville de Créteil et du Conseil départemental, qui a testé le dispositif. «Nous accueillons régulièrement des expériences pionnières. Cela a par exemple été le cas de la conciergerie Happytal dès 2005, de la plate-forme de chat entre médecins de ville et praticiens hospitaliers Apicéa en 2016, ajourd’hui connectée à 400 médecins de ville autour du Chic, ou encore de la prise de rendez-vous en ligne Keldoc, installée en 2018. Pour l’instant, toutes ces expérimentations ont été un succès», détaille Jean-Bernard Castet, directeur général adjoint de l’hôpital. Concernant le lancement du centre de téléconsultations Livi, il constitue une piste pour désengorger des urgences qui accueillent quelque 100 000 patients par an en croissance d’environ 5% . Douze personnes ont du reste été embauchées cette année, 6 aides-soignantes et 6 infirmiers. Une piste qui n’est pas exclusive. «Nous travaillons aussi au réadressage des patients chroniques directement dans le service où ils sont pris en charge», cite Jean-Bernard Castet.
«On est venu voir un médecin en vrai»
En pratique, la proposition doit rester facultative et il n’est pas question d’orienter les patients d’office vers le centre de téléconsultations. La promotion de cette alternative passe par un grand panneau Livi situé à côté du bureau d’accueil, que les patients ne voient pas forcément en arrivant, tellement habitués aux panneaux promotionnels. «Je ne l’avais pas remarqué en arrivant, je viens juste de le voir», témoigne une patiente, dans l’espace d’attente situé à l’accueil des urgences. Pour la quinzaine de personnes qui patientent ce jeudi midi, cette offre ne suscite pas un enthousiasme délirant. «Je suis retraitée, j’ai le temps d’attendre», réagit une dame. «Si nous sommes venues jusqu’ici, c’est pour voir un médecin en vrai», rebondissent deux amies, un peu étonnées par la proposition. «Moi je dis pourquoi pas ? Mais aujourd’hui, je suis venu pour une admission», témoigne un patient, montrant son sac d’affaires. En dix jours de test, seulement trois patients venus consulter aux urgences sont repartis en direction du centre Livi, situé à 200 mètres au sein du centre hospitalier. Les urgences du Chic voient pourtant fdéfiler quelque 300 personnes par jour.
Au sein du service, la communication autour de cette proposition, qui n’est pas encore entrée dans les moeurs, et qui relève par ailleurs d’un prestataire privé, doit en effet se faire en douceur. «Lorsqu’un patient arrive aux urgences, il est informé de l’existence du centre de téléconsultation ainsi que des Sami par voie d’affichage, via des dépliants et sur les écrans, mais il n’y a pas de recommandation. Et tous les patients qui sont accueillis par l’infirmière pour un premier bilan verront un médecin. Ce n’est qu’après la consultation que les médecins se permettent de proposer aux patients qui sont venus pour une pathologie qui aurait pu relever de la téléconsultation, que ce centre existe et que, si ils les souhaitent, ils pourront y aller une prochaine fois pour éviter d’attendre trop longtemps», explique le directeur général adjoint de l’hôpital. Aux urgences, l’ordre de prise en charge ne dépend pas en effet de l’ordre d’arrivée mais du niveau d’urgence médicale. Une forme de prescription qui pourrait donc avoir un impact sur un temps plus long, pour les prochaines visites, et qui ne conduira pas forcément les patients à revenir au centre de téléconsultation mais peut-être carrément à consulter de chez soi. Ouvert jusqu’à 23 heures, le centre physique a une valeur ajoutée pour la prise des constantes (tension, rythme cardiaque…), la possibilité de faire des tests (streptotests pour les angines ou bandelettes urinaires) et l’accueil par une infirmière. Les infirmières qui se relaient au centre sont du reste toutes d’anciennes soignantes des urgences. Le centre dispose également de quelques médicaments type paracétamol.
Aux urgences, pas besoin de sortir sa carte de crédit tout de suite
Pour certains patients, un autre frein sera aussi le paiement immédiat de la consultation. Les urgences ne sont pas gratuites mais les patients n’ont pas besoin de payer tout de suite. La téléconsultation, elle, commence par la communication de son numéro de carte de crédit avant d’accéder au médecin. «Les patients refusent déjà d’aller dans les Sami parce qu’il faut payer la consultation alors…», glisse une agente d’accueil des urgences. «Nous avons un numéro d’appel pour les personnes en détresse qui ne peuvent pas payer à qui nous donnons des codes pour une consultation gratuite. Par ailleurs, nous consultons quatre fois plus de patients bénéficiant de l’AME (Aide médicale d’Etat) et deux fois plus de patients bénéficiant de la CMU (Couverture maladie universelle)», indique Maxime Cauterman.
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